Quelques mots sur les dernières prises de position de J.L. Mélenchon, par V. Présumey.
Les évolutions internes à la partie – probablement minoritaire – de l’ancien « peuple de gauche » qui ne s’oriente pas encore vers l’abstention, mais qui voudrait encore pouvoir voter pour un candidat à la présidentielle qui le représente le mieux, ou le moins mal, possible, sont actuellement assez favorables à J.L. Mélenchon, en raison du tour que prennent la « Primaire populaire » et la propulsion de la candidature Taubira.
J.L. Mélenchon a réussi un meeting qui était, paraît-il, océanique. Or, c’est à ce moment précis qu’il délivre une interview cadrant son orientation en matière de politique étrangère, dans Le Monde de ce mardi 18 janvier.
En résumé : il faut sortir de l’OTAN mais il faut vraiment rester dans l’UE et dans l’euro-zone, pour y faire ce que font la Pologne et la Hongrie, à ceci près que ce ne serait pas pour combattre les droits fondamentaux comme le font les gouvernements de ces deux pays, mais pour des exigences sociales et environnementales. Sur la Russie et l’Ukraine : « Les Russes mobilisent à leur frontière ? Qui ne le ferait pas avec un voisin pareil ? » et : « Pour ma part, je pense que la Crimée est russe. »
Ce soutien apporté à l’impérialisme poutinien le plus brutal est sans fard ni réserve, comme déjà à l’encontre, non pas des « islamistes », mais du peuple syrien bombardé, violé et torturé sous les applaudissements tonitruants de J.L. Mélenchon. La Crimée a été privée de toute autodétermination en 2014 ; la seule fois que sa population a pu voter dans un scrutin à peu près libre, en 1991, elle a opté pour l’Ukraine – y compris ses habitants de sentiment national russe. « La Crimée est russe » est une affirmation du même tabac que « la France va de Dunkerque à Tamanrasset », ou, si vous voulez, « Panama appartient aux États-Unis ». Que dirait-on d’un homme politique s’affichant féru d’histoire et de géopolitique, qui expliquerait qu’en 1938, tout de même, Hitler ne pouvait pas ne pas agir avec un voisin tel que la Tchécoslovaquie ? Au plan intellectuel et moral, le niveau est le même.
Dans ces conditions, la prise de position traditionnelle rappelée ici pour la sortie de la France de l’OTAN, combinée à un maintien activiste dans l’UE et dans l’euro-zone, n’a strictement rien à voir avec le refus des alliances militaires ni avec une profession de foi pour une indépendance souveraine, une libre confédération des peuples, et une politique étrangère démocratique. Là, ce que J.L. Mélenchon préconise, se situe à 100% dans le cadre du capitalisme contemporain, visant à une nouvelle alliance franco-russe comme avant 1914, encerclant et maîtrisant l’Allemagne. Au cœur de cette orientation : l’apologie de la « dissuasion nucléaire », pourvu qu’elle soit « indépendante ».
Tout au contraire, tout partisan conséquent de la démocratie et du droit des peuples ne peut que défendre l’exigence de destruction unilatérale et publique de toutes les armes de destruction massive, bombes A et bombes H en tête : déclaration de paix aux peuples du monde entier et de guerre aux tyrans.
On ne dissuade pas des tyrans en menaçant de vitrifier leurs peuples. La bombe atomique rouge, ou la bombe atomique démocratique, ça n’existe pas plus que l’arme bactériologique ou le gaz sarin émancipateurs. S’il n’est pas question de s’en servir – et si les mots « avenir en commun » ont un sens ! – alors il n’est pas question de les garder.
Au passage, l’apologie de la « dissuasion nucléaire » par J.L. Mélenchon jette une certaine lumière sur la supposée divergence censée opposer « insoumis » et PCF à propos du nucléaire civil, puisque LFI est pour le nucléaire … militaire (qui présuppose le civil) !
Jusqu’à la rhétorique océanique des grandes brises marine de J.L. Mélenchon sur les « technologies de la mer », renvoie, elle aussi, aux Zones Économiques Exclusives de l’impérialisme français, énormes, éléphantesques, occupant la moitié du Pacifique Sud et un bon morceau de l’océan Indien. Une France démocratique n’a pas à garder ce pré carré contre les peuples de ces régions !
Bien entendu, pas un mot sur l’intervention impérialiste (russe) au Kazakhstan, alors qu’une intervention impérialiste (nord-américaine) dans un pays d’Amérique du Sud lui serait tout à fait comparable.
Ces positions de politique étrangère de J.L. Mélenchon, réaffirmées brutalement à un moment clef tant de sa campagne que, surtout, de la situation internationale en Europe, ne sont pas originales : elles constituent une option que n’exclut pas Macron, elles sont mises en avant par Zemmour, Le Pen et Ciotti, et, accessoirement, on les retrouve chez un supporter déçu de Mélenchon, G. Kuzmanovic, récemment soutenu sur la même orientation par M. Cheminade.
Ce sont les vieux fantasmes de l’impérialisme français, qui regrette sa puissance perdue et, régulièrement, rêve de s’émanciper de la tutelle géostratégique globale des États-Unis et de la tutelle industrielle et monétaire de l’Allemagne, sans le pouvoir. Le général De Gaulle est évoqué par tous ses partisans, nombreux dans notre « État profond » : or, De Gaulle, contrairement à la légende, s’était bien gardé de quitter l’OTAN, se contentant de faire du ramdam (il n’avait que déclenché une espèce de grève des généraux français aux réunions officielles de son commandement), car il connaissait le rapport de force …
Or, la politique étrangère, c’est bien connu, est le prolongement de la politique intérieure ; la réciproque est donc vraie. Un joli tweet de J.L. Mélenchon, émis le soir du 9 janvier dernier juste après son passage au Grand jury RTL-Le Monde, le montre très bien : « Pendant le travail de la Constituante, et avant de passer à la 6° République, je serai un Président de plein exercice. J’aurai en charge le temps long, dans un esprit plutôt proche de ce qu’avait imaginé le Général De Gaulle ».
La « constituante » mélenchonienne n’aura donc pas « en charge le temps long » : c’est l’affaire du Président, avec majuscule ! Déjà, la « constituante » dans les programmes successifs des présidentielles de 2017 et de 2022 a une place réelle tout à fait illusoire : convoquée par le président, dans le cadre de l’article 11 de la constitution de 1958, elle dépendrait d’un référendum présidentiel préalable et serait pour partie tirée au sort, pour partie composée d’élus excluant les anciens parlementaires (un point d’histoire : Robespierre, en 1791, a exclu que les députés constituants se présentent à la Législative ; ici, c’est le contraire, et d’ailleurs les députés constituants de 1789 ont pu se représenter à la Convention constituante de 1792 …).
Notre camarade Robert Duguet, dans la brochure d’Aplutsoc Réflexions sur la démocratie et les constituantes, et Catherine Destom-Bottin de Cerises, lors de la conférence de presse pour le boycott de la présidentielle du 11 janvier dernier, ont bien souligné ces limitations qui font de la constituante mélenchonienne une constituante incertaine et octroyée. Dans la mouture du même programme intitulée Pour 2022 Pour l’union populaire, il est ajouté qu’une fois convoquée – on ne sait pas quand – la constituante rendra sa copie au bout de 2 ans. Quant au Président (avec un grand P !), il sera le maître du temps long, qu’on se le dise !
De bout en bout, il s’agit de bonapartisme, pas de démocratie. Ce genre de gadgets nommés « constituantes », on les connaît déjà sous la V° République : telle était la « convention pour le climat » de M. Macron …
Politique étrangère, politique intérieure, politique tout court, vont ensemble, sur une même base sociale. Celle choisie par J.M. Mélenchon n’est pas « réformiste de gauche » mais bonapartiste V° République, il le sait d’ailleurs très bien. Mais c’est précisément pour cette raison, dont la nature sociale et l’opposition aux besoins démocratiques des luttes sociales est fondamentale, qu’il a réussi à ne pas gagner en 2017 et qu’aucune dynamique comparable, quelles que soient les embruns océaniques artificiels, n’est à l’œuvre aujourd’hui.
Certes, dans des périodes précédentes, les luttes sociales pouvaient chercher un débouché dans des candidature d’unité et de rupture. J.L. Mélenchon a fait une croix sur ce passé pour ce qui le concerne. Les plus larges masses après 2017, notamment un certain 18 novembre 2018 et depuis, sont passées à autre chose : l’unité contre le capital, la rupture avec ce régime, dans les grèves et dans le boycott, représentent la réalité actuelle d’en bas.
VP, le 18/01/2022.
Partagé sur Mediapart sous l’excellent billet de Blog de Paul Allies, Président de la Convention pour une 6ème République :
https://blogs.mediapart.fr/paul-allies/blog/180122/melenchon-une-drole-d-odeur/commentaires#comment-11062122
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bien d’accord et aucune illusion sur le Bonaparte mais bon le programme « réformiste radical » de l’AEC serait un « séisme » au deuxième tour plus utile qu’une abstention même active* ?
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Tu crois en un tel programme ? Si radical ? Si peu réformiste …Même la CSG est conservée et aménagée pour aller vers sa fusion avec l’IRRP via le prélèvement à la source … A bas la cotisation sociale ? A bas la Sécu en quelque sorte…
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