Ce texte est la brève introduction faite pour le débat en ligne organisé par le WIN (Workers International Network), sur la thématique de la gréve générale, qui aura lieu dimanche 1er novembre à 20H, heure française. Les camarades intéressés pour participer à ce débat peuvent nous contacter à cet effet.
La grève générale est une arme essentielle de combat pour la classe ouvrière. Précisons qu’aucune grève générale n’a touché absolument tous les secteurs et toutes les entreprises. Les plus grandes de l’histoire furent allemandes, on l’ignore souvent : contre le putsch de Kapp, de manière organisée par les syndicats, en 1920, et, de manière spontanée, la grève d’août 1923 qui renversa le gouvernement Cuno et conduisit l’Internationale communiste à sa dernière tentative révolutionnaire sérieuse. En France en mai-juin 1968, la direction de la CGT était parvenue à maintenir la production électrique bien qu’il y ait eu 10 millions de grévistes. Le caractère « général » de la grève générale n’est pas seulement lié à sa massivité, mais à sa dimension politique : elle pose la question du pouvoir, soit par son existence même comme en mai 68, soit de manière explicite par son but affiché, comme en Bélarus aujourd’hui. Sa dynamique entraîne et concerne tous les secteurs sociaux, y compris les chômeurs, la jeunesse qui souvent manifeste avec elle, la petite-bourgeoisie : elle affirme qu’une classe, la classe ouvrière, est à même de prendre en main le destin de la société.
C’est au fond ce que signifiait le communiqué d’Alexandr Iarashuk, secrétaire du BKDP bélarusse, lorsque, mi-août, dans l’élan des grèves de masse qui ont permis au mouvement national et démocratique de continuer contre la terrible répression qui s’était abattue dès le soir des élections truquées, il disait qu’un Comité national de grève devait se former pour prendre le contrôle du pays afin de permettre des élections réellement libres à tous les niveaux.
Mais il disait cela alors que prenait fin la première phase de l’intervention directe de la classe ouvrière en Bélarus, celle des arrêts de travail de masse dans les grandes usines du pays les 11,12 et 13 août. Ces grèves de masse ont permis au mouvement démocratique de continuer, avec les manifestations de masse de tout le monde le dimanche, les marches des femmes le samedi et les marches de retraités le lundi. Mais la masse des travailleurs a repris le travail après les premiers jours, n’ayant pas la possibilité de tenir pendant une longue durée à cause de la répression et des Contrats à Durée Déterminée et des très bas salaires. Depuis ils travaillent souvent au ralenti et se cotisent pour soutenir les membres des comités de grèves qui ont été élus, surtout dans les deux grandes usines (tracteurs et automobiles) de Minsk, dans les secteurs de l’université et de la santé à Minsk, à Hrodna à partir de l’usine Hrodna-Azot, et dans le centre minier de Belaruskali, où le comité de grève est directement relié au syndicat indépendant BKDP. La grève a été poursuivie par les membres des comités de grève, régulièrement arrêtés et brutalisés par les Omon (police), au nom de tous les travailleurs.
Cette situation un peu particulière a été appelée « grève à l’italienne ». Il est évident et les travailleurs le savent, que dans la durée il leur faudra se remettre massivement en grève effective. Mais par son contenu politique et le niveau de mobilisation autour des centres ouvriers et dans tout le pays, il s’agissait bien de « grève générale » au sens politique du terme. Il est très significatif que, de plus en plus, les bélarusses appellent l’ensemble de leur mouvement la « grève générale », là où les Ukrainiens en 2013 disaient « le Maïdan », les Algériens le « Hirak », les Tchèques et les Slovaques en 68 le « Printemps », etc. Le terme bélarusse est « grève générale » et ceci passionne les travailleurs en Russie comme en Ukraine et comme en Pologne, Lituanie ou Hongrie.
Après la première phase mi-août, et la seconde phase que fut la longue « grève à l’italienne », une troisième phase a été ouverte par Svetlana Tikhanovskaia, qui a gagné les élections du 9 août, peut-être pas à 80% mais certainement à 60%. Cette jeune femme n’est pas un dirigeant politique « bourgeois ». Elle n’a pas de position politique arrêtée en dehors de l’exigence d’une Bélarus démocratique. La partie sociale de son programme a été influencée par le BKDP (contrats de travail collectifs pour tous), la partie économique par les libéraux partisans des privatisations, et ces deux parties sont contradictoires. Elle n’a pas fait campagne sur ce programme, mais en s’affichant comme symbole de la volonté de liberté à la place de son mari emprisonné. Le soir des élections, ayant peur pour ses enfants, elle a fui le pays. A ce moment-là, elle a appelé à ne pas manifester ni faire grève et pensait que son rôle était terminé. Or, début octobre, elle a repris elle-même la formule de « grève générale » et elle a appelé à la grève générale politique à partir du lundi matin 26 octobre. Et des grèves ont en effet repris à plus grande échelle, paralysant de fait les plus grandes usines et bloquant transports urbains et magasins.
Ces combats ont eu lieu en même temps que le soulèvement des femmes contre l’interdiction de l’avortement en Pologne, pays voisin et très important pour les Bélarusses.
Dans cette troisième phase, les camarades du BKDP débattent sur la « grève à l’italienne » et la « grève à la française ». Alexandr Iarashuk a publié une interview beaucoup plus réservée et modérée qu’en août sur la possibilité de grèves de masse, tout en maintenant l’objectif qui, selon lui, sera atteint au final : chasser Loukachenko. Le REP, syndicat des secteurs informatique et électrotechnique, affilié au BKDP, a poussé pour une « grève à la française ». La répression, très violente, frappe particulièrement trois secteurs : le REP, dont la dirigeante Zinaida Milkhniuk a été arrêtée à Brest-Litovsk le dimanche 25 octobre avec ses camarades Ales Sakharuk et Dahs Polyakova, le comité de grève de la Bélaruskali lié au BKDP, et le comité de grève de l’usine automobile de Minsk, notamment.
Entre « grève à l’italienne » et « grève à la française », les prolétaires bélarusses sont en fait en train d’écrire une nouvelle et belle page de l’histoire de la grève générale prolétarienne. Leur « grève générale à la bélarusse » est une mobilisation politique de longue durée adossée à la résistance ouvrière, sur un objectif politique et démocratique qui ouvrira la voie à toutes les revendications sociales, lesquelles passent par lui : la suppression du système des CDD (Contrats à Durée Déterminée) passe par le renversement de Lukachenko, on ne doit donc pas opposer revendications démocratiques et revendications économiques, elles vont ensemble. Cela peut durer, mais ils ont la force de vaincre comme le leur montrent les exemples récents de la Bolivie et du Chili.
La grève générale a une longue histoire. En France, nous avons eu des grèves générales et des poussées vers la grève générale (1906, 1920, 1936, 1947, 1953, 1968, 1995, 2003, depuis 2016) qui tendent à l’affrontement direct avec le pouvoir d’État. En Grande-Bretagne, on a eu des grèves économiques cherchant à s’étendre, ce qui conduisait à un affrontement politique que les directions syndicales craignaient et donc perdaient (1926, 1984). L’Afrique du Sud, la Corée, le Brésil … donnent d’autres exemples. L’actuelle grève générale à la bélarusse est d’une grande importance pour la classe ouvrière, le mouvement syndical, et les révolutionnaires internationalistes du monde entier, car elle apporte une nouvelle expérience en train de se faire à cette longue marche vers l’émancipation.
30 Octobre 2020.