Depuis début mars, les troupes russes tiennent la plus grande centrale nucléaire d’Europe, à Zaporijjia en Ukraine. La ville de Zaporijjia elle-même n’est pas occupée (et accueille des réfugiés), mais est sur la ligne de front. En mars, la population d’Enerhodar avait affronté les soldats russes en voulant éviter qu’ils s’installent dans la centrale. Ce qu’ils ont fait.
Actuellement, une contre-offensive ukrainienne grignote les positions russes dans la région de Kherson produisant des réactions désordonnées (redditions, pillages, transferts de troupes) du côté russe. La centrale nucléaire devient un élément décisif du rapport de force : un otage. Plusieurs villes, depuis une dizaine de jours, sont pilonnées depuis la centrale nucléaire.
Russie et Ukraine s’accusent mutuellement d’avoir envoyé des missiles à l’intérieur de la centrale, endommageant des structures et conduisant à l’arrêt de l’un des 7 réacteurs. On comprend mal pourquoi les troupes russes auraient bombardé leur propre camp de retranchement ; il est vraisemblable que des opérations militaires cruciales sont en train d’avoir lieu avec la centrale pour enjeu.
Les troupes russes semblent avoir, ces deux derniers jours, jouxté des explosifs aux réacteurs. De source ukrainienne, le général de division Vasilyev, présenté comme commandant de la garnison stationnée à l’usine, a annoncé qu’il était prêt à faire sauter l’usine, entraînant une catastrophe nucléaire : « Soit la terre russe, soit la terre brûlée. Peu importe la difficulté des ordres à exécuter, les libérateurs les exécuteront avec honneur ! »
Ces deux dernières informations (les explosifs et les propos du général), possibles, sont à confirmer. Il est par contre certain que l’armée russe a détruit certaines des lignes à haute tension partant de la centrale.
Selon la compagnie d’État ukrainienne Energoatom, les détecteurs de surveillance des radiations autour de la centrale sont endommagés, de sorte qu’une hausse de radio-activité n’est plus détectable à proximité.
S’il est clair que la responsabilité première de cette situation abominable et inadmissible incombe à Poutine, il doit aussi être dit que la préoccupation première, d’une part de l’AIEA (Agence Internationale de l’Énergie Atomique), d’autre part du gouvernement ukrainien de Zelenski, devrait être la mise à l’arrêt de tous les réacteurs, première mesure pour atténuer quelque peu, certes pas complétement loin s’en faut, le risque immédiat et massif d’une catastrophe pire que Tchernobyl, voire d’une ou plusieurs explosions nucléaires, menaçant l’Ukraine, l’Europe, la Russie et le monde. La destruction de lignes électriques est à cet égard inquiétante, car en cas d’arrêt des réacteurs elle empêcherait le refroidissement du combustible : a-t-elle été faite dans cette intention ?
Le risque de catastrophe est là et ne fait aucun doute. Si les populations de la France à la Turquie n’ont pas encore dû se confiner de manière impromptue, on le doit aux travailleurs de la centrale, techniciens et ouvriers, qui ont continué à éviter le dérapage et l’accident tout en subissant les violences des occupants.
Mais la transparence n’est en l’occurrence pas de mise -mais elle ne l’a jamais été, dans aucun pays, concernant la technologie nucléaire, forme centralisée, militarisée, monopoliste et étatique de production d’ « énergie » pour l’accumulation du capital à n’importe quel coût naturel et humain.
Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a déclaré que Toute attaque contre des centrales nucléaires est un acte suicidaire, et il exige la fin de toute attaque, « oubliant » seulement que l’attaque a déjà eu lieu début mars et consiste depuis dans l’occupation russe de la centrale.
La remarquable discrétion médiatique jusqu’à ce jour sur cette situation ahurissante mais explicable, tient certes à la tendance à vouloir « oublier » la guerre majeure la plus grande et la plus grave ouverte en Europe depuis 1945, mais aussi à ne pas trop commenter cette illustration accablante du danger inhérent à cette technologie mal contrôlée. Ce péril majeur n’intervient-il pas alors même que le parc nucléaire français est frappé, comme prévu et annoncé depuis des décennies, d’un début d’obsolescence, et alors que s’il n’y pas plus d’eau dans la Loire à son estuaire, c’est certes à cause de la sécheresse induite par le réchauffement capitaliste du climat, mais aussi, directement, parce que les centrales pompent l’eau restante ?
Dans cette situation de péril extrême, transparence et information doivent être exigées et c’est un combat. Pourquoi l’AIEA ne demande-t-elle pas l’arrêt de toutes les centrales menacées par les combats, les bombardements et de telles prises en otage, donc de toutes les centrales ukrainiennes ? Gouvernement et armée ukrainiens devraient faire savoir au monde s’ils ont ou non les moyens d’arrêter les réacteurs, et le faire s’ils le peuvent. Cette mesure d’urgence absolue devrait bien sûr aller de pair avec l’aide humanitaire et énergétique la plus ample au peuple ukrainien, à sa résistance armée et non armée.
Troupes russes hors d’Ukraine !
Troupes russes hors de Zaporijjia ! Arrêt de la destruction de ses lignes électriques !
Transparence totale de l’AIEA et des gouvernements européens et ukrainien sur la situation réelle !
Mise à l’arrêt immédiat des centrales d’Ukraine !
« On comprend mal pourquoi les troupes russes auraient bombardé leur propre camp de retranchement »
Peut-être (mais c’est de la pure spéculation) pour essayer de forcer l’Ukraine et l’Occident à négocier la paix. Quoi qu’il en soit, rien n’est maîtrisé dans cette guerre (pas plus que dans une autre), et le fait que l’Ukraine soit si fournie en centrales nucléaire fait que toute escalade ou tout « accident » du conflit peut avoir des conséquences proprement catastrophiques aussi bien pour l’Ukraine et ses voisins immédiats que pour l’ensemble des pays d’Europe et du pourtour méditerranéen. Ce à quoi nous devrions réfléchir, c’est aux moyens d’aider à la négociation d’un cessez-le-feu immédiat et d’une paix durable.
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En ce moment en France des dérogations pour le rejet dans l’environnement d’eaux plus chaudes que selon les normes (déjà laxistes) sur la température de rejet autorisé pour les centrales nucléaires viennent d’être promulguées, au mépris total de l’environnement et des populations – mais pour préserver les profits liés à l’exploitation des centrales. Cela rappelle les décisions des Etats ukrainien puis japonais de relever les seuils de sécurité concernant la radioactivité tolérable (dans les cours d’école, pour l’eau, les légumes, les champignons, etc.) à Tchernobyl puis à Fukushima (voir mon livre de 2012 et surtout celui de Thierry Ribault cité dans mes billets). Toutes ces normes sont du pipeau absolu. Elles ne sont en vigueur que quand tout fonctionne « normalement » (où elles sont déjà bien trop élevées) mais sont abolies dès qu’il y a un accident, un problème ou un danger. Le nucléaire est vraiment une calamité pour l’humanité. Les gesticulations de l’AEIA, complice avec l’OMS de toutes ces manipulations depuis sa création, sont honteuses. Au lieu d’ « alerter » sur les dangers d’un accident à Zaporijia, elle devrait exiger l’arrêt immédiat de tous les réacteurs des 4 centrales ukrainiennes et la sécurisation des piscines et autres équipements de sécurité. Que vaut-il mieux? Faire face à des pénuries graves d’électricité (conséquence de l’absence de reconversion énergétique imposée dans le monde entier depuis 70 ans par les trusts pétroliers et le lobby nucléaire) ou faire face à un accident nucléaire majeur à l’échelle planétaire?
Alain Dubois, 9 août 2022
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Bonjour,
Au sujet du paragraphe : « Le général de division Vasilyev https://focus.ua/voennye-novosti/524694-tut-budet-russkaya-zemlya-ili-vyzhzhennaya-pustynya-komandir-okkupantov-na-zaporozhskoy-aes, commandant de la garnison stationnée à l’usine, a annoncé qu’il était prêt à faire sauter l’usine, entraînant une catastrophe nucléaire : « Soit la terre russe, soit la terre brûlée. Peu importe la difficulté des ordres à exécuter, les libérateurs les exécuteront avec honneur ! »
Voici ce que ISW a trouvé :
« *Des médias occidentaux et ukrainiens ont fait circuler un rapport, probablement faux, selon lequel un général russe aurait menacé de détruire la plus grande installation nucléaire d’Europe, la centrale nucléaire de Zaporizhzhia occupée par la Russie, si la Russie ne pouvait pas tenir la centrale. *Plusieurs organes de presse ont partagé une capture d’écran du site de réseautage social russe Vkontakte qui prétendait citer le chef russe de la garnison d’occupation de Zaporizhia, le général de division Valery Vasilev, déclarant que la Russie avait exploité la centrale nucléaire de Zaporizhzhia et que l’usine serait « soit une terre russe, soit un désert brûlé. » [1] La capture d’écran semblait être un reportage publié dans un groupe Vkontakte dirigé par le *média russe Lenta Novosti Zaporizhia. *Le point de vente lui-même a affirmé que la capture d’écran provenait d’un faux groupe et a nié avoir rédigé le rapport.[2] Le ministère russe de la Défense a condamné le rapport et la capture d’écran comme étant un « faux » et a affirmé que Vasilev se trouvait en Ouzbékistan au moment où il aurait fait la déclaration aux forces de Zaporizhzhia.[3] Quelle que soit l’origine (ou l’existence) du message d’origine, le signalement n’est pas fiable. Il est indirect et ne prétend pas citer une déclaration officielle ou une déclaration faite sur une actualité officielle russe ou sur un site Web gouvernemental.
*Cette fausse déclaration détourne probablement l’attention des risques très réels de la militarisation par la Russie de la centrale nucléaire de Zaporizhzhia, qui peut inclure l’exploitation minière de la centrale et inclut presque certainement le stockage dangereux d’armements militaires à proximité des réacteurs nucléaires et des installations de stockage de déchets nucléaires. **[4] « .* https://www.understandingwar.org/backgrounder/russian-offensive-campaign-assessment-august-8
Patricio
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« Et le temps nécessaire au refroidissement de la centrale en cas de coupure du réseau et pour retirer les barres et permettre l’arrêt des groupes ? « Il faut des mois, voire même des années. La preuve en est, les assemblages déchargés, à la fin du cycle doivent être refroidis trois ans avant d’être transportables. Ils sont ensuite à nouveau entreposés dans les piscines de La Hague où ils sont encore refroidis. » La menace est donc sérieuse. » (https://www.polytechnique-insights.com/tribunes/geopolitique/la-surveillance-des-centrales-nucleaires-en-temps-de-guerre/) – l’article m’a été recommandé par un camarade qui a quitté le POID un peu avant moi.
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Il est hallucinant que tous les commentateurs se répandent en débats stériles sur la question de savoir qui des russes et des ukrainiens seront responsables si un accident nucléaire se produit à Zaporijia. Les deux bien sûr, et avec eux l’AIEA, l’ONU et son Conseil de Sécurité, l’Europe, l’OMS, la Croix Rouge, Greenpeace, etc. Sauf ignorance de ma part, nul de ces intervenants ne dit que dès le début de ‘invasion russe toutes les centrales nucléaires ukrainiennes auraient dû être mises à l’arrêt, et tous les combustibles ainsi que tous les déchets sur leurs sites mis à l’abri de potentiels missiles ou bombes. La question n’est pas de savoir si l’électricité produite par ces centrales doit aller en Ukraine ou en Crimée, mais qu’elles cessent de fonctionner! Et lancer des perspectives de zone démilitarisée autour de Zaporijia est une plaisanterie de fort mauvais goût. Pourquoi pas sur la face cachée de la lune? L’ONU a une armée qui peut aller prendre le contrôle de cette zone, peut-être? Si cela pète, ils seront tous responsables, mais dores et déjà la honte est sur eux. Et le mouvement ouvrier mondial? Que fait-il? Que pourrait-il faire? Ah, c’est vrai, il faut « défendre les emplois » des travailleurs des centrales, pardon… Cela présage de manoeuvres du même acabit lorsque la menace militaire commencera à concerner la France, ce qui n’a rien d’impossible…
Alain Dubois, 12 Août 2022
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