« Nous sommes en situation de tout leur reprendre, l’économie et la démocratie : faisons feu de tout bois, débordons, amplifions partout, coordonnons les structures de lutte démocratiques en train de naître, centralisons-les et exigeons, pourquoi pas, une manifestation nationale sur Paris et l’Élysée. »
(Jacques Chastaing 19-03-2023 )
Un cap est passé avec le 49.3.
Dans un mélange d’indignation parce qu’on ne veut pas vivre en dictature et d’espoir parce qu’il signe une défaite de Macron, montre sa faiblesse en même temps que notre force, le 16 mars, la colère populaire s’est radicalisée et autonomisée en s’affranchissant de l’intersyndicale, de ses dates, de ses mots d’ordre et de ses journées saute-moutons.
Le mouvement est ainsi entré dans une troisième phase.
La première avait commencé le 19 janvier avec des mobilisations de masse poussant à maintenir l’unité de l’intersyndicale et l’obligeant à exiger le retrait total et non aménagé du projet de réforme des retraites.
La seconde, tout en continuant les journées saute-moutons massives de l’intersyndicale nationale a commencé le 7 mars avec l’entrée en grève reconductible de plusieurs secteurs, raffineurs, électriciens et gaziers, cheminots, éboueurs et d’autres secteurs en grève aussi mais plus minoritaires ou en dents de scie dans les ports et docks, l’enseignement, la RATP, les contrôleurs aériens, les étudiants et lycéens et le privé en particulier la chimie mais aussi au-delà, qui ont commencé à fortement déstabiliser le gouvernement. Cette seconde étape s’est aussi caractérisée par l’apparition de premières Assemblées Générales interprofessionnelles qui essayent d’unifier et centraliser les différentes luttes et secteurs dispersés de manière démocratique.
La troisième a commencé le 16 mars avec le 49.3 mais aussi avec la décision de l’intersyndicale de ne proposer une nouvelle journée d’action que le 23 mars, bien trop loin, afin de ne pas donner une expression immédiate au mouvement de colère à l’annonce du coup de force de Macron, qui aurait pu doublement échapper à son contrôle par sa radicalité et son caractère politique. Mais c’est justement pour ces caractéristiques, radicales et politiques, que le mouvement a dû trouver sa propre expression autonome le 16 mars au soir à Paris comme dans bien d’autres villes, en s’appuyant d’une part sur le soutien populaire massif de la première étape qui disait qu’il fallait continuer même si la loi était adoptée et d’autre part sur ses structures démocratiques nées de la seconde étape, tout en leur permettant un saut qualitatif. On a eu ainsi des appels à descendre dans la rue le 16 – pêle-mêle -, par un début de coordination inter-facultés, des AG interpro, des AG étudiantes, des grappes de militants syndicalistes des secteurs en grève reconductible, des piquets de grève dans ces secteurs tenus en communs, le syndicat Solidaires, des pages des réseaux sociaux fonctionnant en quasi collectif, des Gilets Jaunes, la rencontre nationale des secteurs en grève reconductible…
Ainsi, parce que les phases un et deux du mouvement s’additionnent et s’entremêlent dans la troisième, l’élan du 16 au soir n’a pas été qu’un coup de colère sans lendemain mais s’est continué les 17 et 18, partant parfois d’initiatives d’intersyndicales locales se transformant, tout ou partie, en manifestations sauvages, et en donnant partout une nouvelle impulsion aux grèves à partir du lundi 20 mars.
Les raffineurs annoncent un blocage total des installations en même temps que plus de dépôts pétroliers sont entrés en grève ou sont bloquées de manière illimitée, ce qui commence pour la première fois ce 19 mars à avoir un impact significatif sur la pénurie des stations d’essence.
Les électriciens et gaziers toujours très mobilisés qui ont gagné la sympathie et l’estime par des coupures de courant Robin des Bois chez des députés, sénateurs, préfectures, zones industrielles et commerciales et des tarifs réduits pour les associations, hôpitaux, quartiers pauvres, artisans, ont décidé de continuer et intensifier leurs actions spectaculaires et leurs grèves dans les centrales nucléaires, centrales thermique, hydrauliques qui coûtent très cher à EDF, mais aussi les 4 terminaux méthaniers et les 13 centres de stockage de gaz qui pourraient aboutir rapidement à la pénurie de gaz.
Les éboueurs avec leur grève très visible malgré quelques réquisitions et dont la hauteur des tas d’ordures est une mesure visuelle pour tous et un encouragement quotidien à tous à continuer ont décidé eux aussi de durcir le mouvement aussi bien dans les garages que les incinérateurs. Chose significative, à l’annonce du 49.3, les éboueurs de Nantes partis en grève depuis longtemps sur autre chose que la retraite, et qui avaient décidé de reprendre le travail, ont choisi de continuer, en même temps que pour les mêmes raisons, ceux d’Orléans ont décidé d’entrer en grève le 20 mars.
Chez les cheminots où la grève devenait minoritaire avec le temps sauf chez les conducteurs où elle tient à un bon niveau avec un bon moral, le 49.3 a provoqué un nouvel élan et surtout une grève sauvage – qui peut être annonciatrice d’autres du même type -, suivie à 100% des cheminots du Technocentre de Chatillon refusant de respecter les règles de déclaration de grève 48 h à l’avance puisque le gouvernement ne respecte plus aucune règle et appelant à la grève sauvage partout, par dessus l’attitude de l’intersyndicale dont les journées d’actions saute-moutons sont trouvées trop molles, ce qui rappelle la récente grève des contrôleurs. Il y a encore à partir du 20 mars l’appel à la grève du bac Blanquer par les enseignants qui additionnée aux retraites, au 49.3, s’annonce massive. Il y a enfin 55 facultés ou Grandes Écoles bloquées ou occupées.
Nous sommes entrés dans une forme de mai 68 rampant juste avant l’explosion généralisée. Désormais, le sujet n’est plus seulement le rejet des 64 ans, c’est aussi le retour aux 60 ans et les 37.5 annuités, c’est le SMIC à 2000 euros, une augmentation pour tous de 20 ou 30%, c’est l’abrogation des décrets anti-chômeurs, des lois racistes et discriminantes, des violences policières, c’est la fin des aides aux entreprises, c’est la réponse à tous nos besoins sociaux, c’est l’expropriation des autoroutes, des industries pharmaceutiques et de santé, des grands médias et leur mise sous contrôle populaire, la récupération des biens du peuple spoliés, bref la socialisation de l’économie. C’est un changement de régime.
La motion de censure sera probablement rejetée lundi sauf si une partie de la bourgeoisie, inquiète de la mobilisation en cours et de la tournure qu’elle pourrait prendre demain au vu de ces derniers jours et tout particulièrement de l’apparition en plus grand nombre de la jeunesse, elle décidait de se débarrasser de l’épine dans le pied qu’est cette réforme des retraites et, par la même occasion, à terme, de Macron qui a perdu toute autorité pour faire passer les autres contre-réformes dont elle a besoin pour les années à venir.
Quoi qu’il en soit, motion de censure ou pas, le gouvernement et Macron doivent partir mais du fait du mouvement social. La démocratie n’est plus à l’Assemblée et dans de futures combinaisons politiciennes, elle est dans l’expression unanime depuis deux mois des salariés qui font tourner la machine économique, administrative, hospitalière, scolaire… de ce pays.
Nous sommes en situation de tout leur reprendre, l’économie et la démocratie : faisons feu de tout bois, débordons, amplifions partout, coordonnons les structures de lutte démocratiques en train de naître, centralisons-les et exigeons, pourquoi pas, une manifestation nationale sur Paris et l’Élysée. La seule menace de telles perspectives reprises par des masses en mouvement, ou même qu’une fraction d’entre elles, simplement qu’elle soit discutée, leur fera tellement peur qu’ils préféreront céder tout de suite plutôt que de prendre le risque de tout perdre demain.
Jacques Chastaing, le 19 mars 2023.
Avec les manifestations sauvages le soir et dans des centres commerciaux – dont le Forum des Halles hier et Rosny 2 aujourd’hui – et la multiplication des blocages, la giletjaunisation de la mobilisation pour le retrait de la réforme des retraites est en marche et on n’ose imaginer le degré d’éruption qu’elle atteindra ce lundi soir si la motion de censure, dont l’examen est prévue ce lundi 16 h, est rejetée là où son adoption serait un fier service rendu à la concorde nationale et à la paix civile.
Au contraire, le pouvoir, si on en juge le niveau de répression policière déployé en réponse aux rassemblements spontanés qui ont cours depuis jeudi dernier, selon Victor Hugo, se » caractérise d’un mot : la police partout, la justice nulle part » or » la répression n’a pour effet que d’affermir la volonté de lutte de ceux contre qui elle s’exerce et de cimenter leur solidarité » pour citer cette fois-ci John Steinbeck .
Pour la perspective d’une montée nationale, deux informations importantes à retenir : d’une part, le NPA la soutient et, d’autre part, l’intersyndicale du 16 mars dernier, saisit par Solidaires, a écarté cette idée vu l’ancrage local du mouvement et ce qu’elle suppose en terme de logistique et coût. C’est donc aux fédérations, syndicats d’entreprises et locaux, intepros et assemblées de grévistes de s’emparer de cette proposition avec deux objections à apporter à l’intersyndicale : la première, c’est qu’après avoir fait pour la énième fois le tour de sa ville, on peut légitimement avoir envie de quelque chose de nouveau, l’objectif d’aller cherchez Macron devenant évident au vu de l’évolution de la situation. La seconde est que les confédérations syndicales, avec leurs différentes caisses de grève, en ont tout à fait les moyens, en sus de l’émulsion que cela créerait, comme en 2016 lors de la loi Travail avec alors un arc syndical plus réduit.
Dernière chose, aux quinze jours de délai pour déposer un recours au Conseil constitutionnel, ce que de nombreux parlementaires des deux chambres ne manqueront pas de faire en cas d’adoption de la loi, s’ajoute un délai d’un mois d’examen ce qui nous amène possiblement en mai (tiens, tiens).
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