Informations Ouvrières, journal du POI (Parti Ouvrier Indépendant) publie, dans son n° du 9 février dernier, une intéressante interview des responsables de l’Union Départementale CGT du Val-de-Marne, Caroline Viau, administratrice, et Cédric Quintin, secrétaire général, présentée comme illustration de la lutte contre « l’explosion du budget des armées », affichant le slogan Pas un euro, pas une arme, pas un soldat !, que la CGT du Val-de-Marne a imprimé sur une affiche, complété des mots : Nous refusons de participer aux guerres impérialistes. Pour la rédaction d’Informations Ouvrières, il y a manifestement accord total de ces responsables syndicaux avec elle.
Nous voudrions en discuter quelques points : en effet, les camarades interviewés pensent visiblement combattre contre tout euro, toute arme et tout soldat aux « guerres impérialistes » « de Poutine, de l’Otan, de Macron », mais ils ne parlent dans cet entretien que d’une seule guerre, celle de Poutine en Ukraine, et s’ils refusent les armes, c’est uniquement au peuple ukrainien.
Qu’est-ce qu’une guerre impérialiste ? Quelles guerres sont impérialistes ? Et en quel sens ? 1914-1918 en fut une ; 1939-1941-1945 aussi, bien que les camps n’aient pas été équivalents au plan des libertés démocratiques et ouvrières. Si la guerre actuelle en Ukraine est « impérialiste », c’est au sens où une puissance impérialiste colonise, envahit ou agresse un autre pays : la Russie est ici dans une position comparable à celle de la France en Algérie ou des États-Unis au Vietnam. Caroline Viau, Cédric Quintin et la rédaction d’Informations Ouvrières auraient-ils milité pour « pas un euro, pas un arme, pas un soldat » aux Algériens ou aux Vietnamiens ?
Les interviewés ne semblent avoir que des notions très vagues de la guerre actuelle : affirmant à juste titre qu’« Il est important de revenir à l’origine du conflit », ils le résument ainsi : « La guerre dans le Donbass a tué plus de 14.000 personnes depuis 2014. » – certes, mais c’est qui, la « guerre dans le Donbass » ? – et de poursuivre : « Les États-Unis, l’Otan et donc l’Ukraine ont refusé de respecter les accords de Minsk. »
Ces camarades ont-ils la moindre idée de ce qu’étaient les « accords de Minsk » ? Ils prévoyaient de réintégrer à terme les républiques postiches du Donbass et de Louhansk dans l’Ukraine sans les soustraire au contrôle russe, avec un droit de veto sur les choix stratégiques du pays. Le tout sous la garantie des impérialisme français, allemand et russe, et avec l’approbation de Washington.
Moins que l’Algérie vis-à-vis des accords d’Évian de 1962, ou le Vietnam vis à vis des accords de Paris de 1973, l’Ukraine ne pouvait respecter les accords impérialistes de Minsk. Mais, en expliquant ainsi la guerre, ces camarades éliminent tout choix ukrainien, et ils le disent : « l’Otan et donc l’Ukraine … » L’Ukraine c’est donc l’Otan ? L’Ukraine n’existe donc pas ?
Et de poursuivre : « Il ne s’agit pas de défendre Poutine, mais cette attaque se fait en réaction à l’offensive que portent les États-Unis via l’Otan, en Europe mais aussi partout dans le monde. » Il ne s’agit pas de défendre Poutine ? Vraiment ? C’est en tout cas exactement la position impérialiste russe qui est recopiée ici : en fait, Poutine n’a fait que se défendre en attaquant l’Ukraine !
Caroline Viau, Cédric Quintin et les rédacteurs d’IO sont ici sur des positions impérialistes à peine masquées : celles de l’impérialisme russe. Ils ont choisi leur camp dans les conflits inter-impérialistes. Ils ne sont pas dans le camp internationaliste de la classe ouvrière. Ayant choisi leur camp, ils font passer pour une « guerre impérialiste » au sens de guerre entre impérialismes la guerre d’un impérialisme contre un pays dominé, la Russie contre l’Ukraine, exactement comme d’autres avant eux ont fait passer la guerre de l’impérialisme nord-américain contre le Vietnam pour une guerre entre le camp soviétique et le prétendu « monde libre ».
Dans ce conflit entre impérialismes, nos camarades responsables syndicaux aimeraient que la France se positionne, mieux, qu’elle « s’honore » :
« La France s’honorerait à tout mettre en œuvre pour organiser une conférence internationale de la paix, à imposer l’issue diplomatique … », etc., etc. Que la France joue son rôle ! La France ? L’impérialisme français, oui ! Nous avons donc là un appel à « la France » – à Macron – pour qu’il joue les médiateurs, et la mise en cause de l’Otan – uniquement de l’Otan, pas un mot n’est dit de l’OTSC qui est intervenue contre une insurrection populaire au Kazakhstan il y a un an – est entièrement reliée à l’espoir que « la France » joue son rôle !
Et, justement, pour le jouer ce rôle, que fait-elle donc, camarades ? Elle prépare, Macron prépare, sa loi de programmation militaire ! Les voilà, les 413 milliards d’euros pour l’armée ! 413 milliards d’euro pour l’Ukraine, vraiment ? Comment oser, quand on se dit militants ouvriers, ne serait-ce que suggérer un tel mensonge ?
Le POI fait croire que le budget militaire de Macron serait pour l’Ukraine. Les militants internationalistes, eux, veulent qu’en toute transparence des armes soient fournies à la résistance ukrainienne et pas à l’Arabie saoudite pour bombarder au Yémen, pas aux Émirats Arabes Unis, pas pour la dictature tchadienne et la présence française en Afrique aussi bien que dans les Caraïbes, le Pacifique ou l’océan Indien. Ils dénoncent aussi la relance du nucléaire par Macron et le projet de détournement de l’argent des caisses d’épargne.
Dans le mot d’ordre proclamé hypocritement « pas un euro, pas une arme, pas un soldat » il n’y a pas une once d’internationalisme prolétarien. Il n’y a rien d’autre que le soutien au massacre impérialiste du peuple ukrainien assorti de la demande adressée à Macron de faire que « la France », la France éternelle, c’est-à-dire la France impérialiste, « s’honore » en jouant les médiateurs en faveur de Poutine. Le nécessaire combat contre la militarisation et ses budgets ne passe pas par là. Tout responsable syndicaliste antiguerre honnête doit aujourd’hui comprendre cela.
Le 19/02/2023.
Merci à Vincent pour ce message, c’est finalement un bon message de préparation de la prochaine réunion en presentiel. Il n’y a finalement pas de séparation entre les questions syndicales, les questions de politique intérieure française et les questions internationales. C’est quoi Informations Ouvrières, c’est le journal du POI, de l’UD CGT du Val de Marne, du PRCF, du MFI, de la FSM ou bien de l’ambassade de Russie en France ? Il y a une certitude. Ils préparent le congrès de la CGT et il y a le problème de la double appartenance à la CES et à la FSM. Les militants et les organisations de la FSM n’ont pas leur place dans la CES et reciproquement. Amicalement et bonne nuit. Bernard Fischer
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Nota : le message, ce post, n’est pas le fruit de la seule plume de Vincent. Même si ce dernier signe un bon nombre de publications sur ce site, ceci reflète la plupart du temps une phase de réflexion collective. Aplutsoc, c’est un collectif, un centre politique, pas un homme orchestre !
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Très bon argumentaire. Simple, accessible. J’aime les parallèles avec la guerre impérialiste française en Algérie (1954-1962) et la guerre impérialiste états-unienne (soutenue militairement par ses alliés australien, coréen etc) contre le Vietnam (1964-1975). La déclaration du Mouvement socialiste russe représente peut-être un éveil des consciences russes à propos de la guerre impérialiste russe contre l’Ukraine. A mesure que les problèmes se développent en Fédération de Russie, des problèmes tactiques se poseront à ces petits groupes qui ont le mérite d’avoir adopté un point de vue vraiment internationaliste. On trouvera peut-être des éléments de comparaisons avec le mouvement anti-guerre du Vietnam aux USA dans https://www.academia.edu/4751750/John_Barzman_Composantes_sociales_et_politiques_du_mouvement_anti_guerre_aux_Etats_Unis_1965_1975_Revue_EOLLE_Num%C3%A9ro_1_13_janvier_2012_Les_Ann%C3%A9es_Woodstock_Chicano_moratorium_poster_by_Mike_Alewitz
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« la Russie est ici dans une position comparable à celle de la France en Algérie ou des États-Unis au Vietnam ».
AUCUN RAPPORT !!!
L’ Ukraine n’est pas plus un pays dominé que la Russie un pays impérialiste ( voir mes mails précédents) !!
Tout cela pour mieux masquer votre campisme derrière les armes de l’impérialisme américain et de l’OTAN, dont la France, « notre » propre pays impérialiste !! Bravo !
En réalité , votre position est une trahison du véritable internationalisme ouvrier des Lénine, Trotsky, Liebknecht, Luxemburg pour qui « l’ennemi principal est dans notre propre pays ».
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« Merci pour ce moment » (mieux vaut en rire).
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Israël, Iran, Turquie, Arabie saoudite, Syrie , Brésil, Afrique du Sud…. pays dominés ? pays impérialistes ?
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Même si, instinctivement, je me sens en désaccord avec les analyses d’ Aplutsoc sur l’Ukraine, du fait que j’assume sans problème d’être (comme « ils disent ») « antiaméricain », même si je sais que je ne pourrais jamais me trouver à l’unisson de la couverture de l’Express qui titre fougueusement « l’Ukraine doit Vaincre ! », je lis attentivement vos textes car j’ai des camarades proches qui pensent comme vous.
Les comparaisons avec l’Algérie, avec l’Espagne de 37, avec le Vietnam sont sans valeur : tout est trop différent. Je n’aurais pas dis : « pas une arme pour le FNL ». Mais je n’aurais pas demandé au gouvernement français, ou allemand, ou américain, ou espagnol… d’envoyer des armes au FNL.
Je ne demanderai certainement JAMAIS à Macron quoi que ce soit de ce genre.
Ce que je trouve faible dans votre exposé, c’est ce que vous dites des accords de Minsk. Et surtout à propos des républiques « fantoches » du Donbass.
Jusqu’à quel point es-t-on certain qu’elles sont « fantoches » ? N’est-il pas exact que ces populations sont russophones ? Les consultations sous occupation sont sans valeur, je suis d’accord. Mais avons-nous des raisons d’être certain qu’il n’y a pas dans ces régions une population, même majoritaire, qui se sentirait opprimée par le gouvernement ukrainien ? Il me semble qu’au début de l’histoire le gouvernement a interdit la langue russe. Est-ce faux ?
Cela ne justifierait pas l’agression russe (que je condamne). Mais cela justifierait peut-être les accords de Minsk.
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C’est vrai que demander à la France d’armer le FNL, c’eût été un peu comme demander à Poutine d’armer l’Ukraine. Nasser fournissait des armes au FLN et des militants se réclamant du trotskysme jouaient un rôle dans les filières et même la production d’armes. Avaient-ils tort ? Là réside la pertinence de la comparaison.
Nous ne « demandons » pas à Macron, nous le combattons, et l’exigence d’armer l’Ukraine fait partie des thèmes de ce combat.
Par ailleurs, Jean-Pierre, je dois constater que cela fait maintenant huit ans que j’ai répondu en détail, expliqué, expliqué et encore expliqué, ce qu’il en est dans le Donbass, mais que tu fais dans le surplace résolu, n’apprenant rien et n’oubliant rien. Alors, mais brièvement parce que tout de même … :
1) « N’est-il pas exact que ces populations sont russophones ? » Et alors ? C’est une nationalité, « russophone » (outre qu’elles sont aussi ukrainophones, surtout à la campagne) ? « Russophones » les habitants de K’yiv, comme beaucoup d’ukrainiens, le sont aussi. Au fait, « n’est-il pas exact que les populations d’Afrique sudsaharienne sont souvent franchophones » ? … n’est-il pas exact ? …
2) « Il me semble qu’au début de l’histoire le gouvernement a interdit la langue russe. Est-ce faux ? » Cela l’est. C’est un fake poutinien que tu as avalé en 2014 et jamais recraché. Qui plus est, un fake qui joue sur l’ignorance la plus grossière de la russophonie en Ukraine jusqu’à aujourd’hui, et qui est d’une absurdité, d’un ridicule achevé. Comment dire … Mais il est toujours temps …
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