Déferlante, immense, tsunami… Les mots forts manquent pour caractériser la seconde journée de mobilisation contre la réforme des retraites. En effet, la police comme les syndicats s’accordent au moins sur une chose : la journée du 31 janvier était encore en plus forte que celle du 19.
Selon la CGT, c’est 2,8 millions de personnes, soit 700.000 de plus que la fois précédente, qui ont participé aux près de trois cent manifestations organisées dans tout le pays… y compris dans les îles bretonnes ! Passé les photos impressionnantes, par exemple, de la place d’Italie à Paris pleine à craquer ou des trois ponts de Rouen submergés par la foule, c’est la France des sous-préfectures qui se mobilise, tout comme lors des Gilets jaunes, celle qui a vu disparaître son usine, sa maternité etc et qui voit son avenir encore s’assombrir un peu plus ; c’est aussi le secteur privé, plus massivement en grève contrairement à celui public dont la participation fléchit en partie, avec des cortèges de collègues de petites comme de grandes entreprises venus manifester ; enfin, ce sont les jeunes, nettement plus présents dans les cortèges en dépit des manœuvres policières comme politiciennes pour leur dénier d’avoir voix au chapitre là où cette bataille a aussi un enjeu intergénérationnel fort.

Son caractère massif oblige l’intersyndicale nationale à, d’une part, accélérer le rythme de la mobilisation avec un nouvel appel à la grève et à la manifestation dès la semaine prochaine soit mardi 7 février et, d’autre part, à multiplier les dates avec ‒ c’est une première ‒ un appel à faire de même le week-end dans la perspective de passer encore un cap en matière de participation. Le problème avec une telle tactique, comme résumé par Clausewitz, est qu’au delà d’un point culminant, la marée se retourne et le contre-coup survient. La petite musique que le mouvement faiblit commencera alors à se diffuser alors qu’il est déjà plus fort à son début que celui de 1995, qui avait lui contraint le gouvernement à reculer.
Face à ces coups répétés, la Macronie, qui laisse planer la menace de la dissolution, se fissure et le débat sur le texte, commencé le 30 janvier dernier à la commission des affaires sociales et qui doit se poursuivre dans l’hémicycle à partir du 6 février prochain, se tend : dès lors, un rejet par l’Assemblée Nationale de la réforme est tout à fait envisageable, mais c’est oublier que l’article 47-1 permet de s’en dispenser… et le 49-3 de le contourner ! Même si le recours à ces armes constitutionnelles serait perçu, par le plus grand nombre, comme un déni de démocratie et mettrait encore plus en évidence le caractère minoritaire du pouvoir, il tendrait certes davantage la situation mais le texte, sans blocage continu du pays, poursuivrait sa route au Parlement comme si de rien n’était. Et Macron n’est pas De Gaulle avec sa pratique plébiscitaire de la Vème République, ni même Chirac qui avait dû reculer face aux mobilisations sociales en 1995 et en 2006 et recourir au référendum en 2005 pour la Constitution européenne.
Nous voulons gagner, pas juste témoigner !
Alors que le rejet de la population est non seulement massif mais va en augmentant, la mobilisation inédite par son nombre et que l’inquiétude des ministres et des député-es Renaissance, réduits à multiplier les déclarations pleines de mépris à son égard, est patente, il flotte dans l’air comme un parfum que « Oui, cette fois-ci, il est possible de gagner » mais le mouvement, doté d’une force propulsive impressionnante, est sur un chemin semé d’embûches : il ne peut faire l’économie de sa propre stratégie dans le temps qu’il reste devant lui, la réforme pouvant être définitivement adoptée le 26 mars prochain.
Les ferments qui le constituent sont déjà là pour nous y aider :
– en ancrant localement les mobilisations : alors que des centaines de mairies ont fermé hier leur portes pour manifester ainsi leur soutien, ouvrons partout des maisons de la grève, à l’instar des cabanes sur les ronds-points là-aussi au moment des Gilets jaunes, ouverte à toutes celles et ceux qui veulent la construire, y compris en dehors de leur temps de travail, en allant à la rencontre des travailleurs les plus précaires donc les plus éloignés de la mobilisation, soutenir les grévistes d’ors et déjà en reconductible ou déjà en bagarre pour des revendications salariales, bref la populariser.
– le calendrier revendicatif ne doit pas dépendre de la seule intersyndicale nationale qui, pour maintenir son unité qui demeure certes un atout pour une levée en masse, est sur le développement d’une démonstration de force là où c’est bien un rapport de forces, qui passe par le blocage continu de plusieurs secteurs d’activité simultanément, qui est nécessaire pour remporter la victoire. Une ou plutôt des autres intersyndicales sont possibles, ce qui est déjà le cas localement mais aussi au niveau des secteurs d’activité et des entreprises, là où justement se construisent les grèves.
– politiser le rejet de la réforme : comme l’a écrit Saint-Just « Les malheureux sont les puissances de la terre, ils ont le droit de parler en maîtres aux gouvernements qui les négligent. » Cette réforme, sur fond d’hyperinflation et de crise énergétique, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase : hausser encore et toujours le ton, se préparer également à être des millions, venus de tout le pays, à monter à Paris sur les lieux de pouvoir pour montrer, encore et toujours, l’isolement du pouvoir et l’illégitimité de leur réforme, voilà un objectif à construire dès maintenant !
Laurent Degousée, le 31-01-2023 en fin d’après-midi.