Nous reproduisons cet article de Jacques Chastaing dans le cadre de la discussion nécessaire sur le moment présent.
Avec le 7 mars et après, le mouvement a passé une nouvelle étape.
Il l’a fait d’une par par la masse de manifestants ce jour-là et d’autre part avec l’engagement de nombreux secteurs professionnels dans la grève reconductible. A ces deux ingrédients s’ajoute aujourd’hui un début de crise politique. Macron veut passer en force en piétinant la démocratie sociale de l’opinion populaire et du mouvement syndical mais aussi maintenant en s’asseyant sur la démocratie politique du Sénat et l’Assemblée Nationale avec ses 47.1, 44.3 et 49.3 . Cela a transformé aux yeux de beaucoup sa volonté de passage en force en un mini coup d’Etat auquel même des députés LREM ou LR envisagent de s’y opposer, en même temps que les manifestants du 11 mars, opposaient une volonté de durcissement..
Cela au point où les directions syndicales nationales, inquiètes d’une colère qui monte et qui pourrait être plus forte que la résignation sur laquelle mise le gouvernement, supplient Macron de les recevoir en même temps qu’ils l’avertissent que son attitude pourrait ouvrir un climat bien plus explosif voire insurrectionnel.
De là deux attitudes contradictoires de leur part, d’une part pour certaines comme FO, la proposition d’une grève générale de trois jours les 15, 16, et 17 mars et d’autre par, des consignes données aux responsables syndicaux locaux à empêcher la reconduction de la grève après le 7 et se contenter des journées d’action nationales afin de garder le contrôle et que l’évolution explosive de la situation ne passe pas dans les mains des Assemblées Générales interprofessionnelles en train de se constituer.
Jusque là, pour entraîner le plus de monde possible dans la rue, et ça a marché, le mouvement a cherché à maintenir l’unité syndicale et pour ça s’est contenté de pousser le plus loin possible l’intersyndicale nationale sans en contester l’autorité. Cela a entraîné une faiblesse de l’auto-organisation, même si on a pu constater quelques progrès de cette dernière dans la constitution d’Assemblées Générales interpro de villes pour mieux organiser ensemble les opérations coups de poings de ces derniers jours. Or, aujourd’hui, le mouvement cherche à dépasser les limites de l’intersyndicale nationale pour se radicaliser parce qu’il a compris que des manifestations et des journées de grève saute-moutons aussi importantes soient-elles ne suffiront pas. Ce qui explique le moindre nombre de manifestants ce 11 mars, non pas dans une situation de recul mais d’hésitation entre deux voies, résignation ou radicalisation. Dans cette situation, la crise démocratique politique en train de se former peut accélérer la dynamique de radicalisation et le mouvement peut d’engouffrer alors massivement – ou pour ses parties les plus avancées – au travers de ses Assemblées Générales interpro vers une prise en main des espaces entre deux journées nationales d’action, c’est-à-dire une prise en main progressive de la lutte par elle-même, autrement dit encore l’émergence d’une autre direction de la lutte, tout à la fois plus radicale et plus démocratique, qui viserait tout autant l’Élysée et la chute de Macron que le retrait de la réforme.
Cette nouvelle direction pourrait bien se former entre les secteurs des grèves reconductibles et les AG interprofessionnelles de villes.
Le mouvement des grèves reconductibles est en effet considérable même s’il ne correspond pas aux attentes d’une grève générale totale par certains. Ces grèves sont particulièrement suivies encore après 6 jours de grève, dans certains secteurs structurants ou visibles de l’économie française avec des taux de grévistes très importants, dans l’énergie aussi bien à EDF qu’à Engie, chez les gaziers, chez les raffineurs, chez les cheminots et particulièrement les conducteurs de train, chez les éboueurs, chez les contrôleurs aériens ou à Radio France et de manière plus inégales suivant les villes et les établissements mais toutefois non négligeables dans l’Éducation, les enseignants, les étudiants ou les lycéens ou bien de manière perlée dans d’autres secteurs comme les traminots, les postiers les dockers ou encore dans le privé où les grèves reconductibles sont significatives sur un fond de grèves pour les salaires qui se maintiennent et qui tendent à converger avec celle des retraites, parce que la colère est générale.
Il n’y a pas encore pour le moment de coordination entre ces différents secteurs radicaux. Mais en mettant à l’ordre du jour la radicalité, l’intransigeance de Macron y pousse. Une coordination de ces secteurs qui sera l’enjeu des jours devant nous, avec les AG interpro ou, parallèlement, peut-être dans un premier temps, on verra. Quoi qu’il en soit, la semaine à venir va s’avérer décisive.
C’est pourquoi, il est très important de tout faire d’une part pour initier, maintenir et amplifier les grèves reconductibles partout où c’est possible et d’autre part tout faire pour initier, maintenir et amplifier les AG interprofessionnelles de villes ou encore les comités de mobilisation. Macron semble vouloir préparer une nouvelle loi Travail après la réforme des retraites. C’est peut-être l’avenir des décennies à venir qui se joue dans les 7-10 jours devant nous. Mettons-y toutes nos forces et nous gagnerons un nouvel avenir.
Jacques Chastaing le 12 mars 2023