Présentation
Ce texte est un texte de débat sur un sujet sur lequel Aplutsoc n’a pas de position comme tel mais souhaite organiser un vrai débat. Il a été terminé le mardi 27 octobre et a donc été entièrement écrit avant l’assassinat de 3 personnes dans une église à Nice ainsi que la mort d’un « identitaire » à Avignon le jeudi 29 octobre.
Il aborde les questions de la laïcité, des religions, de l’islam, de l’islamisme, de l’islamophobie et en particulier de la façon dont s’est construite ces 20/30 dernières années une certaine vision du monde parmi les militants de gauche.
Cette première contribution ne prétend pas clore le débat mais constitue plutôt un appel à débattre de façon respectueuse et rationnelle, donc sérieuse, des thèmes qui ont le propre depuis quelques années d’allumer des querelles et des engueulades mais pas de vrais débats.
Lire la contribution de Vincent Presumey
Le texte de Presumey est très riche et impressionnant. A lire et à relire. Son utilité politique constitue pourtant une énigme du fait de sa minuscule conclusion, conjuguée à une immense ambition philosophique. J’imagine facilement les centaines de débats confus auquel il peut donner lieu. J’aurais volontiers demandé à l’auteur : « Vincent, en deux phrases, où veux-tu en venir ? ».
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Je suis presque convaincu par ce texte qui propose une analyse des mouvements des religions ; il y manque un paragraphe, à mon avis : nous sommes dans une société tellement inégalitaire aujourd’hui que je pense que les quartiers populaires vont devenir une base possible de l’action visant à se confronter à l’état bourgeois. Pas au nom d’une spontanéité soi disant révolutionnaire, non ! Avec toute la confusion idéologique actuelle, y compris la diffusion de cette idéologie basée sur l’identité musulmane
Pour moi la question est comment faire pour cibler les stigmatisations réelles tout en critiquant toutes les religions ? Je trouve dommage que ce texte, brillant, ne se conclue pas sur la dimension pratique nécessaire
Dans le NPA maintenant se fait une grande discussion sur les revendications a mettre en avant en fait surtout pour ne pas se mélanger avec les forces disponibles pour l’affrontement avec l’état. Il serait dommage que ce texte ait pour conséquence le refus de se mélanger aux actions anti discrimination au motif d’un positionnement laïc. claudeganne43@gmail.com
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Réponse aux deux précédents messages : faut prendre ce texte comme il est. Il est gros mais il ne répond pas à tout. Il veut pousser au débat et si possible en prenant les questions par le fond. D’où ce qui est sans doute son originalité : il traite de questions religieuses en tant que telles, ce que ne font pas la plupart des polémistes sur ces sujets, non pas pour avoir un débat théologique mais parce que c’est nécessaire. C’est délibéré, bien sur. Il y a bien sûr possibilité de débats confus, mais, il y en a déjà plein et on va essayer d’avancer. N’hésitez pas, d’ailleurs, l’un et l’autre ou d’autre, si vous vous le sentez, à écrire, développer vos messages, etc. – on publiera. J’ajoute qu’il n’est pas question pour nous (quelle que soit la diversité d’approches qu’il y a dans le groupe rédactionnel d’Aplutsoc lui-même) de « boycotter » quelque action réelle contre les discriminations que ce soit. Bien sûr il faudra aussi discuter des dimensions pratiques. VP.
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Un travail du camarade Présumey qui va faire référence dans la période, quant bien même pouvons nous lui reprocher son indécrottable pessimisme chronique :
« Au risque de surprendre certains camarades, je dois dire que je suis dubitatif sur le fait que les religions disparaissent un jour, tant la capacité humaine de production des conditions sociales d’existence et d’autoproduction des besoins comporte une dimension fondamentale de production symbolique. »
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En considérant la place prise par les religions dans les débats publics aujourd’hui, je pense qu’il faudrait une revue pour recenser toutes les publications et articles sur le sujet qui ne manqueraient pas de surgir, tout en faisant pièce au baubérisme, à la Libre Pensée institutionnelle et quelques autres idéologues. Ne serait-il pas temps ?
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en complément au sérieux de la contribution de Vincent Présumey
La faillite de la raison, son erreur
(ce texte comporte des notes qui ont sauté)
Il est indéniable qu’il y a, malgré la répétition, progrès, sa condition, le miroir, s’y prête s’il y a deux manières complémentaires d’y faire et une troisième, Narcisse en son miroir, il est si beau, sa beauté est si parfaite, qu’aucune inhibition ne l’arrête, il se noie en court-circuit dans le regard de l’autre. S’agissant de roues de caoutchouc, l’exemple qu’Olivier Rey donne du progrès est plus trivial qu’étrange. Trivial, parce que les deux manières complémentaires d’y faire avec le miroir concernent aussi bien un double mouvement d’aliénation à l’image, d’un côté, au langage, de l’autre côté, qu’une fausse séparation : « tu es bien cette image, mais pas que ». Trivial encore, parce que ce double mouvement donne matière à causer, ici, nous faire les détectives privés d’une double opération langagière d’assomption subjective et les témoins de leurs dégâts collatéraux.
Alors, la scène ? Il s’agit d’une mère à l’enfant et d’une poussette ou bien l’enfant et la mère se font face ou bien, au contraire, dans un mouvement émancipateur, ils regardent dans une même direction. Dans ce cas, le plus fréquent aujourd’hui, il y aurait plus qu’une mère et son enfant, il y aurait deux personnes – une femme et un enfant -, qui l’une et l’autre iraient ensemble au-devant du monde (on est déjà 4). C’est de plus en plus souvent le cas. De tes nombreuses femmes se retrouvent seules à éduquer leurs enfants avec comme tiers, leur rapport à la langue, et comme quatrième, le monde. Que les hommes aient perdu leur ancienne « autorité » sur les femmes est une chose, qu’ils reculent à être père en est une autre. Être père, ce n’est pas dominer, ce n’est pas faire la loi. Qui la reconnaît et transmet, par contre, est en position de père. Ce peut être n’importe qui. Mais voici. Reprenez un enfant, qui n’est pas le vôtre, et les parents vous tombent dessus à bras raccourcis !
Une telle scène est, donc, l’occasion pour les hommes de montrer leur ambivalence face au partage des charges familiales, selon qu’ils acceptent d’éduquer leurs enfants ou y résistent . La télévision est devenue un lieu commun, la façon la plus simple de se débarrasser à bon compte des enfants. Pareilles démissions, qui prétendent à un plein libre arbitre, sont idéologiquement connotées : « il s’agit de laisser l’enfant s’exprimer pleinement, de lui imposer le moins de choses possibles pour qu’il puisse se construire par lui-même . » Dès lors, qu’il paraisse logique de placer le jeune enfant, dans sa poussette, face au monde, ne contredit pas qu’on le tourne aussi vers soi, vers l’arrière, donc. Et, c’est bien ce qu’il advient, et ce que fait une mère. Du côté scientifique, où on n’emmaillote plus les enfants, on brise, déjà, leur liberté au nom de leur sécurité, on les emmaillote autrement.
Quant aux femmes, si, à compétence égale, elles sont toujours moins reconnues dans leur travail que les hommes, elles ne sont plus seulement assujetties à la maternité, n’être que des mères au foyer. Simone de Beauvoir et d’autres femmes sont passées par là : « ou bien pas de maternité du tout – ou bien une maternité maîtrisée, choisie ». Il n’en demeure pas moins, selon ce qu’Olivier Rey dit, que, malgré les énormes acquis techniques dont nous bénéficions, tournés qu’ils sont par quelques-uns à des fins de capitalisation plutôt que de redistribution, « la plénitude de l’être humain, peu frappante au niveau individuel, ne semble pas non plus réalisée à l’échelle collective » et que cette « puissance » sans précédent a enlaidi le monde, le bétonnage à tout crin éteignant la beauté de ses paysages, en sorte qu’on peut reprocher, avec Georges Bernanos et Olivier Rey, à la modernité, « la disproportion scandaleuse des moyens dont elle dispose aux résultats qu’elle obtient ». Comment comprendre cette disproportion ? C’est la bonne question. Contrariant, cependant, Olivier Rey , l’exactitude n’est pas la vérité, une chose n’étant vraie que si elle est « incorporée » , allons droit au but, qu’est-ce que nous y méconnaissons ? Ce qu’Olivier Rey dit, néanmoins, tout net, qu’une chose n’est vraie que si elle est incorporée, c’est-à-dire, installe une domination, laquelle suppose des opérations sur une fonction d’exception, Dieu ou le phallus, et des hypocrisies, l’Homme, l’Individu, le sujet.
Quitte à passer par les détours d’Olivier Rey, je suivrai Wittgenstein plutôt que Pascal, pour qui l’erreur [e déni pervers] n’est pas le contraire de la vérité, mais son oubli », comme condition de l’inconscient. En effet, si « l’enjeu n’est [donc] pas de substituer la vérité à l’erreur, mais d’inscrire la vérité dans le cadre qui lui permet d’être vérité », alors, Olivier Rey souscrit à la politique de l’inconscient, que l’inconscient freudien définit. Reste pour nous le dur, que « ce qu’on obtient est indissociable de la façon dont on l’obtient ».
De la précarité, nos sociétés sont sorties un moment, un court laps de temps, une cinquantaine d’années, avant que nos élites et nos politiques ne trahissent son sens, écrire, dans un temps concret, non fictif, une autre histoire de l’humanité, accueillir son a-venir. Pourquoi ? Parce que ce qui traine encore comme pensée magique, l’âme, empoisonne toujours le discours et que, de tout temps, manière de nier qu’ils soient naturels, on a attribué, ce que nous ne manquons pas de faire encore aujourd’hui à propos de la présente pandémie, les fléaux naturels à des désordres humains.
De la même façon que nos maux ne proviennent jamais de nous, mais d’autres que nous-mêmes, de la même façon, nous leurs imputons nos fautes , en sorte que l’orientation du regard n’a pas changée. Janus à deux têtes, le regard est toujours aussi double, pareil à un rétroviseur, d’avant en arrière. C’est la condition sans laquelle il est impossible de fonder le discours en logique. À l’origine, il y aura, donc, qui réponde de l’imaginaire ou un mythe ou un rite ou la construction d’une fiction. Que le sujet moderne se soit affranchi de l’autorité de la religion au nom de la raison et de la liberté individuelle est un chose, que ces deux idéaux aient été ruinés, une autre. L’holocauste est le nom de la faillite de l’Homme occidental. Même chose pour le spectre de la précarité, les progrès scientifiques spectaculaires n’ont pas empêché son retour massif. La pauvreté, aujourd’hui, s’insinue partout. Or, où nous pouvons nous fier à R. Girard ou S. Freud, le déni pascalien ne peut rien faire d’autre que masquer rituellement son cadre : le « miroir poli du néant » et ce cadre le reproduire et répéter indéfiniment . Le rite que Rey propose comme illustration d’une expiation collective pour se protéger de la violence est à double détente, si l’animal est identifié à un voleur. Selon un dicton populaire, « qui vole un œuf vole un bœuf ». Il ne s’agit pas que d’une incorporation d’un meurtre inaugural, il s’agit aussi de prévenir le vol. Qui se comporte en voleur comme le bœuf mérite la mort. Du coup, du même mouvement qu’on s’approprie, magiquement, la mort, on s’accorde le droit de tuer où, collectivement, on interdit le vol et rend le mort à sa destination première, sa soumission .
L’autre exutoire aux désordres humains qu’est la guerre, qui apporte les mêmes ruines et les mêmes désolations, n’est pas davantage une réponse adéquate à l’hubris masculine. Cette réponse, ce sont l’école, plutôt que l’éducation, et le tribunal, plutôt que quelque arène médiatique, qui devraient, où, aujourd’hui, on le leur dénie, la donner ; à l’une, d’instruire les enfants aux principes de la vie commune ; à l’autre, d’exercer, en toute liberté, sa droiture.
Reprenons, revenons à notre premier cadre, celui d’une mère et de son enfant, qu’elle pousse. Sa caractéristique fondamentale est le fait que nos enfants naissent prématurés, qu’ils entrent dans la vie dans une situation de dépendance absolue de la femme qui l’a porté, la mère, ou d’un autre qui s’y substitue et l’accueille. De là, une illusion tenace qu’ils fusionnent, se complètent dans une béatitude absolue, illusion que l’observation de Kundera dément ; la femme, au contraire du père, était blasée, distante, suffisante, parfois même [son visage était] (inexplicablement) méchant ! Pourquoi inexplicablement ? Où l’homme, selon l’expression de Chantal, « papaïse », bêtifie la mère, la mère, elle, ne se trompe pas sur le sens de cette concession, le père ne fait que « comme si ».
La fusion avec la mère n’est jamais qu’un fantasme d’obsessionnel assez prégnant pour qu’une communauté s’en défende en rendant impossible pareille complétude : où une femme se sépare de son enfant, agit une prohibition , interdite comme femme, l’homme s’offre trivialement comme agent séparateur où il se présente en possesseur des deux. En réalité, quand la nécessité oblige, une femme seule avec son enfant, outre le fait que le sujet de l’individuel est aussi, en même temps, celui du collectif, n’est pas sans tiers ; pour autant qu’ils sont des effets d’une langue, une femme y rapporte, pour le meilleur comme pour le pire, son enfant.
On peut retenir ce que Rey avance de cette dépendance à une langue, qu’un mot est toujours équivoque, qu’il renvoie toujours à un autre mot, quand il ne renvoie pas comme le mot « sujet », de lui-même, à des sens opposés.
Selon les cas, « sujet » désigne aussi bien ce qui est soumis à la réflexion (le sujet d’une discussion, et en ce sens le mot est synonyme d’« objet ») que celui qui mène la réflexion, qui agit (et qui, en ce sens, s’oppose à l’« objet » sur lequel il réfléchit ou agit). Cette ambivalence du terme, renvoyant tantôt à ce qui est soumis, tantôt à celui qui soumet, peut être une façon de suggérer que le sujet humain, exerçant sa liberté, se constitue d’en passer par une sujétion » au langage, le sujet reconnaissant qu’il « se place dessous » la langue dont il hérite.
À la naissance, malgré sa dépendance absolue à l’endroit d’un autre, l’enfant comme la mère s’apparaissent pour ce qu’ils sont, séparés. Eu égard au monde, dont ils sont aussi séparés, ils ne sont pas complémentaires, mais supplémentaires l’un à l’autre. C’est compter sans la ruse de la raison, laquelle joue, sous la menace d’une perte, d’un manque imaginaire pour installer une domination. « Une absence, du seul fait de pouvoir être nommée, n’est plus un manque pur : nommer l’absence, [jouer sa disparition aussi bien] est une façon de la maîtriser, d’acquérir un pouvoir sur ce qui se dérobe. Elle est une façon d’asseoir une instance psychique qui ne soit pas soumise aux aléas d’une présence . » Qu’est d’autre l’inconscient freudien, sinon pareille instance ? Personne, aujourd’hui, ne croit plus à l’innocence des enfants. N’est-ce qu’espièglerie, quand un enfant joue à se faire disparaître ? Non, il engage, malignement, à son insu, sa mort comme imaginaire !
« Venir au monde, ce n’est pas seulement naître à ses parents, c’est naître à l’humanité. En Occident comme dans toutes les civilisations, l’homme doit naître une seconde fois – naître à ce qui le dépasse, lui et ses parents . » Pierre Legendre admet, comme d’autres avant lui, Freud, par exemple, que nous devons naître une seconde fois à l’existence. Son affirmation implique que nous naissions à l’humanité, laquelle n’est pas le monde. Cette « seconde fois » est l’objet du plus grand malentendu. Concerne-t-elle seulement l’enjeu de la répétition, ce qu’elle produit et n’a de cesse de répéter, « le doublage de la filiation charnelle par une filiation spirituelle », ou son équivalent, une « filiation selon l’esprit », entendu comme « filiation selon la parole, sous le double aspect de l’accession au langage et des promesses portées par les mots » ? Non ! Mais, c’est bien là notre problème avec la raison, c’est qu’avec elle, non seulement nous entretenons le plus grand des malentendus, nous nous payons de mots, et, qu’en plus, elle nous tend, uniment, vers un monde, qui, paradoxalement, nous maintient dans l’infantile, où nous faisons monde, nous faisons univers, plutôt qu’humanité.
Œdipe est bien un nom, il porte son malheur avec lui. Désigner quelqu’un par ce qui le caractérise, c’est le nommer sans équivoque aucune. Œdipe est le « boiteux » par excellence, c’est-à-dire, n’importe qui d’entre nous, il fait symptôme au regard du nom propre, il reste le fils de Laïos. Il est commun d’admettre que l’habit ne fait pas le moine, alors pourquoi ne pas admettre que le nom mente. Œdipe, c’est la castration en acte, « boiteux », il porte dans sa chair la marque de son père et la politique foireuse, qui va avec. Ce qu’il nous enseigne, avant que Freud ne s’en mêle, c’est qu’un certain assujettissement au symbolique a un prix, le symptôme. Pourquoi ? Toujours à cause de la raison !
Dérivons. Passons avec O. Rey par l’un des sujets les plus exploités dans l’histoire de la peinture européenne, la vierge à l’enfant. Le Caravage a peint une Vierge à l’enfant, La Madone des palefreniers (1605-1606) , destinée à l’autel d’une chapelle de la basilique Saint-Pierre à Rome, elle ne serait restée en place que deux jours, achetée par le cardinal Borghèse, qui la voulait pour sa collection personnelle où elle figure toujours. Jugée choquante, elle est, comme son titre, d’ailleurs, de fait, équivoque. Qui est le sujet du tableau ? Le tableau met en scène deux mères et deux enfants, une mère et sa fille et sa propre fille et son fils, Jésus et un serpent gesticulant tant et tant qu’on peut se demander comment, sans bâton, Marie parvient à le maitriser avec le pied qu’elle offre en appui à un Jésus nu comme un ver.
Décalée sur la droite par rapport à Marie et Jésus, légèrement à l’écart, pensive, les bras joints, comme de pierre, spectrale, Anne ne regarde pas l’action double de Marie et Jésus. Elle regarde le serpent gesticulant. Sa méditation va au serpent, elle sait qu’il n’y a pas d’enfant, garçon ou fille, qui ne naisse pas, d’abord, du serpent et qu’il n’y a aucune faute, ni culpabilité, à être mère. Ce n’est qu’ensuite, longtemps après qu’ils naissent ou non, à la différence sexuelle, ce que Legendre appelle humanité. Ce qui est aussi clair que l’eau de roche, c’est qu’Anne procède d’un savoir concret qui désuppose Dieu. Dieu ne s’en est pas pris à Adam, mais à Ève, à qui il promet l’inimitié de l’autre masculin. De là, le dogme de l’Immaculée Conception de Marie, qui rend théologiquement inacceptable que l’autre soit méchant.
Portant la peste, des psychanalystes ne cessent pas de gloser sur le phallus que les femmes n’ont pas, comme des historiens de l’art ne cessent pas de vitupérer contre cette peinture ratée et l’usage abusif de son réalisme, malgré son apport majeur à la technique du clair-obscur. De fait, dans cette peinture, Le Caravage oppose deux mondes, ce qu’il retient de la culture grecque si, dans Anne, il honore la statuaire grecque, sa beauté minérale, et dans Marie et Jésus, la beauté vulgaire du monde . Et, si l’Homme est présent dans le petit homme, Dieu l’est dans ses deux saintes, auréolées, elles sont idiotes, réelles, plus fortes que le vrai.
Dieu a un problème avec le signifiant et son propre commandement, puisqu’il suppose sa propre incorporation, laquelle est une identification qui ne se fait pas sans accident, il y a du vivant, qui ne passe pas dans le symptôme. Qui connaît, sans duplicité aucune, « le bien et le mal », s’abstient de traiter l’autre en objet, refuse d’en être maître ; rejetant l’identification, qui « connaît le bien et le mal » récuse le meurtre. Où on admet le principe de généalogie, que les parents engendrent les enfants, on admet aussi son corollaire, le principe de causalité, en sorte qu’entre ces deux principes, chacun soutienne l’autre, et que nous appréhendions « le monde dans son ensemble sur ce modèle généalogique des causes engendrant les effets ».
Causalité et généalogie disent la même chose, chacune à sa manière. D’un côté un principe qui renvoie chaque phénomène à une cause, de l’autre un principe qui inscrit chaque être dans la lignée dont il procède, qui décident du rapport élémentaire de la reproduction à la logique, en sorte qu’aucun individu, aucune organisation sociale, ne peuvent s’auto-fonder, il y a passage obligé par une langue et « le noyau atomique de la Raison », nommément, les « élaborations généalogiques », « en ce qu’elles traduisent subjectivement et socialement le temps, inscrivant la réalité comme devenir ». C’est là, au niveau de la solidarité entre généalogie et raison, que le bât blesse ! C’est que le temps qui est logiquement mis en jeu, a pour nom, répétition, en ceci qu’il nous installe fictivement dans l’éternité d’une fondation, L’Un. Il y a de l’Un, disait Lacan. Socrate, comme Jésus, se prête à l’identification. Les critères de la vérité, c’est toujours, moyennant d’en passer par la pensée, la raison qui les détient.
Si les sciences peuvent être exactes, elles ne concernent qu’indirectement la vérité, laquelle est tributaire des idéologies qui priment. Il en va de même concernant le jugement, un jugement factuel peut être exact sans impliquer la vérité. C’est le sens de la remarque de Ludwig Wittgenstein : « Des hommes ont jugé qu’un roi pouvait faire de la pluie ; nous disons que cela contredit toute expérience. Aujourd’hui on juge que l’avion, la radio, etc., sont des moyens pour le rapprochement des peuples et la diffusion de la culture . » De la même façon que l’expérience contredit aujourd’hui que quelque roi fit la pluie, de la même façon l’expérience contredit ce qui, ici encore, relève de la croyance, que l’avion, la radio, etc., servent au rapprochement des peuples et la diffusion de la culture.
Où en sommes-nous aujourd’hui que nous sommes réellement en guerre, confrontés à l’assomption décisive du plus grand des dénis, que nous ne sommes pas tous égaux devant la Loi, qui permet à quelques-uns d’entre nous de disposer de la vie des autres ? À devoir encore nous défaire, malgré sa ruine, de la Raison ? Où le ressentiment laisse aux prises avec la culpabilité, il y a plus fort que lui, un rejet pur et simple, la révulsion.
Quand, c’est Simone Weil qui parle, quelqu’un va dans le dévouement [la servitude volontaire de La Boétie] beaucoup plus loin que son cœur ne le pousse, il se produit inévitablement par la suite une réaction violente, une sorte de révulsion dans les sentiments. Cela se voit dans les familles, quand un malade a besoin de soins qui dépassent l’affection qu’il inspire. Il est l’objet d’une rancune refoulée [le ressentiment] parce qu’inavouable, mais toujours présente comme un poison secret. La même chose s’est produite entre les Français et la France, après 1918. Ils lui avaient trop donné. Ils lui avaient donné davantage qu’ils n’avaient dans le cœur pour elle.
Simone Weil, L’Enracinement, in Œuvres, Gallimard, coll. « Quarto », 1999, p. 1106. Cité par O. Rey, p. 100.
La même situation s’est répétée en pire, on y a instrumenté la science à des fins génocidaires, durant la seconde guerre mondiale entre 39 et 45. Et, nous devrions fermer les yeux et négocier nos ressentiments en repentirs ? Non ! Nous avons mieux à faire par ces temps où l’État a retrouvé de sa superbe, fût-ce comme prestataire de service, et où la crise sanitaire est révélatrice d’une crise de notre modèle social plus profonde, de rouvrir les yeux et les garder bien ouverts. Ne nous payons pas de mots, mais de faits et d’actes. Montrons les choses, comme Jésus dans la peinture de Caravage, sans atours, nues.
Il y a du progrès dans la répétition, mais ! Le sacrifice d’Isaac en est un, puisqu’il s’agit de rejeter les sacrifices humains. Le sacrifice d’Isaac que Le Caravage a peint est d’une autre facture que celui de Rembrandt , qui s’en inspira. Tous les deux s’écartent du texte de la Genèse (22.2), préférant l’action de l’ange à la parole qui tombe du ciel. Où Rembrandt représente le bûcher sur lequel Abraham a disposé Isaac dont il tient le visage dans sa main gauche, en sorte que son fils ne voit pas son geste meurtrier, Le Caravage repose la tête de l’enfant sur son bord, horrifié, la bouche ouverte et les yeux perdus. Présent dans la peinture de Caravage, le bélier est absent dans celle de Rembrandt. Apportée par l’ange, la lumière vient de la gauche. Tous les éléments sont disposés sur le même plan à partir de l’ange dont la main droite arrête le couteau au milieu du tableau en se saisissant du poignet droit d’Abraham, tandis que son bras gauche désigne la tête du bélier, ses yeux fixent Abraham, sa bouche n’exprimant rien. Au fond, en arrière du bélier fixant Abraham, un paysage avec des traces d’habitations.
Pourquoi Abraham ment-il à Isaac comme Dieu lui ment ? Tandis qu’il présente à son père le bois et le feu du bûcher, Isaac lui demande où est l’agneau du sacrifice. Abraham, qui sait ce que Dieu lui a commandé de faire, lui répond habillement que Dieu s’en pourvoira lui-même. De la même façon, où il y a cruauté, pourquoi Dieu impose-t-il à Abraham une épreuve déjà en usage, la substitution d’un agneau au sacrifice d’un enfant, sinon pour une question d’attribution, qu’on la lui attribue comme il se l’attribue. Alors le crime. Où Abraham se fait le complice de Dieu, il trahit son fils, il tombe sous la loi d’une pratique humaine archaïque, qu’on inflige au criminel le tort dont il se rend coupable, ici sous la forme d’une nouvelle substitution, l’holocauste du bélier. Des pères, on peut se servir, disait Lacan, et néanmoins, s’en passer. Outre le fait que le sacrifice d’Isaac préfigure ce que Jésus réalisera, se sacrifier pour le père, la peinture de Caravage nous enseigne, sans arguties, à même le sol, quelque chose d’un autre ordre.
Une fiction fondatrice de l’ordre social est interne à la structure même du discours, Il y a de l’Un. Où la religion a, encore, pour elle, devant elle, de beaux jours, la psychanalyse peut disparaître, les psychanalystes étant inégaux à asseoir un discours qui rompt avec la représentation, en sorte que nous restons dans une grande proximité avec les Grecs qui « avaient deux mots pour désigner les affrontements entre les hommes : le polemos, visant à triompher de l’adversaire par n’importe quel moyen, et l’agôn, combat selon les règles. ». La répétition, du fait qu’elle impose la représentation, est un obstacle à la démocratie, la démocratie reste une utopie. Pourquoi ? Parce qu’elle implique que nous entrions dans un temps qui fasse humanité, une humanité qui admette, d’abord, une différence, qu’elle dénie toujours plus, la différence sexuelle. Or, nous sommes bel et bien en guerre, une guerre que mènent, contre les moins que rien, ceux qui nous confisquent tout.
La république suppose la démocratie, pas nécessairement l’État, le kratos, la puissance de la vie (le discours muet de la pulsion), autant que l’archè, le principe (la loi qui se pratique). Où le kratos répond de l’expérience, l’archè répond de la raison ; la question étant de savoir politiquement lequel des deux est moral, celui qui respecte la vie dans la mort (Antigone, mais) ou celui qui prétend avoir autorité sur elle, pouvoir en disposer (Créon), il n’en va pas des mêmes législations. Qui ne fait pas le maître, en effet, peut ou bien refuser qu’on prenne la vie d’un autre ou bien refuser qu’on la lui reprenne magiquement . Hémon a raison contre son père, en se posant comme la seule autorité, Créon menace la cité. Je l’ai laissé entendre, les règles que la démocratie se fixe, sous la forme d’un consensus ou d’une constitution, n’exigent pas la présence de l’État, une « juridiction du droit », qui respecte la vie dans la mort, peut tout à fait exister avec pour référent le Kratos ; s’il fait jurisprudence, il est possible de penser une juridiction, qui ne soit pas perverse, admise par tous. D’un tel point de vue, la question fondamentale est celle de l’instruction, pas de l’éducation, l’école reste le seul cadre en dehors de la famille, « famille » où doivent se contenir les opinions privées, qui permette une intégration des enfants à la vie sociale, elle doit être en conséquence, la seule autorité en matière d’intégration : pas d’exception communautaire !
L’État d’urgence sanitaire décrété par Macron est un coup d’État qui s’en prend, au-delà de nos têtes, à nos corps, fini l’espace public où il faisait bon aller et venir. Dans la rue, nous ne sommes plus que des ombres anonymes. S’en est fini de la démocratie représentative ! La peur de la mort a fait resurgir l’État puissance au nom du principe de sécurité contre celui de liberté et sa menace, le totalitarisme d’un État « puissance ».
Le principe de la séparation des pouvoirs, qui faisait tenir la démocratie politique, s’effondre par la concentration des pouvoirs entre les mains de l’exécutif ; le principe de libre administration des collectivités territoriales, qui faisait tenir la démocratie locale, s’effondre par l’affirmation des pouvoirs de l’État central et de ses préfets ; le principe de la négociation collective des conditions de travail, qui faisait tenir la démocratie sociale, s’effondre par le pouvoir donner au gouvernement d’autoriser les employeurs à déroger au droit du travail [quand la santé est « financièrisée »] .
Or, c’est un fait, que la crise met en lumière, que si un État limité par le droit ou une morale est une idée démocratique, il peut exister du commun sans État .
Toulouse, le 06 novembre 20
Balbino Bautista
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Intéressant ce texte de Présumey, très bien documenté et vulgarisé sur l’histoire des religions, en particulier de l’islam.
Tout à fait d’accord pour penser avec lui que Daesch est d’essence fasciste ou que jamais, ou du moins rarement (quelques exceptions comme la théorie de la libération en Amérique du sud, comme le mentionne l’auteur), « nulle part la religion n’a été l’épine dorsale du combat social et démocratique », dont acte.
Après, comme l’indique un des premiers commentaires, je reste un peu sur ma faim: où veut-il en venir, sinon régler son compte à ses camarades d’extrème-gauche qui ne pense pas comme lui sur la question? Je caricature bien sûr mais il y quand même un peu de cela.
Ponctuellement, quand il revient en France (qui est quand même bien notre principal sujet, beaucoup plus en tout cas que ceux de la situation en Arabie Saoudite ou en Iran), je suis perplexe sur certaines affirmations de l’auteur telle que, s’agissant du port du foulard par les adolescentes: « la majorité peut ainsi s’en débarrasser à l’école sans se fâcher avec leurs surveillants familiaux et religieux ». Je n’en doute pas pour certaines d’entre elles, mais qu’est-ce qui lui permet d’affirmer que c’est la majorité? Je suis preneur d’avoir la référence d »études sérieuses sur ce sujet…
Plus généralement, il n’en demeure pas moins que la plus grande partie de la population arabo-musulmane (appelons -là comme cela, tout le monde comprendra) vit dans des quartiers où le taux de pauvreté est parmi les plus forts, de même que le taux de chômage et où les services publics (et aussi privés) sont les plus absents (hors rural profond), situation dont on peut dire qu’elle relève d’une forme de discrimination sociale. Aussi, plutôt que débats sans fin sur le voile portés notamment par ce que l’auteur appelle des « laïcards » (par opposition, si j’ai bien compris des « islamogauchistes »), ne ferait-on pas mieux de consacrer l’énergie de la réflexion et de l’action à lutter contre ces discriminations sociales?
Dernière remarque ou interrogation s’agissant de la délicate question des caricatures: ne faut-il pas privilégier le devoir de respecter chaque individu (je parle bien d’individu et non de religion) au droit de blasphémer (qui n’est qu’un droit et non un devoir)? On ne peut pas nier que ces deux concepts sont en forte tension en cette matière. Au regard de tendances de fond que tout un chacun peut constater au quotidien, à savoir le développement de la violence, à tout le moins de l’agressivité, je répondrais volontiers, dans un souci d’apaisement, par l’affirmative…
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