L’œuvre illustrant cet article provient du site de l’artiste ukrainienne Tania Yakunova. L’impressionnante création artistique, picturale et musicale produite par la résistance populaire ukrainienne est aussi un témoignage du caractère de la lutte, de ce côté-là.

La guerre contre l’Ukraine n’entre pas dans sa seconde phase, mais dans sa troisième.

La première phase est une lourde défaite russe : l’Ukraine devait tomber toute entière et il n’en a rien été. Ceci pour trois causes qui, toutes, proviennent non pas d’une aide étrangère, à ce stade significative dans le renseignement seulement, mais de la lutte de celles et de deux d’en bas :

1°) la résistance populaire ukrainienne a immédiatement fait de cette guerre une guerre populaire, nationale et anticoloniale de libération,

2°) la résistance antiguerre bélarusse a saboté le réseaux ferroviaire et les envois de troupes biélorusses ou russes par ce pays, contribuant fortement à battre l’offensive de Poutine sur Ky’iv,

3°) les soldats russes de base ont mal vécu ce qu’il leur arrivait, l’ont mal compris (ou parfois trop bien) et ont fait de la résistance passive semi-consciente et beaucoup ont déserté.

D’où la défaite de Poutine devant K’yiv (bataille de Brovary) et dans le Nord du pays, maquillée en « déplacement de troupes » sur la fin. Par contre le Sud a été largement occupé mais des manifestations de masse des ukrainiens (russophones) ont accueilli les envahisseurs, qui n’ont pu prendre Odessa, aussi en raison de probables mutineries et incidents dans la flotte de la mer Noire, avant même que la Turquie ne ferme les détroits. Le siège de Marioupol a commencé.

La victoire de la résistance défaitiste antiguerre bélarusse a été punie de la pire répression antisyndicale d’Europe depuis Franco et Jaruselski. Les manifs antiguerre en Russie ont été refoulées sous la chape de plomb d’une adhésion passive et massive apparente. Les soldats russes en zones occupées sont passés, sous la conduite cynique volontairement criminelle de l’État poutinien et de leur hiérarchie, au comportement de barbares apeurés, avec des viols, des crimes, et des pillages de masse, que la libération de la grande banlieue de K’yiv a rendus publics auprès du monde (Butcha).

Poutine a alors tourné et annoncé que le but est le Donbass, avec une ambigüité maintenue contre l’ensemble de la côte Sud jusqu’à Odessa, à l’île aux Serpents, à la Dobroudja, donc jusqu’aux abords immédiats de la Moldavie, la tension montant autour de la Transnistrie occupé, et de la Roumanie (bouches du Danube).

La seconde phase devait être une grande bataille de destruction rapide. Ainsi conçue, ce fut la seconde défaite de Poutine : malgré la prise d’Izium, la résistance dans le « chaudron » du Donbass non occupé (Kramatorsk/Sloviansk et Severodonetzk/Lyzystchansk) et surtout la reconquête directe, repoussant les troupes russes, de la zone comprise entre Kharkiv et la frontière Est, ont constitué une nouvelle défaite russe. La résistance de Marioupol puis d’Azovstal a toute sa part dans celle-ci.

Cette seconde défaite, moins visible que la première, est plus une défaite militaire à proprement parler, ce qui lui donne peut-être encore plus de signification, car elle a pour explication fondamentale les mêmes ressorts que la première défaite de Poutine : le peuple armé et non armé soutenant son armée, un élan de nature démocratique, national (intégrant les Tatars, les Rroms, les Juifs, les Grecs …), à dynamique révolutionnaire par l’auto-organisation qui le porte. La rashisme poutinien, au compte de toute la réaction mondiale, combat ce qui en Europe constitue la forme la plus avancée d’auto-organisation populaire au moment présent.

Les livraisons et engagements de livraisons massifs d’armes américaines, avec les 30 milliards promis par Biden portés à 40 milliards par le Congrès, interviennent à ce moment là et seulement à ce moment là, et ne sont donc pas la cause des deux premières défaites de Poutine, essentiellement dues à la levée en masse de la nation ukrainienne armée, aidée de la lutte défaitiste de la nation bélarusse, et de la résistance russe antiguerre, désormais plus faible. Cette aide massive en matériel est bienvenue mais elle résulte de la situation créée par cette résistance « imprévue » et ne la précède pas.

Cette aide ne vise pas à la victoire ukrainienne totale qui est maintenant ce que le peuple souhaite, et sur quoi Zelensky (qui n’a pas toujours eu ce discours) s’est aligné, mais à l’épuisement russe dans la durée, comme une composante supplétive de la guerre économique isolant financièrement et commercialement la Russie par rapport à l’Amérique et à l’Europe, et l’adossant à la Chine qui n’en peut mais.

A cela, la Russie riposte aussi par les coupures de gaz à la Finlande, la Bulgarie, etc., et surtout par le blocus des exportations de blé et de tournesol ukrainien, et le pillage des steppes céréalières du Sud, avec des conséquences mondiales dramatiques notamment pour l’Afrique.

Du point de vue du peuple ukrainien, des bélarusses qui résistent, et des secteurs de la société russe qui sont sous la chape mais cherchent à reprendre haleine, c’est bien la libération de tout le Donbass des troupes russes et des nervis néonazis et mafieux à leur service qui s’imposerait, combinée à la reprise des régions de Kherson et Huliaipolyé.

L’installation dans la « durée » convient d’une part aux visées à moyen terme de Washington, mais aussi aux manœuvres françaises et allemandes dans le registre « ne pas humilier la Russie », ce qui veut dire lui accorder des morceaux d’Ukraine, chose inacceptable du point de vue de la mobilisation populaire comme des droits humains et démocratiques fondamentaux.

C’est dans ce cadre que vient de commencer la 3° phase. Elle ne vise pas à la « libération de tout le Donbass » comme dit Poutine mais à la destruction totale, sur le modèle de Marioupol, de Severodonetzk, Lysystchansk, Sloviansk, Kramatorsk, Lyman, Lozova et toutes les villes d’une région qui fut une citadelle ouvrière et un lieu de voisinage entre ukrainiens et des gens de toutes origines.

Les objectifs de Poutine ont donc été réduits de 1) soumission de toute l’Ukraine à 2) formation d’un Donbass russe unifié et maintenant à 3) destruction physique, matérielle et humaine du Donbass qui avait résisté à la sécession-invasion de 2014. Il y a réduction de l’échelle, mais la finalité génocidaire demeure à chaque étape.

L’intérêt des exploités et opprimés du monde entier est qu’il n’y arrive pas, qu’il soit défait, renversé et jugé le plus vite possible.

Vincent Présumey.