Tout ce que rappelle Karel brièvement dans son article Pain et Liberté, publié dans Arguments pour la lutte sociale, à propos de la planification bureaucratique est incontestable.

Dès le lendemain de la Révolution de 17, ou très peu de temps après et pendant la guerre civile, se met en place un organisme de planification qui inventorie et les besoins et les ressources disponibles du pays pour permettre la circulation des biens alimentaires et de consommation courante, et cela ne fonctionne pas entre autres à cause des réquisitions. Faut faire machine arrière ou plutôt réamorcer la pompe à production : ce sera la NEP décidée par Lénine. Mais peu après, la clique de Staline va liquider le compromis passé avec les koulaks pour aboutir à ce qui sera une véritable guerre de réquisitions et de déportations non seulement des koulaks mais de tous ceux qui ont tenté de se soustraire aux réquisitions. Les campagnes en ressortiront pratiquement exsangues. Bilan catastrophique dont l’URSS jadis un des greniers à céréales de l’Europe ne s’est jamais remise… et la Russie non plus.

La collectivisation imposée d’en haut par les méthodes coercitives n’a jamais fonctionné pas plus en Algérie qu’à Cuba. Les agronomes expliquent très bien pourquoi. Mais ce n’est qu’un aspect du problème car reste le versant méthodes de la planification. Par exemple, après la Révolution, est institué un organisme centralisateur de la comptabilité matérielle qui dresse les inventaires des besoins et des ressources productives (système dit des balances matérielles), avec des instruments mathématiques très avancés pour l’époque (on utilisait des méthodes nouvelles de calcul développées par l’école mathématique russe (calculs vectoriels avec résolutions matricielles) mais voilà, le rapport des forces politiques a vite basculé en faveur des ignorantins, l’équipe dirigeante du plan a été très vite démantelée et liquidée (déviationnisme économique bourgeois) au profit d’une pléiade de comités de branches (en gros un par grands groupes de produits agricoles et industriels, chacun devenant l’apanage d’une fraction de la bureaucratie. Bref tout cela n’a plus rien à voir désormais avec un système planifié, centralement ordonné en fonction des besoins dûment constatés, mais plutôt avec une féodalité d’apparatchiks qui négocient entre eux au mieux de leurs intérêts respectifs dans la mesure où ceux-ci sont en phase avec les objectifs politiques du moment.

Sous couvert de planification c’est un monument de désorganisation économique. Par exemple, il faut savoir que chaque année on estime le montant des pertes de récoltes agricoles au moins au tiers de la production totale, faute de moyens pour récolter, transporter, stocker de coordination, bref faute de plan ! Gaspillage colossal et… pénuries alimentaires iront de pair. On retrouve ces problèmes un peu dans tous les secteurs. C’est cette empreinte repoussante de la planification stalinienne qui va peser sur le devenir économique et social de Cuba. Nous en observons aujourd’hui encore les résultats.

L’URSS étant obligée d’importer de grandes quantités de sucre pour sa consommation, c’est Cuba qui va payer le prix d’un système d’échange inégal : aide militaro-économique contre exportations de sucre et… pour les apparatchiks, langoustes et tourisme sexuel à bon prix. On a là réunis tous les ingrédients d’un sous-développement économique garanti. Le résultat le plus évident en est la misère sociale et les pénuries incessantes en biens de première nécessité. La colonne vertébrale de ce système d’appauvrissement « socialiste » c’est la monoculture sucrière à tout va, imposée par le Kremlin. Le peu de forces productives du pays ont été mises à disposition de la puissance tutélaire C’est  le prix de l’ « aide du grand parti frère » à Cuba. La culture sucrière est terriblement handicapante : sur un territoire où les surfaces de terres facilement cultivables sont bien limitées, et par la priorité absolue dévolue à la production sucrière, au détriment des cultures vivrières et de l’élevage. Le passage à ce mode de culture instaure une modification profonde des rapports des hommes à la terre : un prolétariat rural régi bureaucratiquement se substitue à la paysannerie pauvre traditionnelle. Il est privé peu à peu de ses savoirs faire traditionnels qui sont aussi des faire valoir paysans. Ce prolétariat est donc encore plus dépendant du système. Pas la peine de parler des coûts environnementaux dus aux modes de culture intensive qui ne font qu’accroître par ailleurs la dépendance économique et technologique du pays. Les limites de ce modèle agricole sont bien connus depuis longtemps et la monoculture intensive est non seulement de plus en plus limitée dans ses rendements mais assurément dévastatrice pour l’environnement. Tout cela était couru d’avance et très bien documenté par exemple par un René Dumont dès le milieu des années 60… mais Moscou avait le privilège de la décision avec la bénédiction de Castro.

Tout cela pour dire que 1° cette “planification” n’a qu’un très lointain rapport avec une planification tant soit peu rationnelle, 2° que le blocus US ne saurait expliquer à lui seul la situation de pénurie alimentaire permanente de l’île, 3° que Cuba a été traité par les pays « frères » à très peu de chose près, comme un territoire colonial maintenu dans un état d’infra-développement, à la plus grande satisfaction de la bureaucratie castriste, qui par ce moyen, s’est assurée jusqu’ici, une domination sans partage sur tout le pays ainsi que des conditions de vie faramineuses compte tenu de la pauvreté endémique de la population.

Jean-Pierre Juy, le 18-07-2021.