Dans un long entretien sur BFMTV, mardi 19 avril, Jean-Luc Mélenchon a exposé ce qu’il présente comme sa stratégie pour les prochains mois : devenir premier ministre, aussi bien de Le Pen que de Macron, ce qui relativise le scrutin du 24 avril, et le devenir par une majorité « insoumise » ou « union populaire » à l’assemblée nationale qui devrait être élue en juin, cela par l’élargissement aux abstentionnistes du vote d’adhésion (le vote utile ne ferait que dans les « 2% » !) obtenu par lui le 10 avril dernier. Tel est le résumé de l’essentiel de son propos.

L’interprétation, disons bienveillante, de ces déclarations, qui tout naturellement est celle de militants voulant mettre leur espoir dans J.L. Mélenchon, est qu’on pourrait toujours avoir une majorité de gauche à l’Assemblée nationale et forcer ainsi un gouvernement de cohabitation où les pouvoirs du président ou de la présidente se trouveraient fort réduits et où le premier ministre aurait, de fait, le pouvoir exécutif, ce dont sa troisième place et son score significatif du 10 avril lui confèrent la légitimité.

Il y a, dans une telle interprétation, un paradoxe intéressant. D’un côté, elle pose que le système présidentiel et la V° République restent en place, que Macron ou Le Pen sera donc « légitime » et cela pour cinq années. D’un autre côté, elle imagine une sorte de situation de double pouvoir dans laquelle le vrai président deviendrait le premier ministre s’appuyant sur une majorité de députés s’appuyant eux-mêmes sur une « union populaire ». Une telle construction est tout sauf réaliste !

Dans la V° République, le chef de l’exécutif, chef de l’État, chef des armées, incarnation supposée de l’unité nationale, représentant de la France dans le monde, est et reste le président. De Gaulle n’imaginait pas la possibilité d’une assemblée élue contre le président et avait prévu la dissolution dans la constitution. Quand cette possibilité s’est sérieusement dessinée, aux législatives de 1978, la division PCF/PS en a empêché la réalisation et a reporté la victoire électorale de la gauche aux présidentielles de 1981.

C’est François Mitterrand qui a accommodé la pratique de la cohabitation, dans laquelle le président reste le personnage surplombant l’État et la nation, disposant de son domaine réservé – armée, nominations, diplomatie, nucléaire, Françafrique ! -, et capable de ne pas signer une loi le cas échéant. Ses cohabitations avec les premiers ministres Chirac (1986-1988) puis Balladur (1993-1995) se sont effectuées sur ces bases, puis la cohabitation Chirac/Jospin en 1997-2002 de même, avec comme condition une politique gouvernementale qui ne gênait pas le moins du monde le président Chirac (rappelons que J.L. Mélenchon fut ministre de l’enseignement professionnel de l’exécutif Chirac/Jospin, et s’en félicite encore). Craignant toutefois un affaiblissement tendanciel de la figure présidentielle en mode « reine d’Angleterre », Jospin et Chirac furent d’accord pour réformer la constitution en faisant passer le quinquennat assorti d’un calendrier électoral plaçant, sauf dissolution décalant le calendrier mais désormais improbable, les législatives dans la foulée et la dépendance de l’élection présidentielle – ce qui sera le cas en juin prochain. Ajoutons que le ou la présidente est libre du choix de son premier ministre …

La réalité constitutionnelle ne laisse donc comme seule possibilité que celle de l’offre de la cohabitation, dont le sens premier est de garder Macron, ou Le Pen, pendant cinq ans. Tel est le sens politique fondamental de l’offre de Mélenchon : aux avant-postes pour la défense de la V° République.

Une orientation démocratique, représentative du mouvement social, requiert des candidatures aux législatives, contre Macron et plus encore, disons-le, contre Le Pen, visant à affronter l’exécutif, président et gouvernement, pour, avec la rue, les chasser, et du coup produire dans le pays un débat démocratique sur quel régime il nous faut – un processus constituant. Tout au contraire, J.L. Mélenchon appelle à des candidatures alignées sur sa personne, au nom du « programme de l’union populaire », pour une assemblée qui ne serait donc plus aux ordres du président, mais aux ordres du premier ministre tenant lieu de président … mais laissant en place celui-ci, Macron, ou Le Pen !

L’aspiration à l’unité est une aspiration démocratique, dirigée contre le régime de la V° République. Son travestissement en alignement sur un chef bonapartiste se réclamant de son score du 10 avril, et gouvernant par décrets comme il l’a aussi précisé, est une contrefaçon. Notons au passage qu’il est assez révélateur qu’un Samuel Grzybowski, ci-devant animateur de la « Primaire populaire » et militant de longue date des mouvements d’action catholique œuvrant pour la paix sociale et l’union des classes, proclame aujourd’hui ceci : « Oui JL Mélenchon peut être élu Premier ministre si nous votons pour des candidatures insoumises aux législatives. Ainsi une cohabitation s’imposera et peu importe qui, de Macron ou de Le Pen, devra suivre le gouvernement social et écologique de l’Union Populaire. » Peu importe !

Nonobstant le fait que nous sommes là en plein délire – Macron, Le Pen, suivant « l’Union Populaire » !!! -, la réalité est surtout que ce vaste programme désoriente, divise au nom de l’unité, et ne prépare en rien une défaite de Macron ou de Le Pen aux législatives, au contraire. Bien entendu, dans ce cas, ses zélateurs expliqueront que ce sera la faute à celles et ceux qui n’ont pas rallié « l’Union Populaire » et donc que Macron – ou Le Pen ! – …. doivent demeurer !

Non, tel n’était pas le sens du vote Mélenchon le 10 avril. Avec la majorité des abstentionnistes, et avec les autres votes dits « de gauche », une majorité existe dans ce pays, que peuvent rejoindre bien des désorientés ayant voté Le Pen : celle des aspirations sociales et démocratiques. Pour elle il ne faudra pas avoir pour but de cohabiter avec Macron ou même avec Le Pen, mais bien, d’ores et déjà, de rompre avec eux pour aller vers un autre régime.

Car sérieusement, J.L. Mélenchon n’étant pas un illuminé et connaissant, lui, la constitution, peut-il vraiment avoir pour objectif de cohabiter avec Macron, ou même avec Le Pen, en gouvernant à leur place par décrets ?

Non : le vrai effet de telles déclarations est le forcing pour interdire toute pluralité dans « la gauche » et parmi les candidatures législatives de protestation démocratique et d’expression du mouvement social, en prévoyant de perdre, pour asseoir une domination d’appareil sur ce qui restera. Ainsi, celui qui aura prétendu être le vrai président en fonction à la place de Macron, ou même de Le Pen, finirait-il en patron à poigne d’une opposition maîtrisée.

Oui, il va falloir combattre dans ces législatives, et l’axe du combat sera : contre Macron, contre Le Pen, assez de présidents !

Le 20-04-2022.