Je réagis, avec un peu de retard car on est bien occupés, à la contribution que nous avait envoyée le camarade Pastèque, du 25 janvier dernier. La position que nous avons choisie de mettre en avant : le boycott actif, ne saurait être mise en œuvre que par le débat, c’est évident. A partir du moment où on nous envoie un texte soumis à discussion sur une autre position, il est normal que nous le publiions – et le discutions. Ce texte condensé est assez efficace et s’y prête bien.

Il y a trois idées dedans : que l’extrême-droite est aux portes du pouvoir ce qui oblige à ne pas « déserter ce terrain », entendez la participation aux élections présidentielles ; que le programme du candidat Mélenchon est pour ce faire le meilleur ou le moins mauvais ; et qu’il faut donc soutenir sa candidature d’une manière indépendante, et y compris soutenir, sans y participer, façon « Portugal », un gouvernement qui en serait issu.

Que faut-il entendre par l’extrême-droite qui serait aux portes du pouvoir ? Si les scores du FN/RN puis des mêmes plus Zemmour avaient la même signification que celui du NSDAP en Allemagne en 1930 (18%), on s’en serait aperçu depuis des années. Dire cela n’est en rien minimiser le problème, mais il faut le comprendre : l’extrême-droite est une composante structurelle du régime de la V° République, qu’elle a mis en place en 1958. L’échec de Macron, en raison des luttes sociales, à relancer pleinement ce régime, ouvre la possibilité de son remplacement par un représentant direct de cette extrême-droite structurelle à la V° République.

Mais cela ne veut pas dire du tout que la réalité sociale soit celle que dépeignent les sondages et les chaînes d’info en continu. Les sujets « identitaires » et racistes n’occupent pas les larges masses. Par contre, les grèves pour les salaires se succèdent partout et, à trois mois et demi du scrutin, une grève générale de l’enseignement public, grève politique visant à mettre un coup à Blanquer et à Macron, s’est produite. Il n’y a pas de vague d’extrême-droite dans le monde du travail, majoritaire dans la société.

Comment combattre cette extrême-droite ainsi comprise ? Le boycott combat le caractère antidémocratique des institutions, affaiblit les idées d’extrême droite qui promeuvent le culte du chef (appel pour le boycott de la présidentielle). Force est de constater que le chef (ou la cheffe, fille de chef !), c’est-à-dire le président, ou l’aspirant-président, est au fondement de cette extrême-droite structurelle sous la V° République. Loin de « déserter ce terrain », cet appel avance une méthode pour l’affronter directement, et fondamentalement. Ceci est un point aveugle du petit texte de Patoche : ce n’est pas qu’il le contredise, il ne l’intègre pas, ne l’entend pas. Ce qui est un réflexe militant typique. Mais les réflexes militants ont parfois besoin de petites révolutions coperniciennes ….

Dans le monde de la théorie pure, une candidature à la fois anti-présidentialiste et unitaire était possible pour représenter, contre Macron, Zemmour, Le Pen et Pécresse, la lutte sociale de celles et de ceux d’en bas. Dans le monde réel, c’est totalement impossible car la « défaite de la gauche », celle que les réflexes militants veulent compulsivement conjurer tout en la sachant inscrite dans toute la situation, à savoir son absence au second tour, a déjà eu lieu, en 2017, et que, depuis, tous ont consciencieusement soutenu le régime en place. Les Gilets jaunes, la poussée gréviste pour la défense du droit à la retraite, la grève générale en Guadeloupe, notamment, sont des mouvements qui, eux, dans les faits, ont intégré cette réalité, à la différence des réflexes militants les plus courants, en retard d’une guerre, d’au moins cinq ans.

Or, l’orientation de la candidature Mélenchon en 2017 porte une responsabilité centrale dans la victoire de Macron en 2017 puis dans sa majorité à l’Assemblée nationale (que Macron ne soit pas parvenu à forger un vrai « parti du président », est une autre question, postérieure). Précisément parce que le choix du « populisme » (ce n’est pas un anathème, ce sont les termes, les références de Mélenchon), était le choix du présidentialisme exacerbé. Le culte du chef, ici aussi. Qui devait se prolonger dans un mouvement remplaçant les « vieux partis », voire les syndicats, suspendu à son Chef (heureusement, ceci n’a pas plus pris corps, après 2017, que le « parti du président » Macron !). Ce n’est pas du réformisme de gauche. C’est du bonapartisme, et Mélenchon l’assume et le sait. Patoche évite d’écrire « Mélenchon » et préfère parler « programme de l’Avenir en commun ». Mais ce qui est premier, c’est le candidat, c’est la personne. C’est lui qui donne le cadre politique du supposé programme, pas l’inverse. Dans ces conditions, issues de 2017, il y a une certaine dynamique militante autour du « candidat le mieux placé ». Mais il n’y a pas de dynamique populaire (qui existait en 2017).

Dans ces conditions, le troisième aspect de ce que préconise Patoche, le soutien indépendant, l’organisation indépendante, etc., ne change rien au problème. La fonction de la candidature Mélenchon en 2022 n’est pas d’être au second tour mais de préparer un hégémonisme de LFI sur les décombres d’après (ceci, bien entendu, en accusant les autres courants et avant tout « les abstentionnistes » de l’avoir empêché de gagner !). Ce qui n’est pas notre affaire, et à Patoche non plus.

Toutefois, ce troisième aspect est bien en soi le plus important : oui, il y a besoin de comités à la base, d’assemblées populaires, quelque nom qu’on leur donne. Jacques Chastaing, qui met l’accent sur la poussée gréviste et l’espoir d’un « mai 68 » avant le premier tour, que j’ai discuté par ailleurs, souhaite la même chose. Et nous aussi, avec les comités pour le boycott qui se dessinent.

Et je termine comme j’ai commencé : il est bien évident, vu la situation, que ces regroupements et comités connaîtront une discussion ininterrompue sur la manière d’affronter le capital et le régime, d’affaiblir Macron et son extrême-droite, de permettre à la majorité de prendre le pouvoir.

VP, le 06/02/2022.