Nous avons eu connaissance d’une revue titrée « Militant – Bulletin marxiste pour la France insoumise », n° 154.

Cette numérotation ainsi que le maquettage se réfèrent aux 153 numéros précédents d’une revue qui s’est en effet appelée Militant, accompagnée d’une lettre électronique intitulée Militant-Lettre de Liaisons. Confrontés, dans le cadre de l’association Militant, à la disparition sans phrases de toute activité politique effective de son responsable historique, Raymond Debord, depuis 2014, nous avons pour notre part assuré la continuité de cette ancienne revue et du bulletin, avec le blog et le bulletin APLS, mais sans prétendre à aucun moment, façon Laetitia Halliday, avoir capté la totalité de l’héritage !

Notre camarade Raymond Debord écrit quant à lui, dans l’éditorial, qu’un « nouveau départ » s’est produit suite à une réunion du comité de rédaction élargi et renouvelé, en septembre dernier, sur la base de la « France insoumise », qu’il définit comme « une formation politique de la gauche radicale ». « Sans entrer dans des polémiques stériles », écrit-il un peu plus loin, « la rupture est totale » avec « certains de nos ex-camarades qui ont dépensé une énergie considérable » à – à quoi ? À « tirer dans le dos de Jean-Luc Mélenchon ». Voila le niveau.

Raymond Debord non seulement ne fait pas de « polémiques stériles » mais sa méthode consiste à ne rien dire, ne rien écrire, interdire toute discussion. En ce même mois de septembre où nous-mêmes, animateurs du blog APLS, mais d’autres membres également du comité de rédaction de Militant, étions tenus dans l’ignorance de ce qui allait être proclamé comme la réunion refondatrice du dit bulletin, nous étions éliminés de toutes les listes de discussion (pourtant principalement alimentées par nous !) de Militant, le tout étant complété par un dispositif adéquat de « blocage » sur les réseaux sociaux. C’est vrai, Raymond n’a pas fait de « polémiques stériles », il a purement et simplement stérilisé, évitant tout débat, interdisant, n’écrivant rien, ne formulant rien.

Pour autant, intéressons-nous au contenu de cette revue nouvellement créée. Nous avons été très intéressés par un article qui tente de formuler des perspectives politiques au Maroc, autour de la question de la constituante. Pour le reste, les deux tiers de la revue sont tributaires de Jacques Cotta et Denis Collin, animateurs du site « La Sociale » qui entend se poser en défenseur d’une construction de la FI sur la ligne de la Nation – le N majuscule est de rigueur -, contre « les gauchistes » et autres « islamo-gauchistes ». Dans la mesure où il y a une ligne politique dans ce numéro, elle est là. Raymond, à nouveau, n’a pas de ligne. Résumons donc, par une citation, la « ligne » véritable, donnée par J. Cotta :

« On ne peut laisser faire l’Europe en défaisant la France. Mais en s’appuyant sur l’identité républicaine de la France, on peut faire une Europe des nations bien intégrée. » [citation de J.L. Mélenchon]

La ligne est claire. A l’UE construction politique pour imposer une orientation néo-libérale contre tous les peuples d’Europe dans chaque nation, il s’agit d’opposer l’Europe des nations libres, décidées de coopérer librement entre elles dans l’intérêt partagé des peuples d’Europe. C’est dans ce sens que sa position exprimée sur la question de la défense nationale est une ode à l’indépendance nationale en prônant la sortie de l’OTAN, arme de guerre des États-Unis.« 

Joli camouflage. L’Europe des nations libres coopérant librement entre elles pourrait donc être une Europe capitaliste fondée sur « la France » et les positions de J.L. Mélenchon sur la défense nationale, dont l’article 1° est l’augmentation résolue du budget militaire, l’article 2, le maintien de la bombe atomique, l’article 3 la Françafrique, le 4 l’alliance avec Poutine plutôt qu’avec l’oncle Sam, puisque Poutine fait le « bon boulot » à Alep et maintenant envers la Ghouta de Damas, et, en prime, le 4 bis est le copinage notoire avec l’industriel des armements Dassault. Il ne s’agit là de rien d’autres qu’une position de défense de l’impérialisme français, et non d’une position de lutte contre les institutions antidémocratiques de l’Union Européenne.

Raymond (Maillard), dans la place restante de la revue, entreprend de discuter la « méthode Alinsky », présentée aux membres de la FI comme une recette miracle permettant de « faire de la politique autrement ». Raymond n’est pas dupe de l’absence totale de contenu de classe de la dite « méthode » qui réinvente l’eau chaude en expliquant qu’organiser les gens, c’est aider à ce qu’ils s’expriment et s’organisent eux-mêmes, certes, mais qu’elle convient aussi bien au Tea party. Il se dit, donc que cette méthode « risque de ne pas être la pierre philosophale pour les Insoumis cherchant à articuler organisation populaire dans les quartiers et développement de la conscience politique ». Mais est-ce bien pour cela que cette « méthode » est vendue aux « Insoumis » comme recette miracle qui lave plus blanc que blanc ? Rappelons tout de même qu’au rassemblement « insoumis » de Clermont-Ferrand, cet automne, une « animation » a présenté aux participants la manière « Alinsky » de lutter contre une fermeture de classe dans une école : en conduisant « les gens » contre le directeur de l’école, qui, en France, est un enseignant comme un autre, nullement consulté sur les fermetures. On est en effet pas si loin que ça du Tea Party. Mais pourquoi ? Parce que la FI a été construite et définie comme une machine de guerre contre tout ce qui procède du mouvement ouvrier, en vue de le détruite en prétendant ainsi rompre avec les vieux appareils.

Raymond (Maillard) conclut donc en souhaitant que les « insoumis » se mettent à l’étude de « toutes les expériences étrangères mais aussi françaises », et là-dessus Raymond (Debord) embraye par quelques pages de nostalgie sur le travail politique pour lequel il mérite assurément d’être entendu, étudié et d’inspirer : l’Association populaire d’entraide, qui a aidé à l’organisation de travailleurs sans papiers et de familles en lutte pour leur logement, de 1997 à 2007. La difficulté à raconter sa propre expérience, fort riche, est frappante car là où on souhaiterait avoir des récits de luttes, on a une énumération de référence socio-politiques allant de la « pédagogie active » à, de nouveau, Alynski, en passant par Mao, et on en passe. Le tout intitulé, dans le titre, une « expérience d’organisation communautaire ». Communautaire ? Les sentiments préconscients de Raymond (Maillard ou Debord) ont-ils par ce petit signal voulu équilibrer le N majuscule de la Nation chez Cotta et Collin ? Quoi qu’il en soit cette évocation, reprenant une intervention faite dans un colloque officiel sur le « travail social » (ce qui contredit d’ailleurs l’affirmation, que nous partageons, selon laquelle l’APE visait à apprendre des personnes opprimées elles-mêmes), s’arrête en 2007, moment où la Lettre de Liaisons fusionnait avec Militant et ce qui restait de l’APE.

Le peu d’analyse effectivement contenu dans cette rétrospective nous conduit à notre tour à une autocritique : la recherche systématique d’une perspective politique, d’une part, et d’autre part l’ancrage non moins systématique dans la lutte de classes quotidienne sous sa forme principalement syndicale, d’autre part, étaient sans doute notre double apport dans ce regroupement, mais nous avons sous-estimé l’absence totale de cette double méthode – élaboration politique touchant à la question du pouvoir et fondement permanent dans la lutte des classes réelle -chez Raymond et certains de ses camarades, allant jusqu’à l’absence de toute expression d’un besoin à cet égard. Du coup, nous avons continué à faire ce que nous savions faire – une expression publique régulière articulant ces deux dimensions – mais sans irriguer, communiquer, systématiquement cette méthode pour l’apprendre à nos camarades tout en apprenant réciproquement d’eux. Raymond, et sans doute les quelques militants qu’il a formés, sont restés extérieurs, quoi que longtemps intéressés, à ce besoin politique, qui, pour nous, conduit bien entendu à la question du parti des exploités.

Il est donc d’une certaine façon logique qu’ils aient cherché un abri où de tels efforts ne sont point nécessaires. Le groupe dyonisien « Parti Socialiste de Gauche », animé par des militants socialistes honnêtes, ne pouvait le leur fournir car il demandait lui-même une élaboration politique globale. La FI semble donc pour l’heure fournir le matelas idéal pour ronfler.

Pour l’heure, les conséquences délétères sont immédiatement évidentes. Nous avons mentionné la première au début du présent article : des méthodes antidémocratiques d’évitement et d’interdiction de la discussion politique. Deuxième fait manifeste : la disparition de toute référence, de toute mention, à l’internationalisme et à un débat international, en particulier au Workers International Network, dans ce n° de « nouveau départ ». Enfin, troisième aspect évident : Raymond aurait donc trouvé la pierre philosophale avec la FI, mouvement de masse de « gauche radicale » au « développement » duquel il entend « travailler », tout en y défendant « les idées qui sont les nôtres« , à savoir, n’est-ce pas, « les acquis programmatiques de 150 ans de luttes du mouvement ouvrier ». Il est joli le coup de chapeau, mais les dits acquis sont absents de la totalité de cette revue (sauf l’article sur le Maroc). Rien. Et plus précisément : rien sur les rapports de forces entre les classes en France, après la double défaite de la destruction du code du travail et de l’élection de Macron, rien sur les grèves, rien sur le Bac, rien sur la jeunesse, rien sur les combats dans la santé, rien sur les mobilisations contre les fermetures de classes, rien sur la défense des réfugiés, rien sur la lutte des classes ici et maintenant, rien. Alors, bon, ils ont bon dos, les « acquis programmatiques » …

La caractéristique des militants ouvriers sérieux est d’être extrêmement têtus. Ce que nous n’avons pas (encore) fait, nous ne désespérons jamais de le faire. Pour nous, les ruptures totales n’existent qu’avec les ennemis de classe. Et nous ne désespérerons jamais que l’énergie considérable que nous mettons à combattre, à agir tous les jours, à écrire, à argumenter, ne ramènent nos camarades à … la lutte des classes. Tout simplement.

La rédaction, 21-02-2018.