Les grèves qui s’étaient multipliées avant et durant les élections présidentielles, notamment pour des augmentations de salaires, sont en train de reprendre et s’annoncent de plus en plus nombreuses pour les semaines à venir, la deuxième quinzaine de mai et la première quinzaine de juin. La plupart de ces grèves sont pour des augmentations de salaires ou pour des effectifs supplémentaires, l’amélioration des conditions de travail, par exemple dans les hôpitaux et services de santé.

Rapidement, on peut recenser, et ce n’est pas exhaustif : une grève des bus à la RATP les 23, 24 et 25 mai et, avec en plus de la RATP, de nombreuses grèves dans les bus à Nevers, Rouen, Aix en Provence, Châtellerault, Chalons, Cannes, Dijon, Côte d’Azur ; une grève reconductible à la BNF à partir du 23 mai ; grève chez Framatome les 23, 24, 27 mai après déjà le 20 mai ; grève des agents de sécurité le 24 mai ; grève chez Monoprix le 28 mai ; grève dans le travail social les 31 mai et 1er juin ; grève des électriciens et gaziers le 2 juin ; grève au Ministère des Affaires Étrangères le 2 juin ; grève chez Orpéa le 3 juin ; grève probable chez Ryanair début juin ; grève probable dans la santé le 7 juin avec une généralisation des grèves dans les urgences, une multitude de grèves dans les services santé des hôpitaux et EHPAD et des manifestations de soutien pour la défense des urgences et services ; grève aux ADP Roissy et Orly le 9 juin ; grève à la Poste le 16 juin ; grève chez RTE commencée il y a trois mois qui continue ; grève des maîtres nageurs des piscines ; des grèves locales de cheminots, d’agents territoriaux, municipaux en quasi continu, et en vrac, dans des entreprises privées, grève ces jours-ci chez Toyota, Arco, Smart, Faurecia, Johannes Boubée, Carrefour, Aldi, Mutuelle Vyv, Scopelec, PEI, Capgemini, Nexter, Novasep, Cane, Malvaux Origin, Marionnaud, Stockomani, EFI, Novares, Candia, Mécachrome, Hiolle technologies, clinique Annecy, … Et puis encore les samedis des Gilets Jaunes, la Marche des Solidarités le 11 juin…

Ce mouvement de grèves n’est pas hors du commun mais dessine quand même un réel mouvement, d’autant plus que même à bas bruit, il dure quasi sans discontinuer depuis la fin du printemps 2021, c’est-à-dire depuis un an et, ce qui est à noter, n’a pas été arrêté ou atténué par les périodes électorales, bien au contraire. Ce qu’il faut mettre en parallèle avec la durée également du mouvement des Gilets Jaunes qui dure depuis plus de 3 ans et demi et les vagues de luttes en quasi continu depuis 2016. Il y a quelque chose qui ne passe pas, ne trouve pas son expression politique… et qui mûrit.

Faute de recensement des grèves -parce que les chiffres du ministère du travail ont toujours du retard sur l’actualité et sont de toute façon bidons et que les directions syndicales ne les recensent plus – personne n’a remarqué, ni pris la mesure et donné une signification à la longue durée de cette fièvre sociale, sinon par bouffées lors par exemple des NAO, négociations annuelles obligatoires sur les salaires étalées le plus souvent sur janvier, février et mars. Mais tout le monde a oublié que déjà en octobre, novembre et décembre 2021, il n’y avait pas des luttes sur les salaires mais déjà une vague de luttes sur les salaires. Et cette vague avait commencé en mai, juin quand le covid a commencé à s’atténuer. Or c’était avant la hausse des prix telle qu’on la connaît aujourd’hui, ce qui témoigne que cette vague va certainement s’accentuer fin mai début juin, dés par exemple qu’on sera fixé sur le nouvel indice des prix. Déjà aujourd’hui, bien des syndicats locaux réclament l’ouverture de nouvelles négociations salariales. Mais si justement, en début d’année, les dates obligatoires des NAO avaient dispersé la vague en une multitude de luttes, entreprise par entreprise, aujourd’hui les résistances patronales à ouvrir de nouvelles NAO pourraient transformer plus facilement les colères dispersées en un seul mouvement. Les patrons semblent en être conscients car s’il y a aujourd’hui moins de luttes que dans les trois premiers mois de l’année, il y a relativement beaucoup plus de grèves victorieuses. Un jour ou deux de grève et les patrons cèdent des augmentations des salaires, voire même sur la seule menace de la grève. Bien sûr, les directions syndicales n’informent pas sur cette situation, ne construisent pas une riposte générale là-dessus, bottent en touche, regardent ailleurs, et annoncent la sempiternelle et inutile journée d’action en septembre tout en n’acceptant de ne parler que des retraites pour un éventuel mouvement. C’est politiquement dangereux. On le voit en Nouvelle Calédonie où c’est une association de citoyens, non sans arrière pensée politique, qui a appelé à un mouvement général contre la hausse des prix, instrumentalisant les colères sociales à des fins politiques, selon le FLNKS. C’est-à-dire qu’on peut très bien avoir dans l’Hexagone, le même phénomène et les cris d’orfraie des directions syndicales et politiques comme avec les mouvements des Gilets Jaunes ou des Anti pass.

La nomination du nouveau gouvernement Macron qui montre qu’on n’a rien à attendre de ce côté là, sinon du pire, n’affaiblira bien sûr pas le mouvement. Au contraire.

Mais même les espoirs d’un éventuel succès électoral de la NUPES, la nouvelle union de la gauche, ne l’atténue pas, comme si beaucoup, même s’ils s’apprêtent à voter pour ce front, ne se font pas beaucoup d’illusions, qu’il gagne ou qu’il perde.

Ce qu’on a en effet constaté dans les succès électoraux de la gauche ces temps-ci dans le monde, c’est à la fois qu’ils sont assez nombreux, mais que ce sont des victoires qui ne sont pas éclatantes, des succès acquis de justesse et qu’ils ne suscitent que peu d’élans et guère d’illusions.

C’est que la conscience actuelle des classes populaires s’est plus exprimée depuis au moins 2016 sur toute la planète par d’importantes luttes sociales que par un élan électoral. Or, dans le monde comme en France, la gauche n’a jamais voulu donner de l’amplitude à ces grèves, n’a jamais voulu construire sur cette conscience. La LFI soutient certes ces luttes mais ne leur donne pas comme perspective de les généraliser, juste de bien voter, ne cherche pas à coupler le combat électoral avec la construction d’un mouvement gréviste d’ensemble. Et c’est encore pire pour la NUPES et ses composantes plus à droite du PS et d’EELV. C’est-à-dire qu’ainsi la NUPES se déconnecte des consciences populaires actuelles, et en ne donnant pas toutes les chances de gagner au mouvement gréviste, en décevant ainsi bien des grévistes, militants et électeurs, ne se donne pas même toutes les chances de gagner le combat électoral.

Rappelons que la grande grève générale de mai-juin 1936, s’était enclenchée suite à un mouvement qui durait depuis 1934 et dans un mélange de vote pour le Front Populaire et en même temps de méfiance à son égard.

Jacques Chastaing, le 22/05/2022