Laurent Degousée vient de réagir vigoureusement au fait que la FI appelle à faire des législatives le moyen d’imposer une « cohabitation » à Macron. Par ailleurs, Gérard Mordillat a fait remarquer dans son billet de lundi matin qu’une élection législative c’est autre chose que la farce présidentielle, ce qui est vrai.

Si tout s’enchaine, il faut saisir l’ordre dans lequel cela s’enchaine. Qu’on le veuille ou non, la prochaine étape politique centrale est le 24 avril. Ceci étant dit en ayant conscience que nous allons aussi essayer de donner de la puissance et du sens à la manifestation de la veille vers l’ambassade de Russie, car après tout, « Poutine, salaud, le peuple aura ta peau », cela a aussi une résonance française, non ?

Le 24 avril Marine Le Pen est en meilleure, ou en moins mauvaise, posture que jamais, cela grâce à Macron. Dans l’équation sur laquelle elle compte, il y a des voix venant de l’électorat de J.L. Mélenchon, principalement du secteur le plus « FI » où, comme on est censé dire maintenant, le plus « union populaire », de cet électorat du 1° tour qui est en réalité diversifié. Et l’on a des courants et des groupes qui jouent avec l’idée de son élection. A titre d’exemple accablant, les néochauvins de « La Sociale » lancent : « Pas une voix pour Macron ! Défaite inconditionnelle de Macron ». C’est là un appel à voter Le Pen. Notons que J.L. Mélenchon a déclaré exactement l’inverse dimanche soir, appelant de fait, sans avoir à le dire, à voter Macron.

La seule et unique manière « de dégager, dans les urnes comme dans la rue, la menace Le Pen et la politique ultra-libérale qui la nourrit », comme l’écrit Laurent, est celle que les partisans du boycott au premier tour que nous avons été, sont les mieux à même de formuler : délégitimer l’élu ou l’élue par le refus de voter visant à faire que son score soit le plus réduit possible par rapport au total des électeurs et à l’ensemble de la population. Car la défaite de l’un par le vote en faveur de l’autre fera le jeu du vainqueur, quel qu’il soit, en faisant remonter le taux de participation au plébiscite présidentiel. Les questions que les partisans du boycott constituant ont posées avant le 1° tour, se posent de manière démultipliée au second !

L’un et l’autre ont peur de la colère sociale qui pourrait, certes, leur valoir leur élection, mais qui menace surtout de leur refuser toute légitimité, même en cas d’élection : on les voit donc expliquer que sur la retraite à 65 ans et la « nécessaire réforme des retraites » – sur la nécessité de laquelle ils sont d’accord !- ils pourraient ne pas être aussi méchants qu’ils l’ont laissé dire, et seraient forcément moins méchants que l’autre, bien entendu !

En disant cela, nous affrontons le risque de l’élection de Marine Le Pen, tout en disant haut et fort qu’il faut la combattre et que le danger qu’elle représente est réel. Oui, mais nous l’affrontons, comme ce serait le cas pour l’élection de Macron si l’abstention est massive, dans une configuration où elle serait d’une courte tête devant lui avec les voix d’une minorité. Ceci n’ouvrirait pas la voie au fascisme triomphant, mais à l’affrontement social et à la crise politique. Dans cette situation, que, notons-le, les dirigeants de la FI et des autres forces politiques se gardent bien d’envisager ouvertement pour dire ce qu’ils feraient, outre les grèves et les manifestations, ce qui s’imposerait c’est l’élection d’une assemblée nationale qui, contrairement à l’esprit de la constitution et des législatives faisant suite à la présidentielle depuis l’instauration du quinquennat par Chirac et Jospin en 2000, ne serait pas l’assemblée du président, mais l’assemblée contre la présidente, pour la chasser !

Et si la raison pour laquelle nos grands penseurs et dirigeants de la FI et des autres forces politiques ne disent mot sur quoi faire dans ce cas-là était un peu, que, attachés à la V° République et donc à son président quel qu’il ou elle soit, ils seraient très ennuyés d’avoir encore plus de mal à vouloir « cohabiter » ?

Mais c’est aussi en cas d’élection de Macron, d’une courte tête et avec les voix d’une minorité, que se pose la question de l’élection de l’assemblée dans ces termes : pas pour cohabiter mais pour affronter le président !

Les propos d’Adrien Quatenens affichent la disposition politique réelle des dirigeants de la FI : ils espèrent que ce sera Macron et ils espèrent le garder pendant 5 ans, et ils affirment vouloir « cohabiter ». Ce qui, d’ailleurs, ne conduira même pas à « cohabiter », mais suscitera – cela s’est déjà produit en 2017 !-  la démobilisation populaire et permettra à Macron d’avoir cahin-caha « son »‘ assemblée nationale, si toutefois cette stratégie politique n’est pas vaincue par le mouvement social.

Il faut une stratégie pour gagner, et ceci est incompatible avec la protection de la V° République. Si nous voulons, comme le souhaite Gérard Mordillat, qu’il y ait un, deux, trois, de nombreux François Ruffin, cela n’est pas possible dans la perspective de la cohabitation avec Macron et cela le serait encore moins dans celle de la cohabitation avec Le Pen !

Cela est possible, par contre, dans la perspective de la démocratie, du combat pour une assemblée constituante prenant le pouvoir, et donc de députés refusant de jouer le jeu de l’assemblée aux ordres et le jeu de la cohabitation.

A moins que les dirigeants de la FI ne s’estiment capable de cohabiter au sens où cela signifierait gouverner avec Macron en faisant quelques « réformes » tout en préservant les intérêts fondamentaux du capitalisme français et de l’impérialisme français ? Si jamais ils en sont capables, alors, nous, les exploités et les opprimés, nous avons besoin d’une force organisée qui nous représente et qui soit capable, elle, de défier le ou la présidente et de refuser de subir encore un quinquennat. Assez joué le jeu de ce régime ! Place à la démocratie !

Si l’on a cette perspective dans la tête et au cœur, on peut affronter, avant les législatives, le 24 avril, et non pas l’esquiver en parlant, par exemple … des législatives, en espérant plus ou moins discrètement que Macron sera assez habile pour récolter des « voix populaires » ou « de gauche », désarmant ainsi par avance les nôtres au cas où Le Pen passerait.

Et l’on peut affronter ainsi le 24 avril, parce qu’en même temps les législatives devraient être envisagées comme la possibilité de refuser une majorité au président, pas pour cohabiter, mais pour le, ou pour la, chasser. Et l’on peut ainsi relier la crise politique qui vient aux grèves économiques qui continuent, et rendre possible un déferlement nécessaire dans la rue le 1° mai prochain.

VP, le 13/04/22.