Bonjour à vous,
Ce qu’écrit Robert Duguet à propos de la biographie de Pierre Broué rédigée par Vincent Présumey en 2005 est d’un très grand intérêt.
Est également d’un très grand intérêt ce que Bernard Fischer a remonté au jour, à la fois la biographie de Pierre Broué de 2005 et la partie du contenu de celle-ci concernant la position de Trotsky face à la guerre impérialiste commencée un peu avant son assassinat.
Je voudrais prolonger les réflexions de Robert Duguet de quelques autres personnelles, qui portent sur l’existence et même la réalité historique de la IV ème Internationale.
Quelque part, Broué rapporte la réflexion d’un trotskyste belge en 1940 réagissant à sa lecture de la position de Trotsky et se demandant si Trotsky était encore trotskyste…
Il s’agit bien de cela, mais en retournant le questionnement.
Pendant la durée de la guerre, l’immense majorité des organisations se réclamant de la IV ème Internationale ou prétendant la représenter et la construire a adopté et fait adopter à ses militants une ligne de conduite qui tournait radicalement le dos aux préconisations de Trotsky. De ce fait, elles se sont coupées de la partie la plus avancée, la plus combattante de la classe ouvrière. Si elles avaient agi autrement, si elles s’étaient notamment engagées dans les mouvements de résistance (hors gaullisme), elles bénéficiaient alors, entre fin 1939 et fin 1941, d’un « terrain » libre de l’intervention des staliniens, alors engagés dans le pacte Hitler-Staline.
Bien entendu, les forces militantes de ces organisations se réclamant du trotskysme étaient très faibles. Mais il faut se demander quel facteur de développement exponentiel cette position face à la guerre leur aurait permis après la guerre, et dans leur combat concret -et non idéologique- contre la bureaucratie stalinienne : les trotskystes ne seraient plus apparus comme des idéologues commentateurs et conseilleurs extérieurs à leur classe, mais auraient acquis un prestige (certes limité) qui aurait pu constituer une véritable ouverture dans leur classe.
Il faut se demander donc quelle est la part de responsabilité directe des « trotskystes » dans leur isolement prolongé à l’intérieur de la classe ouvrière, dont une position conforme à ce que préconisait Trotsky leur aurait sans doute permis de sortir.
Rien n’est certain bien sûr, mais ce qui est certain par contre, c’est que n’avoir rien fait dans ce sens a maintenu le trotskysme dans sa marginalisation, quand bien même la poussée révolutionnaire d’après-guerre a permis certains développements.
Mais il faut aller plus loin :
- 1/ Le fait d’avoir tourné le dos à l’analyse si capitale de Trotsky sur l’attitude à adopter face à la guerre permet-il de considérer que ces organisations sont restées réellement « trotskystes »?
- 2/ Le fait que ne se soient pas réalisées les prévisions (et non des « prédictions ») de Trotsky sur la chute de Staline après la guerre et le développement de mouvements révolutionnaires victorieux (Robert Duguet cite la France, L’Italie, la Grèce), n’en est-il pas la conséquence? Puisque, comme nous le savons, les révolutions ne peuvent aboutir sans la direction d’une avant-garde consciente, marxiste (et donc trotskyste). Après les mouvements directement succédant à la guerre, 1953 de Berlin-Est, 1956 de la Hongrie et de la Pologne, etc etc… avaient BESOIN d’un fort courant d’avant-garde pour pouvoir aller jusqu’au bout. C’était bien le second volet révolutionnaire analysé par Trotsky : la révolution politique, accompagnant de manière nécessaire et organique celui de la révolution sociale.
- 3/ La crise du mouvement trotskyste, et en particulier ce qu’on a appelé le « pablisme », cette capitulation majeure devant le stalinisme établi comme « nécessaire » dans la transition, la longue transition, vers le socialisme, n’est-elle pas une conséquence de cette attitude de départ, adoptée deux ans à peine après la proclamation déjà si périlleuse et fragile de la IV ème Internationale? En effet, le fait que le stalinisme soit sorti grandi de la guerre et non affaibli n’est-il pas dû en partie à à cet arme-aux-pieds que les trotskystes se sont imposés pendant la guerre? Et, en retour, la grandissement de l’influence du stalinisme n’est-il pas aussi à l’origine des dérives au sein même du mouvement trotskyste, considérant qu’il constituait malgré tout une force objective incontournable, bien que de contact assez rugueux?
- 4/ A-t-on par conséquent suffisamment mesuré les conséquences générales de cette erreur fondamentale de départ sur l’ensemble des développements de l’histoire du ou des mouvements trotskystes? Jusques et y compris dans leur conception si peu démocratique de fonctionnement et de construction, calquée sur les caricatures du parti bolchévik et taillant leurs directions à l’extrême jusqu’à les réduire à un chef unique? Un chef unique dans une organisation se voulant révolutionnaire est la garantie, la certitude absolue qu’elle ne pourra résister aux pressions ennemies de tous ordres, corruption comprise.
Je pense comme Robert Duguet que Pierre Broué avait parfaitement raison en disant qu’un mouvement révolutionnaire ne peut exister avec des cadavres dans son placard.
Il y a maintenant des décennies que les petits résidus français pro-appareils syndicaux contre-révolutionnaires (CCI et TCI), entraînant dans leur sillage et leur influence d’autres groupes ou représentations symboliques de ce qu’ils osent encore appeler « IVème Internationale », ont entassé des cadavres dans leurs placards. Je dirais même qu’ils ne sont plus désormais que placards dans lesquels ils se sont eux-mêmes enfermés.
La question de la guerre de 1939-1945 fait éminemment partie de ces cadavres. Elle est même majeure à mes yeux, quand bien même découverte très tard grâce aux travaux de Pierre Broué.
Les conséquences et conclusions à en tirer ne peuvent tenir dans un si court exposé.
Il se trouve qu’avec l’ouverture de la période pré-révolutionnaire en 1968 l’Histoire a en quelque sorte tenté de repasser les plats que le « trotskysme » avait négligés un quart de siècle plus tôt. Mais le fait de n’avoir tiré en rien les leçons de la guerre a certainement été d’une très grande importance dans le fait qu’une nouvelle fois, non seulement nous n’avons pu prendre « le train de l’histoire », mais que, en l’absence de la construction d’une réelle avant-garde, la classe ouvrière n’a pu venir à bout de son bourreau stalinien, et tous les mouvements révolutionnaires des années 70 et du début des années 80 ont échoué.
La situation actuelle dans laquelle se trouve plongée l’humanité a très largement dépassé le début de « pourrissement » des conditions objectives de la révolution prolétarienne que caractérise le début du Programme dit de Transition.
Nous sommes maintenant plongés dans des conditions de véritable décomposition de ces conditions objectives. Je sais bien que cet avis est loin d’être partagé. La conscience a bien du mal à se tenir à jour des faits.
Ce texte quelque peu polémique n’a aucune ambition de « vérité » définitive : il se veut un élément de réflexion et d’échanges entre ceux qui cherchent encore à comprendre, et donc, si c’est possible, à agir utilement.
Pierre Salvaing, le 9 août 2022.
Salut Pierre,
Ton analyse me semble juste (mais je suis assez largement ignorant par rapport à des « vétérans » à la formation initiale solide et à expérience militante longue et riche). Cependant, Aplutsoc semble établir une comparaison entre lutte contre le nazisme d’alors et lutte contre le poutinisme qui ne me semble pas être raison. Je vais essayer d’expliquer du mieux que je peux mon sentiment.
1) Chez Poutine, pas de « solution finale » ni de camps de détention de grande envergure, d’industrialisation de l’oppression ou de la répression, mais une volonté initiale de placer un gouvernement à sa solde en Ukraine, qui permette aux oligarques russes de prendre la place des oligarques ukrainiens, et une volonté, par conséquent, de mettre au pas, dans cet objectif, la société ukrainienne comme il met au pas la société russe ; cette volonté initiale s’est semble t-il transformée en irrédentisme, et pour filer la métaphore historique, Poutine me semble plus proche de Mussolini que de Hitler;
2) Dans ce que je comprends de la situation actuelle, c’est-à-dire une situation de « pat » militaire, où les belligérants n’arriveront plus à faire d’avancées de plus de quelques kilomètres dans un sens ou dans un autre, et au prix de dizaines de milliers de vies, avec en plus le fort risque qu’il y ait un incident nucléaire, dont les conséquences sont incalculables, le moins idiot à faire est de s’organiser pour aider à ce qu’une paix s’impose le plus rapidement possible quel que soit le tracé des frontières qui résultera d’un accord diplomatique.
3) Ce n’est qu’une fois que les travailleurs (se) seront libérés de leur rôle de chair à canon qu’ils pourront s’organiser pour chasser les oligarques et prendre le pouvoir.
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Bravo !
Oser faire remonter les difficultés dans la construction d’un parti révolutionnaire à l’attitude des trotskystes de 1939 à 1941, il faut vraiment le faire …. surtout sans un mot sur le passage, armes et bagages, du POI ( CCI) sous la bannière de la France insoumise et du Front populaire, dernière solution avec le fascisme contre la révolution prolétarienne selon Trotsky lui-même!!
Quant à la TCI et au POID, ils combattent pour la grève générale et chasser Macron (et non pour cohabiter avec lui!), pour réaliser le Front unique ouvrier par débordement des appareils et certainement pas en collaborant avec les directions syndicales totalement au service du système .
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Il faudrait me faire la démonstration que LFI est un obstacle plutôt qu’une aide à la sortie du capitalisme et la construction du communisme, parce que pour le moment, je mise sur la construction d’une organisation permettant de défendre les intérêts des travailleurs en m’engageant au sein de LFI, qui a beaucoup de défauts, mais où il y a du monde (et sans doute même plus d’ouvriers et de précaires qu’au POID), et des possibilités de faire évoluer la structure (contrairement au POID, complètement verrouillé par les permanents qui le sont depuis 40 ans).
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Salut à Pierre Salvaing et à sa contribution très intéressante.
J’ai dans ma bibliothèque quelques brochures sur l’activité des trotskistes durant la seconde guerre mondiale (publications de feuilles, tracts, journaux) et un livre sur les derniers textes de Trotski (publié par « la taupe rouge » je crois), mais je n’ai pas eu connaissance de ce que Pierre Broué a pu écrire à ce sujet, et je n’ai jamais réfléchi à ces questions.
Bien sûr, il faut le faire (réfléchir et débattre) ! Il ne s’agit pas de polémiquer, mais d’abord, de travailler.
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Le fait même d’écrire « Trotski » et « trotskistes » (comme tous leurs ennemis en France!) et non pas Trotsky c’est déjà un début de réponse et quand on sait que le parti chouchou de Boudine est le POI passé armes et bagages dans la France insoumise et la NUPES , front populiste en attente de trahison des intérêts ouvriers derrière l’étendard versaillais, avec un Mélenchon candidat à la cohabitation avec Macron, on aura tout compris !
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