Présentation

Nous reproduisons cet article de ce jour de Jacques Chastaing car il nous semble utile à la discussion sur les taches immédiates. Nous ne partageons pas son appréciation de l’ampleur des grèves le 29 septembre. Les grèves « réelles » comme celles des raffineries ou les débrayages dans l’automobile chez PSA ne relèvent pas de la catégorie « journée d’action – sans lendemain – décidée par les directions syndicales », ce qu’était l’appel au 29 septembre.

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La grève dans les raffineries, trois sites de Total et deux de ExxonMobil, plus un certain nombre de dépôts pétroliers et d’autres en arrêt pour raisons techniques, débutée il y a 15 à 20 jours suivant les sites, commence à avoir un impact important sur l’économie avec plus de 20% des stations service impactées (selon le gouvernement), 40% dans certaines régions et beaucoup plus dans la réalité selon les témoignages locaux. Mais c’est toute l’économie qui va être touchée d’ici peu avec notamment les transports.

Les enjeux politiques de la grève et de la pénurie d’essence qu’elle entraîne sont encore bien plus importants.

Les pénuries d’essence peuvent très rapidement changer le climat social dans le pays et être le déclic qui peut décider beaucoup d’autres travailleurs à entrer à leur tour en lutte. Il y a en effet déjà beaucoup de grèves pour les salaires, contre la hausse des prix. En même temps, la menace du gouvernement de s’attaquer aux retraites rend l’ambiance encore un peu plus électrique. C’est pourquoi, la perception de l’ampleur de la pénurie est un enjeu important de la situation. Cette perception est celle de la force de la grève et des travailleurs, c’est-à-dire de la prise de conscience par les travailleurs du basculement actuel progressif des rapports de force globaux en faveur de la classe ouvrière. Cette prise de conscience – ce facteur subjectif – peut alors être elle-même un facteur déclenchant de nouvelles luttes. C’est pourquoi, le gouvernement essaie de minimiser à toute force la perception de l’ampleur des stations à sec ou en pénurie partielle, tout en prenant des mesures immédiates d’autorisation à rouler des camions citernes le 9 octobre, de déblocage de stocks stratégiques et d’achat d’essence à l’étranger pour tenter de ralentir dans les jours qui viennent cette prise de conscience.

Tout peut basculer très rapidement.

Les salariés d’une grande entreprise qui entreraient en grève la semaine qui vient et on peut basculer dans le processus de mai 68. On n’en est peut-être pas là mais en même temps on n’en a jamais été aussi proches depuis longtemps. Nul ne peut dire comment vont réagir les travailleurs de PSA qui multiplient les débrayages pour les salaires dans toutes les usines du groupe depuis 15 jours. Et que vont décider les électriciens et gaziers qui mènent des luttes dispersées depuis des mois et des mois aussi pour les salaires mais qui, ces derniers jours, ont pu mesurer combien ils étaient nombreux à être mobilisés avec des grèves dans la majeurs partie des centrales nucléaires et une journée nationale de grève le 6 octobre particulièrement réussie ? Lorsque les travailleurs en grève contre les licenciements chez Camaïeu ont forcé, il y a quelques jours, les entrées du siège de l’entreprise pour l’occuper, ça a été un soutien massif et immédiat sur les réseaux sociaux. Jamais la participation à la grève dans le groupe Carrefour n’a atteint un tel niveau ces derniers jours, avec 120 magasins en grève, et c’est la même chose dans la grande majorité des grèves ces derniers temps, avec des foyer potentiels de départ de feu et d’extension chez Arkéma, Dassault, Lactalis, Air France, dans la petite enfance, chez les chauffeurs de bus, les éboueurs et bien d’autres. Lors de la journée d’action syndicale du 29 septembre, il n’y avait que 250 000 manifestants mais 1 million de grévistes. C’est-à-dire que si les travailleurs ne répondent plus guère aux appels à des journées d’action sans suite ni plan de lutte, ils sont nombreux à vouloir dire leur colère ensemble.

Or, cette perspective d’une grève des raffineurs pourrait non seulement faire traînée de poudre dans d’autres grandes entreprises françaises, avec la possibilité d’une généralisation des luttes pour des augmentations de salaires mais elle s’adosse aussi à une colère encore plus large contre la nouvelle réforme des retraites et le report de l’âge de départ à 65 ans qui liquiderait de fait le droit à la retraite pour la majorité. Près de 70% des français sont hostiles à une réforme des retraites telle que l’envisage Macron et telle que les directions syndicales ont accepté de la négocier en participant aux négociations gouvernementales et et en annonçant en même temps qu’elles ne mèneraient aucune mobilisation de rue.

La grève des raffineurs remet en cause tout l’équilibre actuel et le plan de recentrage du gouvernement vers le « dialogue social » associant les directions syndicales pour tenter de faire passer sa réforme des retraites. D’autant que cette lutte que la fédération CGT chimie appelle à soutenir partout dans le pays le 11 octobre, se rapproche dangereusement pour le pouvoir, des journées des 16 octobre de la NUPES contre la vie chère et de la grève du 18 octobre des cheminots et celle peut-être illimitée des lycées professionnels contre leur liquidation qui pourraient contribuer à agréger toutes ces luttes.

C’est pourquoi, Macron s’est senti obligé d’intervenir depuis Prague pour calmer les choses. Dans le même sens, le gouvernement a changé de ton en demandant aux directions pétrolières qui, jusque là, faisaient office de rempart pour l’ensemble du patronat français en refusant de négocier, de faire au contraire des efforts et d’entendre les exigences des salariés au moins en partie et de négocier. En même temps, les autorités font taire les voix qui se font entendre pour exiger la réquisition des grévistes et demandent parallèlement aux directions syndicales de négocier au rabais, en deçà des 10% que demandent les grévistes de Total.

Ces signes de faiblesse ne signifient pas que demain le gouvernement n’essaiera pas la manière forte en envoyant les CRS comme il l’a déjà fait en 2010 et 2016 contre les précédentes grèves de raffineurs, après les avoir isolées. Mais nous ne sommes plus en 2010 et 2016, le climat général est plus explosif. Cela signifie, en tous cas pour les jours qui viennent, qu’il est possible pour les grévistes en tenant bon, en montrant sa détermination et en étant soutenu par la population, de faire reculer le gouvernement, d’obtenir des concessions importantes et pourquoi pas un début d’indexation des salaires sur les prix. Un tel succès, même modeste, ne peut qu’encourager tous les travailleurs à poser eux aussi leurs exigences pour nous mettre tous en meilleure position pour la défense des retraites, en montant une marche de plus pour tous nous faire passer d’un mode défensif à un mode offensif.

C’est avec de telles expériences que les salariés peuvent entrer en grève générale, parce qu’ils ont besoin pour cela de ce climat social général offensif et plus seulement défensif. Lorsque les luttes contre les régressions immédiates sur les salaires peuvent s’agréger à la lutte contre la régression future générale et large des retraites, peut se créer une dynamique générale qui dise ouvertement dans la lutte ce qui se disait déjà silencieusement dans l’abstention électorale, dans la grande démission, dans l’envie de s’en prendre à l’assistanat des puissants plutôt qu’à celui, raciste ou nationaliste, de ses semblables. L’objectif de l’organisation des gens par eux-mêmes et pour eux-mêmes, comme le mouvement ouvrier l’avait mis en œuvre à partir de la moitié du XIXe siècle pour l’expropriation du grand patronat parasite, peut alors reprendre vie, ainsi que les organisations et les militants qui s’en donnent le but comme ils avaient germé en foule en 1968.

Voilà ce qui se joue aujourd’hui en France, autour de la grève des raffineurs, mais aussi en Grande-Bretagne et bien ailleurs parallèlement dans le monde au travers de nombreuses autres expériences. Alors posons partout où nous le pouvons la question de la grève dans nos entreprises, services, bureaux ou écoles et soutenons de toutes nos forces la grève des raffineurs.

Jacques Chastaing, le 09/10/2022.