Ce lundi 5 septembre les Britanniques connaîtront le nom du futur Premier ministre que le Parti conservateur fera succéder à Boris Johnson, ou plutôt, de la future cheffe du gouvernement britannique, selon les sondages favorables à Liz Truss. D’entrée, elle confrontera son programme anti-social à une situation particulièrement tendue. Une inflation à deux chiffres risque d’exploser vers les 22 % en 2023, selon des prévisions de la banque Goldman Sachs. La vie chère, l’impossibilité de payer les factures d’énergie provoquent, malgré les lois anti-grève de Thatcher, un nombre de grèves qui se sont étendues en août par leur durée et le nombre des secteurs concernés. Notre camarade du WIN, Roger Silverman, analyse dans un article publié le 11 août dernier dans On The Brink la manière dont les travailleurs de Grande Bretagne abordent cette nouvelle situation.
Travailleurs levez-vous ! La riposte a commencé
Par R. Silverman
(…)
En Grande-Bretagne on assiste à un soulèvement massif des cheminots, des postiers et des salariés des télécoms, des dockers, des aéroportuaires, des chauffeurs de bus… Il faudrait remonter d’un demi-siècle, aux années 1970, pour assister à une situation comparable. Ensuite, Mme Thatcher s’était raconté qu’en fermant les centres de production industrielle de la Grande-Bretagne, en détruisant les mineurs, les ouvriers des constructions navales et les ouvriers de l’automobile – elle pourrait soumettre les travailleurs. Désormais, ses successeurs sont confrontés à des grèves de médecins hospitaliers, d’enseignants, de professeurs d’université, d’avocats et de médecins généralistes d’un côté et de chauffeurs-livreurs Amazon, de femmes de ménage et de chauffeurs Uber de l’autre. Nous sommes à la veille d’une révolte massive de millions de travailleurs résistant à la pauvreté. Les appels à la grève générale semblent soudain une banalité, presque devenus des lieux communs .
Pourtant, la classe ouvrière se retrouve politiquement privée de ses droits. Où est l’opposition politique ? Créé à l’origine par les syndicats pour défendre les intérêts de la classe ouvrière, le Parti travailliste est dominé par une clique crypto-conservatrice. Keir Starmer est déterminé à apaiser la classe dirigeante et à la rassurer sur le fait que le Parti travailliste est redevenu « un lieu sûr » en chassant les centaines de milliers de militants qui, sous la direction de gauche de Jeremy Corbyn, avaient fait irruption dans ses rangs pour en faire le plus grand parti de masse en Europe. Lors des élections de 2017, le manifeste radical du Labour a suscité trois millions et demi de voix supplémentaires par rapport aux élections précédentes, deux ans plus tôt. Même lors des élections de 2019 – un sérieux revers – les travaillistes ont quand même remporté plus de voix qu’en 2015, ou 2010… ou même qu’en 2005 lorsque les travaillistes ont gagné.
Sous la direction actuelle de gens étrangers à la classe ouvrière, des milliers de personnes ont vu leur adhésion sommairement « résiliée » sans audience ni droit d’appel, et un grand nombre d’entre elles ont abandonné par dégoût. Les adhésions ont chuté d’au moins 250 000 ; les finance du parti sont passées d’un excédent record de 13 millions de livres sterling à la faillite et les chiffres des votes lors des élections partielles successives ont chuté de deux tiers de manière catastrophique depuis l’ère Corbyn.
D’une manière ou d’une autre, la classe ouvrière trouvera son expression et une voie vers la création d’un parti socialiste de masse. En attendant, s’il y aura certainement des candidats indépendants de gauche dans de nombreuses circonscriptions aux prochaines élections (dont la mienne [celle de Roger Silverman] à Newham), aucun individu, aussi charismatique soit-il, ne peut lancer un tel parti par la seule force de sa personnalité. La tâche immédiate est de mobiliser les centaines de milliers de personnes qui s’étaient auparavant ralliées à la bannière de Corbyn, et surtout d’établir une base solide dans les syndicats.
Des millions de personnes cherchent une expression politique pour affronter ce gouvernement de spéculateurs, de requins des fonds spéculatifs et de blanchisseurs d’argent sale et pour parler au nom des travailleurs aux salaires de misère, des familles vivant des banques alimentaires, des ménages sans chauffage, des jeunes sans avenir. (Selon des sondages d’opinion respectables, 70 % des moins de 25 ans en Grande-Bretagne sont en faveur du « socialisme ».)
Une tâche immédiate est de construire un front uni contre le cauchemar des hausses de prix paralysantes. « Je ne peux pas payer, je ne paierai pas » n’est pas qu’un slogan accrocheur, c’est une affirmation claire de la dure réalité. Le non-paiement n’est pas une question de choix mais un fait prosaïque de l’existence : des millions de personnes ne peuvent tout simplement pas payer. Nous devrions tous nous unir autour d’une campagne massive d’action directe : marches et manifestations, piquets devant les compagnies de l’énergie ; occupations de supermarchés et de grands groupes alimentaires ; soutien aux grèves pour des salaires plus élevés ; blocages et piquets. Nous devrions appeler à un gel du gouvernement sur les hausses de prix ; une augmentation immédiate de 15 % des salaires et des aides sociales ; un gel des prix de l’énergie, des limitations légales de prix pour les maintenir à des niveaux accessibles ; des augmentations automatiques des salaires et des aides sociales pour suivre le rythme de l’inflation.
R. Silverman, On the Brink 11/08/2022
Traduction par nos soins
Sans surprise, la Parti conservateur a nommé Liz Truss qui ira se faire adouber par la Reine d’Angleterre à Balmoral.
Plus que les frasques de Boris Johnson, son incapacité à réduire la montée du mouvement social a provoqué son éviction. Liz Truss, nouvelle première ministre, le remplace sur un programme anti social de baisse des impôts. Elle sera toute aussi impuissante face à l’inflation et exaspérera la colère sociale y compris dans son électorat.
En complément de l’article de Roger Silverman, j’emprunte à Jacques Chastaing les informations suivantes sur des échéances proches, de conférence nationale à risque dans le Labour Party et de Congrès national du syndicat (TUC). Mais surtout les remarques de Jacques Chastaing sur l’auto-organisation des classes paupérisées dans le cadre des campagnes « Enough is enough » ou du refus de payer les factures d’énergie, donnent bien la dimension d’ un mouvement massif, débordant le cadre imposé par les directions syndicales. Ces mobilisations prennent de fait, dans un contexte de grève générale, une dimension politique de désobéissance civile, d’affrontement avec l’Etat, qui ne sera pas sans conséquence sur les luttes de classe contre la vie chère dans tous les pays.
Jacques Chastaing :
« Du côté de la gauche, bien que Keir Starmer, le chef du Parti Travailliste ait proposé ses services comme premier ministre pour casser les grèves et qu’il ait sanctionné un député qui avait rejoint un piquet de grève, ça commence aussi à vaciller. En effet, 600 élus travaillistes viennent de se déclarer publiquement favorables aux grèves désavouant ainsi leur dirigeant tandis que les cheminots ont eux choisi en protestation de faire grève le 26 septembre, date de la conférence nationale du Parti Travailliste. Par ailleurs, à l’approche du Congrès national des syndicats, le TUCC, le 11 septembre, plusieurs dirigeants, dont ceux des deux plus grands syndicats, Unison et Unite, organisant 2,5 millions de travailleurs, ont déclaré sous pression de la base qu’il faudrait qu’ils synchronisent un peu plus les luttes en cours et ont lancé des appels en ce sens et le TUC a fini par appeler à une manifestation nationale devant le Parlement le 19 octobre.
Or le seul problème qui se pose pour un succès de la grève vient de là, – et c’est désormais dans la tête de beaucoup – la désorganisation voulue des grèves par les directions syndicales qui refusent totalement de les coordonner.
L’avenir des classes populaires britanniques – mais pas seulement puisqu’un succès ou une défaite aura un impact sur toute l’Europe – va se jouer sur cette question.
On ne peut guère compter sur les directions syndicales qui font entièrement partie du système pour coordonner ces grèves. Mais c’est peut-être la société civile qui le fera.
En témoigne le succès de la campagne nationale « Enough is Enough » (Trop c’est Trop) qui dénonce la hausse des prix et qui compte déjà 500.000 adhérents alors qu’elle n’a été initiée qu’en août, demandant des augmentations de salaire généralisées, la baisse des tarifs de l’énergie, la lutte contre la faim et l’habitat indigne et une taxation importante des grandes fortunes. Le mouvement s’est étendu à plus de 70 villes au Royaume-Uni et appelle à une manifestation nationale le 1er octobre.
Et puis, avec une démarche encore plus radicale, le mouvement « Don’t Pay » (Ne payez pas) incite les citoyens britanniques à cesser de payer leurs factures d’énergie à partir du 1er octobre qui a déjà eu une prolongation en Italie. Leur pétition en ligne rassemble déjà quelques 130.000 signataires, vise rapidement le million ou plus et a déjà organisé plusieurs manifestations pour brûler les factures.
Or ces mobilisations citoyennes réunissent toutes les classes pauvres, de toutes les professions, y compris bien sûr, des grévistes ou des familles de grévistes. C’est là où peuvent se rencontrer et s’organiser ensemble les travailleurs en grève pour coordonner leurs luttes.
(J. Chastaing, FB, 4 /9)
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La remarque de Silverman sur le Labour vidé des jeunes amenés par Corbyn, Labour qui pouvait être « le parti ouvrier le plus puissant d’Europe » me fait penser à la FI, dont Mélenchon ne veut pas, lui non plus, qu’elle soit le plus grand parti progressiste démocratique français. La « forme parti » serait dépassée ? Ce n’est pas mon avis.
Mon avis, je l’exprime dans « Critique de la raison gazeuse » qui sera édité par « à plus d’un titre » comme « …Ni Tribun ». Nous serons à la fête de l’huma, sur ce stand d’éditeur. « Critique de la raison gazeuse » sera disponible en preprint.
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