Notes de lecture
« Périssent les colonies plutôt qu’un principe…La violence commise envers le membre le plus infime de l’espèce humaine affecte l’humanité toute entière ; chacun doit s’intéresser à l’innocent opprimé, sous peine d’être victime à son tour, quand viendra un plus fort que lui pour l’asservir. La liberté d’un homme est une parcelle de la liberté universelle, vous ne pouvez toucher à l’une sans compromettre l’autre tout à la fois. »
Victor Schoelcher,1842, cité page 222.
Lors du meeting du 5 décembre tenu à la Bourse du Travail de Paris en soutien à la résistance ukrainienne « armée et non-armée », Edwy Plenel y a fait une excellente intervention. Alors qu’il avait publié en septembre un ouvrage intitulé « L’épreuve et la Contre-épreuve, de la Yougoslavie à l’Ukraine » sur la même orientation, il y démontre que cette politique impérialiste russe contre les droits du peuple ukrainien ( qu’il appelle « la contre-épreuve »), tous les ingrédients de cette politique étaient déjà en application lors de l’éclatement de la Yougoslavie de 1991 à 1999 (« l’épreuve »). J’ai jugé bon d’en reprendre pour nos lecteurs le détail pour encourager la lecture de ce livre.
« La Contre-épreuve »
L’angle d’attaque porte contre les positions de Jean Pierre Chevènement développées dans un ouvrage intitulé « Un Défi de Civilisation » qui, dès 2016, alors que les troupes russes interviennent en Syrie, dénie à l’Ukraine la qualification de nation, « un patchwork qui essaie péniblement de se construire une identité nationale ». Sous François Hollande, il devient un interlocuteur privilégié de la France, promu par le chef de l’Etat à ce titre, auprès de Vladimir Poutine de 2012 à 2021. L’invasion de l’Ukraine n’est pas le produit d’un pouvoir devenu « paranoïaque », mais l’affirmation d’un impérialisme, un Etat de type totalitaire, au sein du monde multipolaire. Il faut ajouter, de mon point de vue, que Chevènement au sein de la « gauche » française avait cristallisé le courant souverainiste à la faveur du double non à l’intervention de la France en Irak lors de la première guerre du Golfe et au traité de Maastricht. Dans cette continuité s’inscrit « l’aveuglement » actuel de Jean Luc Mélenchon le conduisant, comme représentant de la gauche et des écologistes, à défendre un « campisme » de gauche, « fonctionnant par antiaméricanisme automatique, comme s’il était tenu par le membre fantôme du soviétisme disparu » (page 33)
Le 11 novembre 2021, Mélenchon déclarait au Figaro :
« Je ne crois pas à une attitude agressive de la Russie et de la Chine. Je connais ces pays, je connais leur stratégie internationale et leur manière de se poser les problèmes. Seul le monde anglo-saxon a une vision des relations internationales fondées sur l’agression… »
Toutefois s’il condamne à l’Assemblée Nationale le 1er mars 2022 l’intervention russe, il refuse de soutenir l’aide militaire au peuple ukrainien. L’alternative est entre un nouveau conflit mondial ou la diplomatie secrète. Le mouvement des peuples et des classes sociales, la position souverainiste de l’un et populiste de l’autre les conduit à ne pas les reconnaitre.
La catastrophe, pour Poutine, c’est la dislocation de l’URSS. Pour l’ancien officier du KGB qu’il fut, c’est-à-dire un vrai stalinien, il en a vécu la disparition comme un handicap pour un nouvel empire niant le droit des peuples le constituant. La Nation ukrainienne est pour lui une invention des bolchéviks et de Lénine en particulier. Ensuite le trotskysme en entretiendra le souvenir dans la question des nationalités. Plenel rappelle le seul ouvrage théorique de Staline écrit en 1913 « Le Marxisme et la question nationale » où « il s’y distingue par un chauvinisme grand-russe, s’opposant à l’autodétermination, au point de juger contre-révolutionnaires les demandes de sécession, notamment de l’Ukraine… » (page 48). Poutine se pose donc comme l’héritier de Staline.
« …l’actuel occupant de Kremlin, dans son discours du 21 février, donne acte à Staline « d’avoir pleinement réalisé non pas les idées de Lénine, mais ses propres idées sur l’Etat », c’est à dire « un Etat strictement centralisé et totalement unitaire ». Il lui fait seulement grief de n’avoir pas « révisé formellement les principes léninistes proclamés lors de la naissance de l’URSS. »(page 49).
Plenel rejette toute posture dans la guerre actuelle renvoyant dos à dos l’agresseur et l’agressé, et le repli sur l’intérêt national, qui ne fait qu’alimenter la montée des extrêmes droites populistes. La riposte ne peut être que dans un nouvel internationalisme, auquel la gauche et une grosse partie de l’extrême gauche française tournent le dos aujourd’hui. Il s’agit donc de renouer les liens avec « ce sursaut des consciences qu’a porté Trotsky ». Maintenant que l’URSS n’est plus « qu’un continent englouti » (page 71), nous avons pour tâche d’être la continuité du combat de l’opposition de gauche. Au moment où le SWP (Socialist Workers Party) se prononce en 1940 pour la défense inconditionnelle de l’URSS contre l’agresseur nazi, Natalia Trotsky rompt peu après avec la IVème Internationale, considérant qu’après le Thermidor sanglant, cet Etat n’avait plus rien d’« Ouvrier ». L’affaire de cette démission depuis fait partie de ces cadavres cachés dans les placards de toutes les organisations qui se sont réclamées du trotskysme. Plenel ajoute :
« Aussi audacieuse que visionnaire, cette dénonciation du « campisme », qui aujourd’hui encore paralyse la gauche face aux menées poutiniennes, fut reçue avec mépris par les dirigeants d’alors de l’Internationale trotskyste… » (page 76)
Le livre salue le travail méticuleux de Trotskyen 1936 dans « La révolution trahie », puis dans le « Staline » inachevé en raison de son assassinat, décrivant la dégénérescence de l’URSS et la nécessité du combat pour la démocratie contre le régime du parti unique.
Ces leçons de notre histoire doivent être tirées jusqu’au bout car elles sont en rapport direct avec le retour d’un conflit inter-impérialiste mondial, dont l’agression contre l’Ukraine ne serait qu’une préface. Plenel pose une question qui fâche beaucoup dans la gauche et l’extrême gauche, celle de de la résistance armée du prolétariat, qui est amené en Ukraine à combattre pour le pouvoir pour ses propres intérêts de classe. Il écrit :
« C’est la voie qu’indiquent ces anarchistes ukrainiens qui mènent avec d’autres syndicalistes ouvriers la lutte contre la volonté du pouvoir de Kyiv de remettre en cause le code du travail, au prétexte de la loi martiale, tout en participant à la résistance à l’invasion russe sur la ligne de front, au sein d’une unité autonome de combattants libertaires. Leu message a une portée générale… » (page 101-102)
« L’épreuve »
La deuxième partie de l’ouvrage est une longue polémique argumentée contre les positions de Régis Debray que l’auteur avait rédigée en 1999. Evidemment entre 1999 et 2022, dont la création de Mediapart en 2008, beaucoup d’événements politiques mondiaux se sont déroulés. Toutefois l’apport central de cette seconde partie réside dans le lien fait entre la négation des droits du peuple kosovar par le pouvoir serbe résultant de l’éclatement de la Yougoslavie hier et la guerre contre l’Ukraine aujourd’hui. Ainsi l’auteur souligne, par exemple, que la Ligue des Communistes de Serbie, résultant de l’éclatement du parti stalinien, passe accord, sous le label Parti Socialiste, avec le parti radical, formation d’extrême droite, raciste et fasciste. Ainsi se trouve scellée une union rouge-brun en soutien à la politique de Milosevic.
Poutine n’a fait que porter à un niveau plus large cette politique. Une bonne partie de l’extrême gauche organisée en France, hantée par le « fantôme » de l’Etat ouvrier dégénéré que serait encore le régime russe actuel, hésitant à caractériser la politique de la Russie de Poutine comme impérialiste, exonèrent cette politique :
« Contrairement à ce que j’ai cru et défendu dans ma jeunesse militante, il n’y avait pas plus d’Etats ouvriers » – fussent-ils « déformés » ou « dégénérés » comme nous disions pour nous rassurer – à défendre qu’il n’y avait d’humanité et de morale, de simple humanité et d’élémentaire morale, dans cette réalité totalitaire. D’ailleurs, lesdits ouvriers, ne se sont pas privés de nous le démontrer en ne levant pas le petit doigt, quand « leurs » Etats se sont effondrés d’eux-mêmes. » (page 269)
Ce qu’il rejette dans Régis Debray, c’est son souverainisme qui le conduit à ne prendre en considération que les Etats, les chefs d’Etats et donc la Raison d’Etat. Rejetant de fait le mouvement des peuples et la dynamique des classes sociales, il est logique d’aller vers le campisme actuel :
« De nos jours… l’étrange me semble être cette étrange cohorte que tu parraines, les nationaux républicains. C’est peu dire qu’elle est vaste et diverse ! On y trouve des gens de droite et, d’autres de gauche, des à droite de la droite, et des à gauche de la gauche, des communistes et des chevènementistes, des ex-staliniens et des ex-gauchistes, des gauchistes et des viliieristes, voire depuis peu, des trotsko-républicains…. » (page 145)
Un commentaire personnel sur ce point : « les trotsko-républicains », voiture balai de cette étrange unité des républicains des deux rives, c’est une allusion évidente à l’évolution du courant lambertiste. Le passage en 1983 au Mouvement pour un Parti des Travailleurs, puis au Parti des Travailleurs sur une ligne qui est celle de la défense de « la république, une, laïque et indivisible », marque une vraie rupture avec le trotskysme. L’accord actuel du POI avec Jean Luc Mélenchon, la place prise par ce petit parti dans la dernière campagne législative n’est pas conjoncturelle, elle est l’aboutissement d’une dérive.
C’est sur cette question que Plenel va tirer une conclusion importante en se retrouvant en compagnie de Trotsky, qui se révèle être pour lui « un bon compagnon » : le cancer du mouvement ouvrier, c’est le national-communisme. Dans le bulletin de l’Opposition de gauche du 24 septembre 1931, Trotky rédige une brochure qui sera diffusée en Allemagne qui dit ceci :
« L’infiltration nationaliste dans la pensée communiste a commencé avec le socialisme dans un seul pays de Staline, et maintenant elle donne le communisme national de Thäelman [le chef du KPD]. Les idées n’ont pas seulement leur propre logique, mais leurs propres forces explosives, et le manque de scrupules avec lequel le Komintern tente de renchérir sur la démagogie nationaliste de Hitler montre bien le vide spirituel du stalinisme. » (cité page 194)
Autrefois, ajouterais-je, dans les périodes d’offensives des masses contre le capitalisme – 1936, 1945, 1968 – c’est le PCF qui jouait la partition de la grosse caisse contre la révolution. Aujourd’hui, c’est le national-populisme de Mélenchon qui devient le gardien de la Vème République sous les plis du drapeau des versaillais. Il reçoit l’aide d’un allié – le POI -qui peut nous surprendre. Et pourtant cette évolution n’est -elle pas explicable par cette dérive « trotsko-républicaine », ou souverainiste, que Plenel épinglait à juste titre en 1999 et qui devait entrainer dès 1982 la destruction de l’OCI comme organisation révolutionnaire. Certes, on notera quelques faiblesses dans l’argumentation sur l’Europe et l’Internationalisme, où la perspective des Etats Unis socialistes d’Europe n’est pas franchement avancée. Il est vrai qu’en 1999, beaucoup de militants à gauche et à l’extrême gauche pensaient que l’Europe économique restait capitaliste mais qu’un volet politique, social, voire même militaire, pouvait être défendu. C’était une illusion qui a abusé une génération.
*L’épreuve et la contre-épreuve, Ed.Stock, septembre 2022, 19,50 E.

Merci pour cette info-pub sur le livre de Plenel. Je ne vais pas l’acheter. Je respecte Edwy, je suis abonné à son journal, mais le fait qu’il appelle à voter Macron au second tour n’est pas digérable, pour moi.
Dans ton argumentation, il y a au des mots qui agissent sur moi comme un tissu rouge, c’est « campisme antiaméricain ». Je suis sans aucun doute « anti américain » au sens où je suis dans le camp opposé à l’impérialisme américain (et non pas, naturellement, contre « les américains ») de même que je suis « anti israélien » dans un sens voisin (sans forcément détester tous les israéliens…)
L’accusation de « campisme » est irrésistiblement du type « c’est celui qui le dit qui l’est ». Mieux vaudrait, pour la clarté du débat, éviter cette formule.
Pour ce qui est de savoir et si nous avons eu tort de parler de conquêtes ouvrières dans l’URSS des années d’avant la chute du mur, et de préciser la caractérisation de la situation actuelle en Russie, je préférerais en parler avec un Jean-Jacques Marie plutôt qu’avec Plenel !
Ce que les états de l’URSS ont produit en matière sociale, industrielle, scientifique et culturelle entre 1920 et 1990 doit être examiné, de même que les crimes commis contre la population. Non pas pour balancer ceci contre cela comme l’a dit stupidement Marchais…
Après Eltsine, je crois que la population russe, en particulier, a perdu dix ans d’espérance de vie. Il devait donc y avoir quelque chose, qui a disparu depuis.
Je ne sais pas quelle est la situation sociale et humaine aujourd’hui en Russie. Je sais qu’en sciences et en maths, ça c’est effondré (mais plus qu’en France ? Ce n’est pas sûr) mais sur le plan social ?
La vie est compliquée ! Un de mes amis a quitté l’Irak avant la chute de Saddam Hussein. Il est matheux, et surtout bon violoniste. Il m’a dit « Saddam Hussein était un tyran, mais l’Université fonctionnait très bien et le système de santé aussi. Aujourd’hui tout est ravagé. »
J’ai lu que dans la Syrie de Bachar-el-Assad, les 200 produits de première nécessité étaient subventionnés et leurs prix bloqués, avant la guerre. Survivance du BAAS. Maintenant je ne sais pas.
Ce sont ces examens sociaux précis et documentés qui me manquent. Je ne me soucie pas des grandes déclarations.
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Pour JP Boudine la qualification de campisme serait au moins confuse et relèverait de la dialectique « irrésistible » de la cour de récré…
Ici on appelle « campisme » la supercherie réactionnaire qui consiste à substituer à la lutte entre les classes sociales, la lutte entre deux camps impérialistes, pour justifier un alignement sur l’un de ces deux camps.
Mieux vaudrait donc « pour la clarté du débat », ne pas satisfaire à l’injonction de JP Boudine « d’éviter cette formule ». La qualification du campisme exerce, sur lui, un effet répulsif « comme un tissu rouge » dit-il. Décidément nos peurs parlent de nous.
Ici ce qui nous révulse ce sont le Holodomor de Staline, l’assassinat massif des Syriens par Bachar el Assad et son allié, les crimes de guerre de Poutine en Ukraine…
Même si J.J. Marie n’en parle pas.
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Lénine qui était complètement chauve avait l’habitude de dire que ce processus ne se développe pas du jour au lendemain: c’était une manière de faire comprendre une des lois de la dialectique, la quantité se transformant en qualité. L’exemple que tu prends à propos du régime de Saddam Hussein me conforte dans ma position. Sous Saddam il y avait des femmes enseignantes, avocates, médecin, il y avait une certaine laïcité de l’Etat et une mise à distance vis à vis des courants islamistes. Une dictature peut parfaitement faire cela, cela ne change rien à la caractérisation qu’on porte sur cet Etat. Sous le régime stalinien les écoles, les services de santé, l’ouverture des professions qualifiées aux femmes se sont développées. Est ce que cela change pour autant la nature de cette dictature, qui se retrocède la valeur produite par le travail humain dans un régime d’appropriation sociale des moyens de production et qui se reconstitue en classe dominante maffieuse? Le problème est sur l’ossification des internationales issues du trotskysme autour d’une caractérisation portée par Trotsky à la veille de la seconde guerre mondiale, que nous avons répétées comme des perroquets pendant plusieurs décennies au lieu de partir d’une analyse concrète de ce qui se passait réellement. Je doute que Jean Jacques Marie soit prêt à discuter cette question sur le fond. On peut utiliser une caractérisation ou un mot d’ordre correct pour le trahir et, par exemple aujourd’hui, refuser de prendre position pour la résistance « armée et non armée »: le plus gros morceau de l’extrême gauche française renvoie dos à dos l’agresseur et l’agressé et trouve des justifications à la position de Poutine. Plenel a raison d’écrire que beaucoup de militants se comportent comme s’il étaient tenus « par le membre fantôme du soviétisme disparu ».
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» Sur la propriété d’Etat en URSS et son avenir possible, Trotsky écrit dans la « Révolution trahie » : » Le destin des moyens nationalisés de production sera décidé, en fin de compte, par l’évolution des différentes conditions personnelles. Si un paquebot est déclaré propriété collective, les passagers restant divisés en première, deuxième et troisième classes, il est bien compréhensible que la différence des conditions réelles finira par avoir, aux yeux des passagers de troisième, une importance beaucoup plus grande que le changement juridique de propriété. Les passagers de première, au contraire, exposeront volontiers entre café et cigare, que la propriété collective est tout, le confort des cabines n’étant rien en comparaison.. » ( La Révolution Trahie, Edition 10-18, page 241).
Les passagers de troisième classe étant dans l’impossibilité, vu la liquidation de toute forme d’organisation et, entre autres, de l’opposition de gauche, vu le régime policier, de renverser les passagers de la première classe et pouvant de moins en moins supporter une vie quotidienne invivable (la pénurie de tout, l’espionnite, l’absence de toute perspective d’amélioration..etc) feront de plus en plus mine de travailler… en travaillant donc (évidemment !) de moins en moins, faisant une sorte de grève générale passive non déclarée qui mettra le régime à genoux.
Je me rappelle avoir, en juillet 1989, rencontré à Moscou les dirigeants de la grève des mineurs ( pas passive, elle, active et devenue assez vite générale). L’un d’eux m’a alors déclaré : « on n’est pas pour la propriété privée, car on ne sait pas comment ça fonctionne, mais chez nous rien ne marche. »
La conclusion s’est vite imposée.
jj marie.
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Les quelques remarques intéressantes que nous envoie Jean-Jacques Marie posent à mon avis deux questions de méthode.
La première est que la parabole des passagers de troisième classe dans le paquebot est faite par Trotsky en 1936, le même Trotsky qui, à la veille de la seconde guerre mondiale, n’envisage pas que la nature sociale (« ouvrière ») et politique (« bureaucratique ») de l’URSS puisse sortir à l’identique de cette guerre. On dirait par contre que selon J.J. Marie (fidèle en cela à une certaine orthodoxie), l’URSS est restée un paquebot avec des classes de passagers, à l’identique, pendant 50 ans, ce qui est totalement a-historique.
Il s’ensuit le second problème : ce serait les passagers de troisième classe, les prolos donc, qui, en ne foutant rien, ont mis le régime par terre et finalement préféré « la propriété privée ». C’est pourtant la bureaucratie d’État, gestionnaire du capital productif accumulé depuis 1929, qui s’est largement convertie en classe de capitalistes privés.
Cette représentation immobile de l’histoire conduit donc à des conclusions politiques pour le moins risquées. Et à quelle conclusion conduit-elle dans la question la plus brûlante de l’heure : la guerre impérialiste russe de destruction de l’Ukraine ? Ce serait bien de savoir ce qu’en pense Jean-Jacques Marie.
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Pour ce qui concerne Jean-Jacques Maris, il a abordé (en historien) avec grande clairvoyance ces sujets dans les Cahiers du Mouvement Ouvrier (site que je recommande à tous, y compris la famine en Ukraine du temps de Staline :
https://cahiersdumouvementouvrier.org/
Neldo
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J.J. Marie comme historien donne de nombreux éléments factuels sur le caractère voulu de la famine en Ukraine en 1932-1933, mais évite systématiquement de qualifier ces faits de génocide (Holodomor). En outre, dans son récent article sur « L’Ukraine d’hier et d’aujourd’hui », il n’a toujours pas intégré les connaissances les plus élémentaires que l’on est en droit d’attendre d’un historien sur la question nationale ukrainienne et la réalité d’une nation ukrainienne antérieure à 1917.
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L’Assassinat de Kirov le 1er décembre 1934 est une date importante car elle marque le début de la politique stalinienne de destruction de la génération qui a fait la révolution, les 3 grands procès dits « de Moscou » suivront (août 1936, janvier 1937 et mars 1938).
La citation datée de 1936 de Trotsky, extraite de La Révolution trahie, est à resituer dans le contexte de l’évolution de sa propre pensée politique. D’où la caractérisation qui sera développée ensuite dans le Programme de la IVème Internationale, à la veille de la guerre, d’Etat ouvrier bureaucratiquement dégénéré ou déformé. Il y aura ensuite en août 1939 le pacte germano-soviétique concrétisant l’accord Hitler-Staline pour se partager l’Europe orientale, la neutralité bienveillante des appareils des PC vis-à-vis des nazis, coupant l’herbe sous les pieds d’une génération communiste dans sa lutte contre le fascisme. A Paris, en juillet 40, Duclos demande la légalisation de l’Humanité.
Trotsky ne remet pas en cause le « changement juridique de propriété » ou nature de classe de l’Etat soviétique. Il base sa perspective sur la révolution politique, c’est à dire une révolution chassant la bureaucratie du pouvoir, de l’État, et réinstaurant une démocratie intégrale des masses travailleuses sur tous les aspects de la vie politique et sociale, dans un cadre inchangé de la propriété collective. Il engage ensuite un second front, face à la guerre. Dans les derniers mois de sa vie il se bat pour engager les maigres forces de la IVème Internationale dans la PMP (Politique Militaire Prolétarienne) : pour le prolétariat se posera la question de la lutte concrète, c’est-à-dire armée, contre la double oppression sociale et nationale dans les pays occupés et les colonies. Pour lui, la question de la nature de l’URSS sera tranchée par les rapports de force qui sortiront de la guerre.
Or, la bureaucratie stalinienne s’est faite l’agent de la protection des Etats capitalistes en Europe occidentale fragilisés par la montée prolétarienne (particulièrement en Grèce, France et Italie). De Gaulle n’existe pas sans le soutien des directions du mouvement ouvrier traduit par le programme du CNR.
Je pense que, globalement, les organisations se réclamant du trotskysme sont restées arc-boutées sur une caractérisation datée de 1936-1938. Cela a eu pas mal de conséquences d’ordre politique. Je suis pour le moins étonné de constater dans la question de l’agression russe contre les droits du peuple ukrainien aujourd’hui, préfaçant peut-être un troisième conflit mondial, qu’une bonne partie de l’extrême gauche française, trotskystes compris, trouve des justifications au régime de Poutine.
La formule d’Edwy Plenel me semble justifiée : ces militants hantés par « le membre fantôme du soviétisme disparu ». Poutine, c’est l’œuvre que Boutenko, la fraction fasciste de la bureaucratie, n’a pas pu faire aboutir dans les années 1930.
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A propos de méthode, attention aux dérapages dans la façon de débattre de VP :
– « On dirait par contre que selon J.J. Marie (fidèle en cela à une certaine orthodoxie),.. »
– « .. second problème : ce serait les passagers de troisième classe, les prolos donc, qui, en ne foutant rien, ont mis le régime par terre et finalement préféré « la propriété privée ».
Cette manière de tirer des suites supposées ou inventées, à partir d’un propos, pour le déconsidérer, rappelle fortement les pires méthodes qui interdisent toutes discussions qui contrediraient la ligne officielle : celles que nous avons connu dans l’OCI, le CCI et la TCI
Dommage !
Aller, encore un petit effort camarade, pour se débarrasser de ce genre de façon de discuter
Le propos suivant de Duguet est d’ailleurs nettement plus intéressant
Neldo
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Je crois que l’on peut très objectivement et très cordialement, Neldo, te retourner le compliment .
En effet, J.J. Marie est évidemment « fidèle » ici à l’orthodoxie trotskyste, et ce qu’il dit ici des passagers de 3° classe, de leur « grève générale passive » qui a mis le régime à genou et des mineurs de 1989 suggère très clairement, et sans nulle interprétation malveillante ou discréditante, que les prolos ont favorisé la supposée restauration du capitalisme. C’est là une thèse (qu’elle soit ou non celle de J.J. Marie) que l’on peut argumenter et qui mérite discussion.
Mais affirmer, comme tu le fais ici, qu’en mettant ces points en discussion je m’adonne aux « pires méthodes » (sic !!!), de l’OCI, etc., c’est cela même, Neldo, qui s’apparente aux dites méthodes : car cela ne peut pas avoir d’autres effets (et je suppose par principe que telle n’est pas ton intention) que d’interdire cette discussion nécessaire. Et, accessoirement, tu t’adonnes à une stigmatisation typique de ce que tu prétends dénoncer, à mon propre égard.
Ici, on discute parce que c’est nécessaire, légitime et utile. On ne discute pas pour discréditer, mais parce qu’il s’agit d’idées, de contenus, d’orientation, qui ne vivent et n’existent que par l’échange vivant. Prendre peur, dès qu’un désaccord est explicité, ou questionné, et agiter le chiffon rouge des « méthodes que nous avons connues », ce n’est pas s’émanciper de celles-ci, bien au contraire.
Un petit effort, camarade, pour ne plus avoir peur de la discussion, ne plus prendre la démocratie pour le discrédit.
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