Ce qui est annoncé.
Les élections législatives italiennes de demain, dimanche 25 septembre, pourraient voir la victoire de la « coalition de centre-droit » (sic), comprenant, en position dominante – nous verrons pourquoi – les néofascistes de Fratelli d’Italia (Giorgia Meloni, leur dirigeante, est donc présentée par les médias comme la prochaine première ministre), le parti ultralibéral Forza Italia de Silvio Berlusconi, et le parti « populiste-trumpiste-antimigrants » Lega de Matteo Salvini, ainsi qu’une petite formation de droite, Noi moderati.
Berlusconi, Salvini et à présent Meloni, sont trois figures d’aspirants chefs pour un Etat fort, trois figures bonapartistes pour transformer l’Etat italien, objectif permanent depuis des décennies pour les classes dominantes, et jamais atteint. Trois aspirants-Bonaparte dans le même panier, c’est beaucoup et ça va cahoter s’ils gagnent.
Mais s’ils gagnent, nul doute que pendant quelques jours on ne va plus parler que de cela : le fascisme est de retour ! La fascisation des esprits est là ! La droitisation de la société nous entoure ! Le « bloc hégémonique » (pour parler le « gramscien », ce qui aurait hérissé le poil de Gramsci) est de droite ! Médiatiquement et dans les représentations idéologiques des couches militantes de gauche, ce sera terrible. Si en plus Poutine s’effondre, cette excellente nouvelle pour le prolétariat pourrait même être mise en relation par certains idéologues avec cette « montée du fascisme » en Italie et partout, alors que le même Poutine en est pourtant à ce jour le premier organisateur et bailleur de fonds, Italie comprise oh combien …
Les fondements du parlementarisme italien.
En réalité, l’effondrement électoral des partis issus du mouvement ouvrier est en Italie une donnée acquise depuis maintenant trente ans. Revenons rapidement sur ses origines (on pourra se reporter à notre article de 2018, plus développé sur ce sujet).
Suite au blocage par l’appareil stalinien de Togliatti, de la révolution sociale et démocratique qui avait éclaté contre le fascisme en 1943, l’État bourgeois italien a été sauvé et restauré, mais sous la forme d’une république parlementaire présentant en outre deux particularités : elle est régulée par la corruption et les mafias (mafia proprement dite, camora, ndrangheta), et, résultant d’une défaite militaire de l’impérialisme italien et du débarquement américain, elle est étayée sur des forces « supranationales » : OTAN, UE, « mouvement communiste international » dont le PCI (PC italien) était un morceau de choix, et Vatican.
Pendant presque quatre décennies, le système fonctionnait avec la Démocratie chrétienne au pouvoir et le PCI comme « opposition » dominante (flanquée de la social-démocratie dont des secteurs participaient parfois aux gouvernements), hormis la persistance d’un courant néofasciste (le MSI, Mouvement Social Italien) recrutant sur la base des déceptions sociales et de l’affaiblissement national des secteurs petits-bourgeois et du petit et moyen patronat « productif », par ailleurs encensé par tous les partis.
Cette cohabitation permanente, appelée par Berlinguer (dirigeant du PCI) le « compromis historique » en 1975, en faisant passer cela pour la « leçon du Chili » (exactement l’inverse de la réalité : il fallait selon Berlinguer former une grande alliance durable avec la classe capitaliste), est parvenue à épuiser, avec l’aide de la provocation « terroriste » sous infiltration policière et des services secrets de l’Est et de l’Ouest, les puissantes vagues de grève et les mouvements de la jeunesse qui déferlent de 1969 à 1980 (le « mai rampant »).
Le vivier des Macrons italiens : le PCI !
A la fin des années 1980, les besoins des marchés financiers et de l’intégration de l’Italie à ce que l’on appelle alors la « mondialisation », voient l’ouverture d’une crise gravissime, mais sans issue, du système politique existant en Italie. A l’automne 1989, le PCI entre dans un « processus constituant » visant à l’abandon des références communistes, puis socialistes. En 1992, les magistrats lancent la plus formidable vague de procès anticorruption de l’histoire du pays, l’opération Mani pulite qui emporte tous les dirigeants de la Démocratie chrétienne et du PS, ainsi que de divers petits partis bourgeois, conduisant à l’installation d’un premier « gouvernement technique » (confié au gouverneur de la banque nationale …).
Les partis issus du mouvement ouvrier semblent alors se décomposer, entre un PS qui disparaît, le PCI devenant PDS (Partido Democratico della Sinistra) flanqué d’un parti communiste « maintenu », Rifondazione communista, aucune de ces forces ne proposant d’issue démocratique à la crise institutionnelle.
Le gagnant de l’effondrement de la Démocratie chrétienne sera par conséquent Berlusconi, magnat des médias, du sport et de l’immobilier en lutte contre le « pouvoir des juges », qui monte un parti à partir de ses entreprises, Forza Italia, auprès duquel se positionnent les courants « rénovés », relookés et « dédiabolisés », issus du MSI néofasciste (Alleanza nazionale) et la Ligue du Nord.
Mais le bonapartisme italien à la Berlusconi sera une sorte de farce, une figure de matamore reproduisant et concentrant sur lui tous les mécanismes du parlementarisme affairiste et corrompu (il est au pouvoir en 1994-1995, 2001-2006 et 2008-2011).
En fait, le premier épisode Berlusconi n’a pas dégagé la voie à un bonapartisme italien durable, mais a permis au PDS d’achever sa « mue » en fusionnant avec l’essentiel de la Démocratie chrétienne sous le nom de PD tout court, pris en 1997. Le ci-devant appareil stalinien fusionne avec les réseaux cléricaux et bourgeois et exerce le pouvoir – initialement avec le soutien sans participation des « communistes maintenus » – en 1996-2001 puis en 2006-2008, aspirant à devenir le parti central du capitalisme italien.
La plupart des avisés commentateurs et idéologues qui glosent sur l’effondrement historique de la « gauche » en Italie passent généralement à côté de ce fait central : la transformation d’un parti issu du mouvement ouvrier en parti « démocrate à l’américaine », en parti bourgeois, n’a pas commencé avec un PS, mais avec le premier PC d’Europe, et cela dans un processus remarquable par sa continuité !
Les Macrons italiens sortent du giron du PCI. Elle est là, l’ « implosion » initiale fournissant son terreau à toutes les dérives électorales ultérieures, « réhabilitation du fascisme » comprise.
D’une crise institutionnelle à l’autre.
Les successions entre les gouvernements dominés par le PD et les gouvernements Berlusconi pouvaient donner l’impression de l’établissement d’une sorte d’alternance « droite-gauche » perpétuant, finalement, la république parlementaire italienne régulée par la corruption et étayée par l’UE et l’OTAN.
Mais, de même que la crise de régime ouverte en 1989 était liée à la « mondialisation » capitaliste, la crise de l’eurozone, de la dette soi-disant « publique » et de ses taux d’intérêts, met fin à cette alternance apparente en 2011.
Berlusconi esquisse alors une opposition à l’UE et à la Banque européenne de Francfort, qui mettent à mal les intérêts du capital industriel et du fameux « tissu de PME » italien. Il est débarqué, lâché par son propre parti, et le président nomme un premier ministre « technicien » soutenu par le PD, le commissaire européen Mario Monti, véritable coup d’État légal signifiant aux italiens qu’il n’est qu’une seule politique possible (certes, c’était facile avec Berlusconi, sous lequel s’était effectué le passage à l’euro et qui n’a jamais représenté une autre politique !).
Dans le long affaissement des institutions italiennes, calé sur les étapes de la crise du capitalisme mondial, c’est une nouvelle étape. Ses conséquences sur les partis politiques sont profondes : elle ouvre en fait l’arrivée des ligues plébiscitaires « populistes ». Cinque Stelle d’abord, fondé par le blogueur satiriste Beppe Grillo, siphonne l’électorat du PD qui était l’héritier de l’électorat de l’ancien PCI.
Cinque Stelle, idéologiquement, se réclame du « populisme démocratique » à la Mouffe-Laclau – comme Pablo Iglesias de Podemos en Espagne puis Jean-Luc Mélenchon en France, avec cette différence que ces deux derniers se posent en successeurs immédiats des anciens partis issus du mouvement ouvrier, alors que ceux-ci avaient déjà « muté » 15 ans avant Cinque Stelle.
La succession de gouvernements technocratiques étayés par le PD, en l’absence de représentation politique d’un mouvement ouvrier qui, au plan des syndicats et des luttes sociales, n’a pas disparu du tout, s’égrène ainsi jusqu’aux législatives de 2018, à l’origine de l’assemblée qui expire demain. C’est alors que la nouvelle droite et les populistes arrivent au pouvoir : Cinque Stelle, seul, obtient 33% des voix, et forme un gouvernement soi-disant « antisystème » avec la Lega, formation autoritaire qui fournit le ministre de l’Intérieur Salvini, lequel s’affirme comme le candidat au rôle d’ « homme fort ».
Le gouvernement « antisystème » accouche de l’union nationale autour d’un commissaire européen !
Celui-ci ouvre une crise fin 2019, réclamant des élections générales pour concentrer les pouvoirs. Cinque Stelle fait alors alliance avec le PD, début d’une dégringolade qui voit les « populistes antisystème » se rallier à toute la politique « du système », pour aboutir au final au retour d’un commissaire européen « technicien » au pouvoir, Mario Draghi, en 2020, dans un gouvernement cette fois-ci d’ « union nationale », soutenu par tout le monde ou presque, de Cinque Stelle à Forza Italia en passant par le PD …
On peut difficilement se moquer plus ouvertement du vote des italiens, assistant au ralliement systématique de tous les partis existants à la « seule politique possible » qui, sous Draghi, avec la crise économique et la pandémie, prend un tour particulièrement autoritaire. Draghi avait l’ambition de devenir président (le président est en Italie un produit du parlementarisme, élu par un collège de grands électeurs), mais un président cette fois-ci « fort », cumulant l’exercice du pouvoir qu’il avait engagé comme premier ministre avec sa fonction présidentielle. Draghi s’appuyait pour ce faire sur le consensus patronat-syndicats (CGIL) qu’il avait organisé au motif du Covid pour casser le droit du travail, consensus menacé par des « grèves sauvages » dont nous avions rendu compte.
L’impossible présidentialisation, encore et encore …
C’est en janvier 2022 que cette nouvelle combinaison a échoué, décevant les dirigeants patronaux et syndicaux disposés à l’union nationale et à la collaboration organique des classes. Elle a échoué parce qu’aucune force politique en Italie n’a à elle seule la capacité à imposer un pouvoir fort, et que Draghi, tel un Macron qui n’aurait même pas été élu au suffrage universel, n’avait pas de base pour tenter son coup.
La crise parlementaire de l’été 2022 à l’origine des présentes élections est la conséquence, quasi inévitable, de cet échec de janvier. Mais elle se produit dans un contexte nouveau, celui de la guerre de destruction impérialiste de l’Ukraine par la Russie.
Les Fratelli d’Italia.
Face à la campagne électorale qui s’achève, les Fratelli d’Italia ont émergé tout simplement parce qu’ils étaient le seul parti, dans le bloc des partis de droite, populistes et postfascistes, à n’avoir soutenu aucun « gouvernement technique » managé par un commissaire européen, et à n’avoir pas pris part à l’union nationale derrière Draghi. Ils faisaient 4,8% des voix en 2018 mais sont en train de drainer une grande partie de l’électorat de la Lega et de Cinque Stelle. C’est aussi simple que cela, quelques autres particularités sur lesquelles je vais revenir complétant les données présentement favorables à ce parti.
Mais il faut auparavant répondre à une autre question : pourquoi les forces politiques situées à la gauche du PD qui n’ont pas non plus soutenu l’union nationale derrière Draghi ne semblent pas bénéficier de la situation ?
Le Mélenchon italien : pas de constituante pour l’Italie, pas d’armes pour l’Ukraine !
C’est qu’en fait le processus de décomposition de l’ancien parti stalinien hégémonique que fut le PCI ne s’est pas seulement poursuivi à travers les avatars bourgeois du PDS puis du PD, mais aussi à travers Rifondazione communista et ses propres avatars. Son dirigeant historique Fausto Bertinoti, ancien dirigeant confédéral de la CGIL, fut président de l’assemblée nationale, avec le soutien du PD, en 2006-2008 : on ne peut donc pas dire que ce parti était « hors système ». Participant du système tout en maniant la phrase de « gauche radicale », il perdit toute représentation parlementaire au moment même où Bertinoti présidait le parlement !
La niche électorale issue de Rifondazione se retrouve en 2018 dans l’alliance de « gauche radicale » Potere al Popolo (1,14%, aucun élu) qui présente trois traits politiques marquants : l’intériorisation de la théorie de la « droitisation de la société » excluant toute méthode politique posant la question du pouvoir et du régime politique ; le mimétisme de la rhétorique « populiste » dans l’espoir qu’elle marche ; et la vision campiste des relations internationales, dont on voit les conséquences délétères depuis le 24 février 2022.
En 2022, cette coalition semble s’être transformée, mais par l’accentuation de ces traits. Un magistrat anticorruption, un temps maire de Naples, homme politique bourgeois du centre, moderniste, qui fut président de la commission de contrôle budgétaire du Parlement européen en 2009, a fondé un nouveau mouvement dans lequel Potere al Popolo s’est intégré. Attention, attention, oyez oyez bonnes gens : Luigi de Magistris est « le Mélenchon italien », et qui le dit ? Mélenchon lui-même. Dans le Journal de l’insoumission (LFI) du 8 juillet dernier, nous apprenons qu’il est la gauche de la société civile, celle qui parle aux gens !

Nous apprenons aussi qu’à la question que lui pose le Journal de l’insoumission : Pourquoi ne pas proposer une constituante ? Luigi de Magistris répond que non, surtout pas, car en Italie, à la différence de la France, il y a une excellente constitution !
Luigi de Magistris, dont le discours était à peu près celui d’un Macron il y a peu, combat « la finance » et le socle du regroupement qu’il anime, l’ Unione popolare, est « le refus de la guerre », à savoir plus précisément l’opposition à toute aide militaire à l’Ukraine, affirmée dans la conférence constitutive de l’UP le 28 avril dernier.
Sur cette base, des parlementaires de Cinque Stelle ont rejoint la coalition. Antisystème, vraiment ?
Le « Mélenchon italien », ancien magistrat du centre, n’est pas le seul rassembleur des débris du PCI avec des jeunes en recherche d’une issue et des populistes aux parfums variés. Il existe aussi une coalition ouvertement rouge-brune, Italia Sovrana e Popolare, qui se prononce, elle, pour la sortie de l’UE. Son dirigeant Marco Rizzo est issu de Rifondazione par le biais de plusieurs scissions, et il est ami de l’idéologue « nietzchéo-heideggérien » Gianni Vatimo. Il se targue de ses relations avec le pilier du régime de Poutine Ziouganov, chef des « communistes » russes, et avec les « combattants du Donbass ». Bref, nous avons là, en gestation, une formation rashiste en Europe occidentale. Mais antifascista, comme de bien entendu …
Le Partido Communista Italiano, membre de Potere al Popolo en 2017, se présente à part cette fois-ci. Disons simplement que son site internet nous apprend que, « selon le ministère russe de la Défense », l’Ukraine est le « laboratoire biologique » de la CIA …
On comprendra donc qu’il n’y a aucun débouché possible du côté de la prétendue « gauche de la gauche » qui n’a d’ailleurs aucune envie de jouer ce rôle et dont le cœur lorgne vers la synthèse rashiste populisto-poutinienne.
On peut donc rejoindre le diagnostic porté par le petit Partido Communista dei Lavoratori, se réclamant du trotskysme et ne soutenant pas, lui, l’invasion impérialiste de l’Ukraine : Il vuoto di rappresentanza politica indipendente di diciotto milioni di salariati resta dunque al centro dello scenario politico. « La vacuité de la représentation politique indépendante de dizaines de millions de salariés reste donc au centre de la scène politique. »
Giorgia Meloni.
Les Fratelli d’Italia sont donc les ultimes bénéficiaires d’une impasse généralisée, n’ayant eu d’autre réussite que de priver le prolétariat de relais politiques, mais échouant sur tous les autres plans : modernisation sociale, économique, de l’Italie, et présidentialisation de son régime politique.
Giorgia Meloni est bien entendu candidate à la réalisation de cette tâche.
Outre le fait qu’ils ne se sont pas compromis dans les combinaisons gouvernementales des dernières années, les Fratelli d’Italia et plus particulièrement Giorgia Meloni elle-même ont travaillé leur « profil » politique pour essayer de gagner sur plusieurs terrains à la fois.
Ce parti a gardé la flamme tricolore, héritée du MSI, comme emblème, alors que l’Alleanza nazionale de Gianfranco Fini s’en était débarrassé. La filiation avec Mussolini, sans être clamée à tout propos, est assumée. Il faut bien comprendre que, en termes de mémoire, le mal est fait depuis les années 1990, lorsque le PCI devient un parti néolibéral et lorsque Berlusconi fait alliance avec les postfascistes. Le maintien de cette référence assure donc une image « dure » et « antisystème » aux Fratelli.
Giorgia Meloni combine cela au fait, certes indéniable, qu’elle est une femme, et elle mise, en prétendant que c’est en tant que femme, sur la fibre « sociale, catholique et familiale ». Le droit à l’avortement pourrait être directement menacé, avec le soutien de larges secteurs catholiques, si elle arrive au pouvoir. Son « néofascisme » est très catholique.
Ceci a facilité les liens avec le PiS polonais, qu’elle met en avant, depuis février 2022, de préférence aux liens avec Orban et avec Poutine. De même, elle se déclare atlantiste et européiste.
Meloni ne serait donc pas poutinienne, alors que Salvini et Berlusconi …
Salvini, qui portait des tee-shirts à l’effigie de Poutine avant le 24 février, s’est notoirement rendu à l’ambassade russe à Rome le 1° mars dernier, et sans doute à d’autres reprises, avant de s’engager dans les élections anticipées. Selon la Stampa, une délégation de son parti a rencontré un représentant de Poutine avant de décider de ne pas voter la confiance au gouvernement, mi-juillet. Il a fait campagne, dans le cadre des élections, contre les sanctions imposées à la Russie, et, en des termes qui pourraient être ceux d’un syndicaliste stalinisant ou d’un « pacifiste de gauche », il déplore que l’argent des armes fasse monter la facture payée par les pauvres.
Berlusconi a une vieille « amitié » avec Poutine comme bien des dirigeants européens, et il s’était rendu auprès de lui en Crimée. Il a choisi l’avant-veille du vote pour rappeler ce lien fondamental en expliquant que Poutine a bien été « obligé » d’envahir l’Ukraine à cause de la situation « dramatique » dans le Donbass crée par « le régime de Zelensky », que Poutine a tenté de remplacer par un « gouvernement de personnes décentes » !
Meloni, par contre, tient sur des positions alignées sur l’impérialisme nord-américain. Mais son lieutenant pour le Piémont, Maurizio Marrone, est un familier des voyages dans la « République populaire du Donbass », dont il est un représentant « accrédité », et l’une des candidates de Fratelli d’Italia et élue en Sicile, Carmela Bucalo, a été agréée comme représentante par la « République populaire de Louhansk ». Une représentante russe directe, aujourd’hui liée au bataillon ouvertement nazi de l’armée russe Rusitch, Irina Ossipova, italo-russe, a fait campagne avec Meloni en 2016. Meloni tient ces relations à distance depuis février 2022, mais ce qu’elle avait appelé auparavant le « modèle poutinien appliqué à l’Italie » (État fort, famille, travail, patrie), reste, sous la forme catholique-conservatrice, son orientation générale (merci à Andrea Ferrario pour ces renseignements).

Remarque sur le poids croissant de la question russe dans toutes les situations nationales.
Nous pouvons constater que la question russe – pas la question ukrainienne : il n’y a pas de question ukrainienne, mais une question russe – joue un rôle central, comme une sorte de spectre (car elle est peu abordée dans la campagne), dans la situation politique italienne.
A gauche, elle contribue de manière décisive aux dérives « populistes », soit sous la forme « citoyenniste » de Luigi de Magistris, soit sous la forme brun-« rouge » de Marco Rizzo, et donc à l’absence de perspective. Il y aurait aussi beaucoup à dire sur son poids dans les syndicats, tant la réformiste CGIL que les « radicaux » unionistes de bases et COBAS, et les opérations pour priver l’Ukraine d’armes au nom de la « paix » et de l’ « anti-impérialisme ».
On ne saurait défendre une issue politique démocratique dans son pays quand on combat pour que soit désarmé un peuple confronté à une guerre d’agression impérialiste. Les luttes sociales en Italie comme ailleurs ont besoin de s’étendre, de s’unir et de se centraliser contre le pouvoir en place, et elles sont et seront aussi des luttes démocratiques pour empêcher la présidentialisation de l’État, et défendre les migrants et les réfugiés, ainsi que les droits des femmes. Dans ce mouvement, elles aboutissent forcément, comme ailleurs, à la question du pouvoir. Non, M. de Magistris le « Mélenchon italien », la constitution italienne n’est pas démocratique, ce parlementarisme corrompu n’est pas la démocratie. Il risque de se transformer en régime présidentiel mais pour empêcher cela il faut le remplacer par une vraie démocratie. Et donc, la question d’une vraie constituante n’a rien de superflu en Italie aussi.
En cas de victoire du prétendu « centre-droit », la question russe passera au premier plan des rivalités et des tractations entre les trois générations de candidats-Bonaparte qui seront au pouvoir. Meloni arbitrera en fonction des intérêts du capital italien, que ce soit en se référant à Poutine ou pas : son axe sera de casser la démocratie et les droits. Ce n’est pas du tout le triomphe ouvert ou rampant d’un fascisme post-moderne qui est à l’ordre-du-jour en Italie. C’est la montée des affrontements sociaux et démocratiques. Mais pour gagner, les prolétaires italiens, les femmes, le peuple, ont besoin de construire leur représentation politique en dehors de toute union nationale ou internationale, poutinienne ou européiste.
VP, le 24/09/22.