« Tout le monde, tôt ou tard, s’assied à un banquet de conséquences. »

Robert-Louis Stevenson

Suite à la décision du Conseil constitutionnel intervenue hier, la loi relative à la réforme des retraites, pardon la Loi de Financement Rectificative de la Sécurité Sociale, est arrivée au bout de son « cheminement démocratique ».

Les gardiens du texte suprême, non-élus mais nommés par les trois premiers personnages de l’État et qui ne sont, pour la plupart, pas des juristes mais d’anciens politiques, se sont donc prononcés en droit sur un texte de loi qui, au final, n’aura pas été voté par l’Assemblée Nationale et qui va impacter le régime de retraites d’au moins trois générations. Leur décision était surveillée comme le lait sur le feu mais, loin de dénouer la crise sociale devenue crise politique, voire de régime, elle ne manquera pas de la relancer. Il convient de faire l’effort de parcourir cette décision n° 2023-849 DC du 14 avril 2023 pour, au travers de l’emploi alternativement d’une langue sèche et imagée qui caractérisent celle du Droit, en apprécier toute la portée. Petit florilège, mise en exergue et commentaires suivent :

S’agissant du recours à une loi de financement rectificative de la sécurité sociale :

« 11. … si les dispositions relatives à la réforme des retraites, qui ne relèvent pas de ce domaine obligatoire, auraient pu figurer dans une loi ordinaire, le choix qui a été fait à l’origine par le Gouvernement de les faire figurer au sein d’une loi de financement rectificative ne méconnaît, en lui-même, aucune exigence constitutionnelle. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur… »

Commentaire : Ce considérant entérine purement et simplement le fait que toute réforme en matière de Sécurité sociale, divisée en cinq branches qui couvrent l’ensemble de la protection sociale et de son financement, pourra désormais être traitée par voie d’exception par l’intermédiaire d’une LFRSS.

En ce qui concerne l’engagement de la responsabilité du Gouvernement :

« 27. Les règlements des assemblées parlementaires n’ayant pas en eux-mêmes valeur constitutionnelle, la seule méconnaissance des dispositions réglementaires invoquées ne saurait avoir pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution. »

Commentaire : Député ou Sénateur, vous pouvez toujours argumenter, contredire, tonner ou bien amender et, en réponse, être limité, coupé voire empêché, c’est « causes toujours ! » car ce qui compte, au final, c’est si la loi a été adoptée ou pas et pas comment elle a été discutée là où les débats parlementaires peuvent y compris être invoqués pour en éclairer le sens.

En ce qui concerne les documents joints au projet de loi :

« 65. … la circonstance que certains ministres auraient délivré, lors de leurs interventions à l’Assemblée nationale et dans les médias, des estimations initialement erronées sur le montant des pensions de retraite qui seront versées à certaines catégories d’assurés, est sans incidence sur la procédure d’adoption de la loi déférée dès lors que ces estimations ont pu être débattues. »

Commentaire : Ce considérant consacre, de manière élégante, le droit au mensonge pour l’exécutif et ses représentants tant auprès de ceux du peuple que des citoyens, l’essentiel étant qu’on peut – pour combien de temps encore ? – leur répondre qu’ils mentent.

En ce qui concerne les documents joints au projet de loi :

« 69. … la circonstance que plusieurs procédures prévues par la Constitution et par les règlements des assemblées aient été utilisées cumulativement pour accélérer l’examen de la loi déférée, n’est pas à elle seule de nature à rendre inconstitutionnel l’ensemble de la procédure législative ayant conduit à l’adoption de cette loi. »

« 70. En l’espèce, si l’utilisation combinée des procédures mises en œuvre a revêtu un caractère inhabituel, en réponse aux conditions des débats, elle n’a pas eu pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution… »

Commentaire : On ne la fait pas aux Sages de la rue de Montpensier qui relèvent tout de même les grosses ficelles employées par le gouvernement pour faire passer au pas de charge sa loi, pardon sa réforme, mais se gardent bien d’en prononcer pour autant la censure totale.

Sur la place dans la loi déférée de l’article 10 et certaines de ses dispositions :

« 93. … le législateur a entendu assurer l’équilibre financier du système de retraite par répartition et, ainsi, en garantir la pérennité. Il a notamment tenu compte de l’allongement de l’espérance de vie… Le législateur a par ailleurs maintenu ou étendu des possibilités de retraite anticipée au bénéfice des personnes ayant eu des carrières longues, de celles ayant un taux d’incapacité de travail fixé par voie réglementaire ou encore des travailleurs handicapés. Il a en outre maintenu l’âge d’annulation de la décote à soixante-sept ans pour les salariés du secteur privé et institué un âge d’annulation de la décote dans la fonction publique… »

Commentaire : L’article 10, objet de crispation majeur lors du « débat » à l’Assemblée Nationale, est le cœur du réacteur car c’est celui qui porte l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans et ce le considérant qui le résume est digne des éléments de langage de la macronie.

Attention cependant, le Conseil s’en sort à bon compte, faisant ainsi la preuve de son indépendance, en prononçant la censure partielle de la loi en annulant pas moins de six cavaliers législatifs. Cette boucherie chevaline a pour effet de retirer du texte les dispositions sociales, pourtant chèrement imposées par la droite, censées amoindrir sa nocivité au travers de l’index et du CDI seniors ou de la prévention de l’usure professionnelle. De quoi remettre le métier sur l’ouvrage, à commencer pour s’attirer à nouveau les bonnes grâces des syndicats avec qui le dialogue est distendu, au risque que la réforme des retraites devienne le sparadrap du Capitaine Haddock ?

Le Conseil devait également se prononcer conjointement, fait inédit, sur la demande de Référendum d’Initiative Partagée, déposée par les parlementaires de gauche et visant à limiter l’âge légal de la retraite à 62 ans. Or, là où sa validation aurait tenu lieu de soupape de sécurité, il la recale sèchement au travers sa décision n° 2023-4 RIP du 14 avril 2023 :

« 8. … à la date d’enregistrement de la saisine, la proposition de loi visant à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans n’emporte pas de changement de l’état du droit. »

Commentaire : Il aurait fallu affirmer que l’âge légal de la retraite ne pouvait, par exemple, pas dépasser 62 ans et un jour ou, mieux, son rétablissement à 60 ans, conquis dont on fête les quarante ans et remis en cause sous Sarkozy en 2010, pour voir celle-ci probablement validée.

Le RIP est mort mais il bouge encore suite au dépôt, la veille de la décision du Conseil, d’une seconde demande de référendum sur lequel l’instance se prononcera le 3 mai prochain. Il demeure donc une voie de sortie pour les opposants à la réforme mais qui paraît bien fragile, à commencer par sa mise en œuvre, qui aurait, si elle arrivait à son terme avec succès d’ici l’an prochain, un effet saugrenu : comment rendre alors des trimestres de retraite non pris à des salariés qui auraient travailler davantage avant de la liquider eu égard à l’application entre-temps de la réforme ?

Et maintenant ? Promulguée dans la foulée en pleine nuit, ce qui en dit long néanmoins sur la fébrilité du pouvoir, le caractère illégitime de la réforme n’en demeure pas moins et n’en est que plus criant. En réponse à ce nouveau coup de force qui peut provoquer – ou pas – l’effet délétère de celui du 49-3,  » Lintersyndicale appelle l’ensemble des travailleuses et travailleurs, des jeunes et retraité-es à faire du 1er mai 2023 une journée de mobilisation exceptionnelle et populaire contre la réforme des retraites et pour la justice sociale. « 

Très bien mais comment faire de cette journée, hormis la symbolique liée à sa date et la réaffirmation de l’unité syndicale, tout autre chose que ce qui sera la treizième journée de mobilisation nationale, même XXL, depuis janvier dernier ? Que l’intersyndicale appelle le plus grand nombre à monter défiler à Paris ce jour-là ! Nous avons une dizaine de jours pour y arriver en sachant que cet objectif n’est pas une fin à soi mais un moyen de relancer, derrière, une dynamique de grèves pour, au-delà d’une réforme honnie, s’opposer à Macron et au régime pourrissant de la Vème République.

Laurent Degousée, le 15-04-2023.