Cinq semaines après le déclenchement de la guerre impérialiste russe de destruction de l’Ukraine, les armées de Poutine ont subi une profonde défaite avant tout politique, et par conséquent militaire et morale.

Alors que le président russe croyait que l’Ukraine tomberait comme un fruit mur, c’est une guerre populaire de libération nationale qui s’est déclenchée, dans laquelle toute la population participe directement ou indirectement au combat. Tout partisan conscient de l’émancipation humaine et de la révolution sociale devrait comprendre qu’elle passe par là et que l’initiative populaire massive dans la lutte contre un envahisseur impérialiste supérieur techniquement, a une portée révolutionnaire.

Les soldats russes connaissent un taux de perte énorme et de très nombreuses désertions, allant jusqu’au passage dans les rangs ukrainiens. A Tchernobyl, privés de toute information sur les dangers du lieu, les soldats russes ont remué terre, métal et bois pendant trois semaines et sont maintenant hospitalisés en masse en Biélorussie.

Cependant, les structures russes de commandement utilisent la désorientation morale et psychologique des jeunes soldats pour les pousser au crime. Pillage, massacre – avec la pratique de la zatchistka, le « nettoyage », née dans la seconde guerre de Tchétchénie, consistant à laisser les gens tués devant leurs maisons -, viols massifs, et fosses communes : tel est le tableau honteux que découvre la libération des campagnes et des petites villes autour de Kyiv et de Kharkiv, en même temps que des bombardements de destruction, ciblant les civils et les infrastructures et n’épargnant pas (sauf, pour le moment, à Kyiv, car détruire la « mère de la Sainte Russie » poserait un problème politique) le patrimoine historique, se poursuivent un peu partout. La famine est également, très clairement, une arme de guerre à Marioupol, ainsi qu’à Izioum et dans plusieurs villes du Donbass.

Les prisonnières ukrainiennes libérées dans le cadre d’un échange de prisonniers ont été tondues : mais elles sont fières, ce qui est la première défaite des brutes coloniales grand-russes, qui en annonce d’autres. Mais à quel prix ?

Les troupes russes se réorientent contre le Donbass et le Sud de l’Ukraine, préparant clairement une opération massive de purification ethnique avec les crimes de masse et les déportations qui vont l’accompagner. Cette guerre impérialiste est réactionnaire sur toute la ligne, et il s’agit de la guerre impérialiste russe.

La responsabilité du mouvement ouvrier mondial et de l’internationalisme, c’est d’appeler à armer la résistance ukrainienne et d’exiger de nos gouvernements l’envoi d’armes, défensives et offensives, en toute transparence et sans leur accorder le moindre blanc-seing, le moindre soutien politique. L’opposition des bureaucrates de toutes les organisations, sectes « révolutionnaires » comprises (souvent en première ligne !), est flagrante : elle pose tous les problèmes de la réorganisation, du réarmement, au sens pratique comme au sens théorique, de l’internationalisme aujourd’hui.

En partie sous la pression des opinions publiques, en partie pour « tenir » le gouvernement ukrainien et mener leur politique propre de pression coupant l’impérialisme russe du marché mondial, les Etats-Unis, les puissances européennes, ainsi que la Turquie qui craint une hégémonie russe en mer Noire, fournissent quelques armes, dans des conditions non transparentes (on notera le refus d’Israël de fournir des armes). Un tiers environ des véhicules de combat russes acheminés sur le terrain ayant été capturés par les Ukrainiens, l’armement ukrainien est renouvelé par ce biais beaucoup plus que par l’aide venant de pays de l’OTAN. L’infériorité ukrainienne en matière d’artillerie et au plan aérien est décisive : si elle était surmontée, la défaite russe totale serait très rapide sur tout le territoire Donbass compris et l’effondrement du pouvoir de Poutine facilité. Le seul domaine où l’on peut supposer que l’aide de l’OTAN est décisive est celui du renseignement, voire de la cybersécurité, encore qu’en la matière les hackers ukrainiens, entrainés depuis des années contre la pression russe, sont parmi les meilleurs du monde. Et l’on sait aujourd’hui que la colonne géante de chars qui, au début de la guerre, devait écraser Kyiv telle un marteau-pilon, a largement été défaite par les raids éclairs d’une trentaine de jeunes se déplaçant en quads, maîtrisant informatique et drones, et dont le financement a reposé sur des réseaux participatifs, leur permettant notamment de se procurer des modems et des caméras thermiques, qui font partie du matériel de solidarité demandé d’urgence par des responsables syndicaux ukrainiens (FPU et KVPU), avec des gilets pare-balles corrects et des fusils. Cette structure coopérative armée, dont le rôle a été décisif, est dénommée Aerorozvidka.

Dans cette situation, à quel jeu jouent certains courants et organisations qui peuplent encore notre mouvement ouvrier ?

A l’aéroport de Pise, en Italie, l’Union Syndicale de Base (USB) a affirmé avoir découvert des armes dissimulées dans des avions d’aide humanitaire devant se rendre en Pologne. Convaincus qu’il s’agissait d’ « armes pour l’Ukraine », les responsables du syndicat et de plusieurs formations staliniennes, pacifistes ou d’ « extrême-gauche », ont rassemblé, le 14 mars, quelques centaines de manifestants et obtenu la promesse des autorités aéroportuaires de « ne plus recommencer ». Notons qu’il est fort possible que ces armes aient été destinées aux bases polonaises de l’OTAN plutôt qu’à la résistance ukrainienne, mais passons. Les médias officiels russes étaient là pour filmer le petit rassemblement.

Le mouvement italien « contre la guerre » est en fait, très largement, un mouvement pour que les Ukrainiens n’aient pas d’armes. Ce n’est donc pas un mouvement contre la guerre, mais un mouvement pour aider Poutine à massacrer les ukrainiens, un mouvement pro-impérialiste, quelles que soient les illusions et les bons sentiments de ses participants.

A Gènes, les mêmes forces politiques d’ « extrême-gauche » et staliniennes se sont retrouvées quelques jours plus tard, aux côtés de l’archevêque catholique de Gènes et de l’évêque de Savone, autour de cette impérieuse exigence : « la pacce », et donc, pas d’armes, surtout pas d’armes pour l’Ukraine !

La coalition Potere al Popolo, de « gauche antilibérale », et ses élus, lancent un appel à un « mouvement antiguerre européen » dont les deux premiers mots d’ordre sont : pas de sanctions contre la Russie, pas d’armes pour l’Ukraine (suit l’accueil « de tous les réfugiés », « un monde sans armes nucléaires », etc.). Appel suivi d’effets, nous allons le voir un peu plus loin.

Il faut bien comprendre que cette orientation affaiblit directement la lutte de classe des travailleurs italiens. Les SiCobas, syndicats de base, avaient commencé à briser l’union nationale soi-disant « antiCovid » derrière Draghi cet automne, et nous en avions rendu compte. Mais là, ils associent de plus en plus systématiquement l’opposition à l’austérité gouvernementale et … à l’armement des ukrainiens (« non au gouvernement de la guerre et de la vie chère » …), alors que ce second point est pleinement partagé par la direction de la principale confédération, accusée jusque là à juste titre par les SiCobas de cogestion avec Draghi, la CGIL ! Plus encore, l’essentiel de la droite et de l’extrême-droite italiennes, avec la Lega et le Movimiento Cinque Stelle (version droitière du « populisme » en Europe occidentale, dont les deux autres versions plus « gauches » sont les « insoumis » français et « Podemos » en Espagne, organisations dont les chefs sont également mobilisés contre l’aide à la résistance ukrainienne), sont aussi sur cette position, de même, on l’a vu au passage, que les dignitaires du clergé catholique.

Ainsi est perdu le début d’indépendance de classe de cet automne, et il ne faut pas s’étonner que les plus larges masses n’entrent pas dans ce type de mobilisations qui, sous couvert de fausse radicalité « contre l’OTAN », sont en fait les véritables manifestations de l’union sacrée : union sacrée pour protéger Poutine, union sacrée pour couvrir les impérialismes « occidentaux » en faisant croire qu’ils aident massivement l’Ukraine alors que ceci est faux, union sacrée avec les secteurs de la bureaucratie CGIL, du patronat, de l’Église, de la droite et de l’extrême-droite qui veulent une Italie « non alignée » et « indépendante » agissant pour « la paix » ! La « paix » a bon dos !

L’initiative italienne cherche à faire école. En Grèce, le parti néostalinien KKE et ses réseaux syndicaux font croire que « les impérialismes » s’affrontent en Ukraine, ignorant l’existence des ukrainiens ou les présentant comme les valets de l’OTAN voire pire, et appellent, bien entendu, à « la paix », et pour cela, le syndicat des cheminots qu’ils contrôlent appelle à bloquer les « armements de l’OTAN », c’est-à-dire en réalité à tout faire pour que les ukrainiens désarmés se fassent tuer, tout en faisant croire que l’OTAN les aide. En France, le congrès de la Fédération CGT de la Chimie, à rebours et contre le travail internationaliste réel de la Commission internationale de la confédération, apporte son plein soutien à « l’action de Pise » érigée en modèle.

A partir de l’épicentre italien, une réunion européenne est annoncée le 3 avril « contre la guerre », sans un mot contre Poutine. Ces partisans annoncés du désarmement des ukrainiens massacrés sont les organisations suivantes : le PRC et Potere al Popolo d’Italie, Podemos et Unidas Podemos (incluant le PCE) dans l’État espagnol, le PCF et la France insoumise en France, le PTB belge, le HDP de Turquie, le PC autrichien, Die Linke d’Allemagne, et, en guest star, la ministre « anti-OTAN » du gouvernement de la monarchie espagnole membre de l’OTAN, Mme Ione Belarra, secrétaire générale de Podemos et ministre des Droits sociaux à Madrid. Ces gens-là appellent à agir « contre la guerre, l’envoi d’armes, les sanctions, pour la paix et une solution diplomatique du conflit » : comment ne pas voir que nous avons-là les partisans de l’union sacrée de leur propre impérialisme, y compris en tant que participant de l’OTAN, avec l’impérialisme russe, pour le désarmement et le massacre du peuple ukrainien ? Honte à cette crapulerie !

Les voilà, les pro-impérialistes d’union sacrée. Et de même que Poutine prostitue les mots, appelle « dénazification » les méthodes du fascisme, viols de masse et purification ethnique, ces loques du XX° siècle parasitant les combats nécessaires du XXI°, ruissellements du stalinisme sous toutes leurs formes, des libéraux droitiers, otaniens, européistes, gouvernementaux d’Italie aux rouges parfois bruns « anti-impérialistes », communiant à nouveau sous le mot de « paix », le prostituent au service de leur vraie cause : la guerre.

Les seuls anti-impérialistes, y compris par rapport aux puissances impérialistes membres de l’OTAN, sont aujourd’hui celles et ceux qui militent pour armer la résistance ukrainienne. Dans toute l’Europe, sont ou vont être lancés des appels à manifester les 23 et 24 avril contre Poutine (le samedi 23 en France) contre la guerre, pour le soutien à la résistance ukrainienne y compris en armes. Il n’y a pas de conciliation possible entre les deux lignes, celle de la lutte internationaliste et anti-impérialiste d’un côté, celle de l’union sacrée avec Poutine pour le « non-alignement » des capitalismes européens de l’autre. Elles doivent et vont s’affronter, en même temps que les peuples ukrainien, russe, bélarusse, kazakh, doivent affronter directement Poutine. Bien sûr que nous devons aider en nourriture et en médicaments le peuple ukrainien et nos camarades des syndicats KVPU, FPU, du Mouvement social, de la Ligue socialiste, anarchistes, féministes, LGBT, unités de la Défense territoriale, mais la question des questions est celle des ARMES. Combattre l’union sacrée, c’est combattre pour armer les ukrainiens. Et le terrain de ce combat, c’est la lutte des classes, c’est le mouvement ouvrier mondial.

VP, le 03/04/22.