Concernant la question de la démocratie dans la FI, cette citation de Jean Pierre Boudine (page 68) « …Même l’assemblée des cardinaux vote pour élire un pape dans la religion catholique… »

L’auteur écrit que l’unité, c’est-à-dire la constitution de la NUPES est venue trop tard. Ce que la FI a fait en 2022, elle pouvait le faire en 2017. Certes, mais pourquoi ne l’a-t-elle pas fait ? Qu’est ce qui détermine Mélenchon alors ? (Page 11)

L’auteur cherche l’explication en revenant à juste titre sur le déroulé historique (Page 28). L’aventure Mélenchon commence en 2008 quand, après avoir guerroyé dans le PS « sans beaucoup de succès » durant 30 ans, il quitte ce parti et, allié avec Marc Dolez, il crée le Parti de Gauche. J’ajoute : il avait formé une génération de cadres politiques, un État-major au sein du mitterrandisme, grâce à une équipe d’anciens lambertistes et mené une bataille pour l’unité au sein du mouvement socialiste de 1978 à 1981 pour imposer la direction contestée de François Mitterrand et gagner l’élection présidentielle. Le premier secrétaire était pris entre la ligne crypto-stalinienne du CERES de Chevènement sur le flanc gauche et la montée de Rocard sur le flanc droit.

Mais si je tire le bilan pour ma part, qui ai été à la naissance de ce qui s’appelait « Données et Arguments », préhistoire d’un courant gauche, Mélenchon n’a pas construit une gauche socialiste, encore moins une gauche révolutionnaire, mais une garde prétorienne de François Mitterrand, ce qui n’est pas la même chose. Après la campagne pour la réélection de François Mitterrand en 1988 (« Pour nous, c’est lui ! »), l’affaire débouche sur le oui à Maastricht défendu par le cartel de direction Dray-Mélenchon-Lienneman. Des secteurs importants de la gauche du parti se séparent de Mélenchon : il a déjà usé une génération de cadres. En Essonne, au moment où Maastricht coïncide avec l’offensive US contre l’Irak, je suis co-fondateur avec des membres issus de la direction de la Gauche Socialiste de « Rassembler à Gauche » (2), une petite unité politique, soutenue par le PCF et une partie des Verts, qui portait déjà le projet du Front de Gauche. Comme tu le dis, il n’a pas eu « les couilles » de partir du PS, il l’a fait à un moment où il ne pouvait plus faire autrement. Il perdait une partie de ses cadres…

De plus, le départ du PS ne s’est pas fait sur une ligne d’affrontement avec la direction pour faire payer à l’appareil le prix de la politique de Hollande et donc gagner des franges militantes larges. Elles existaient car le combat pour le non au traité de 2005 a vu le PS (c’est la dernière fois) se gonfler de nombreux nouveaux adhérents. Il l’a fait sur la logique du parti-fraction à partir du petit appareil de PRS (Pour la République Sociale), dans l’héritage de son lambertisme originel.

J’ai vécu cette affaire dans le sud de l’Essonne où les militants voulaient débattre dans les sections et décider démocratiquement de quitter l’organisation après avoir mené la bataille contre la direction. Ils ont été mis devant le fait accompli par les sergents de PRS. Il n’y a jamais eu dans l’acte de naissance du Parti de Gauche un processus de fondation démocratique. Néanmoins Mélenchon a été perçu dans l’électorat de gauche, comme responsable d’un courant à gauche de la social-démocratie, comme celui qui était en capacité de rassembler une force pluraliste contre les dérives social-libérales représentées par le PS. Le PCF n’était plus en position de faire cela. Très vite d’ailleurs, alors que la NPA était à peine constitué, ce ne sont rien moins que 3 courants, le premier celui de Christian Picquet qui refuse de rejoindre le NPA et constitue Gauche Unitaire et deux autres issus du NPA, qui rejoignent le Front de Gauche, dont Gauche Anticapitaliste qui prive le NPA d’une fraction importante de ses cadres. C’est cette dynamique qui crée la surprise électorale en 2012.

L’auteur pose la question du recul de 2017 (page 28). Mélenchon insulte ses alliés du PCF et ne se donne aucun moyen de contraindre Hamon, la gauche emmanuelliste, à rejoindre le front de l’unité dans la présidentielle. Il en avait les moyens, il ne le fait pas. Oui, c’est juste mais pourquoi donc fait-il cela ?

Dernièrement dans un courrier que tu m’envoyais, tu écrivais : si la démocratie existait dans la FI, cela deviendrait un parti « centriste », reprenant la caractérisation que donnait Léon Trotsky à ce terme, à savoir une formation politique évoluant vers la rupture avec le capitalisme. Quelques semaines après la proclamation du PG, Mélenchon déclare devant un parterre de journalistes : « Là où j’attendais le PS, je me retrouve avec une bande de gauchistes ! » Les « gauchistes », ce sont ces milliers de militants à gauche et à l’extrême gauche qui, face à la gestion gouvernementale du PS et du PCF, voulaient un parti honnête, démocratique, représentant les forces du travail. Tout de suite Mélenchon frappe sur sa gauche : exclusions et mises à l’écart s’en suivent ; il détruit en quelques semaines une espérance. La liquidation du PG par Mélenchon ira de pair avec celle du Front de Gauche.

L’auteur cite l’extrait de l’interview donné au Journal N°1 Hebdo en octobre 2017 où il définit la FI : « [la FI] est un mouvement, nous ne voulons pas être un parti. Le parti c’est l’outil de classe. Le mouvement est la forme organisée du peuple. L’idée c’est d’articuler le mouvement, sa forme et son expression, le réseau…  le mouvement n’est ni horizontal, ni vertical, il est gazeux… » Mais la pensée du guide suprême n’est pas du tout gazeuse. Dans le livre l’Ère du peuple rédigé durant l’été 2014, il dessine les contours idéologiques de son ralliement au populisme dit de « gauche ».

Je ne dirai pas que c’est un mauvais livre, comme l’écrit l’auteur, mais une révision des principes fondamentaux sur lesquels le mouvement ouvrier en tant que tel s’est constitué. Ce n’est plus le prolétariat qui est porteur de l’émancipation sociale du point de vue de sa place dans le procès de production mais le peuple, devenu un acteur abstrait. Il a battu les estrades avec Chantal Mouffe, ex-femme d’Ernesto Laclau, qui ont trouvé la pierre philosophale dans le soutien aux régimes bonapartistes latino-américain, dont celui de Peron pour Laclau. Reste le rapport organique entre le guide suprême et son peuple, conception qui pour le moins rappelle de très mauvais souvenirs. D’autres ont pris ce chemin dans les années 1933 et suivantes…

En septembre 2014, les représentations du Front de Gauche se réunissent à la mairie de Montreuil, les militants présents s’attendent à ce que l’intervention de Mélenchon se situe dans la continuité du Front de Gauche : devant des visages médusés, il développe sa nouvelle conception de la fédération du peuple. C’est l’acte de liquidation du Front de Gauche : il lance ses lieutenants, dont Alexis Corbière, pour expliquer que le PCF est responsable de la liquidation du Front de Gauche. Ce que l’auteur ne dit pas dans son livre, c’est que le rapport organique du chef au peuple qui se substitue à la lutte des classes, est la forme théorique qu’il donne à sa soumission désormais complète aux institutions de la Vème République. La campagne de 2017, sous les plis du drapeau des versaillais, avec l’interdiction du drapeau rouge dans les meetings de campagne, la promotion du chant de la Marseillaise sans cette fois l’Internationale, la polémique contre ses alliés à gauche, trace un nouveau type de campagne entièrement dans la tradition gaulliste. Mais là, l’Histoire le rattrape, il a perdu politiquement. 19% et 17 députés, c’est une défaite. Il ne sera pas l’alternative bonapartiste. Cette politique conforte la montée du RN.

La deuxième partie du livre est une réflexion critique sur l’histoire du mouvement ouvrier depuis les Révolutions russes (1905-1917). Ce travelling arrière, après l’analyse des positions de la FI m’intéresse beaucoup. En particulier le point suivant :

« Ainsi les spartakistes ont eu tort en 1919, de ne pas se saisir de la proposition d’une constituante que faisait Ebert. Le dirigeant Social-démocrate qui déclarait sa haine de la révolution faisait cette proposition pour l’apprivoiser d’abord, l’écraser ensuite, mais les révolutionnaires auraient dû sentir que le peuple travailleur se saisirait de la Constituante et ils devaient l’accompagner. L’issue pouvait être différente… »

C’est vrai pour ce qui concerne la situation allemande. En revanche, la constituante russe de 1918 remettait concrètement en cause les conquêtes sociales de la révolution d’Octobre et concentrait en son sein les forces politiques de l’ancien régime. Le centre de gravité n’était plus la constituante mais le pouvoir des Conseils. Sa dissolution, comme acte révolutionnaire, était donc justifiée. Ce qui signifie concrètement que la Constituante peut être un enjeu de la lutte pour la prise du pouvoir, ou un obstacle qu’il faut écarter.

La situation mondiale actuelle, en particulier le retour de la guerre en Europe avec l’agression contre l’Ukraine, repose la question de la politique des organisations de la IVème Internationale, après l’assassinat de Trotsky. Déjà dans les mois qui précèdent sa disparition, il accorde une grande importance dans la guerre à la situation du prolétariat en Italie, en France et en Grèce, là où les masses font face à la double oppression sociale et nationale. Il défend une orientation fondée sur la Politique Militaire Prolétarienne (PMP) qui peut permettre au prolétariat d’intervenir dans sa lutte contre le fascisme avec ses propres méthodes de classe. Lorsque la machine de guerre nazie s’effondre, c’est la lutte pour le rétablissement des libertés démocratiques qui est posé.

La IVème internationale oppose les constituantes « bourgeoises » qui émergent aux soviets. Les partis sociaux-démocrates et staliniens, surtout les PC qui ont été capables d’organiser la guerre de partisans, se saisissent eux des constituantes pour remettre le pouvoir à la bourgeoisie. Les staliniens grecs qui s’étaient engagés sur la ligne de la Constituante, ce qui impliquait la liquidation du système monarchique, subiront la double répression de Staline et de Churchill, parce qu’ils n’étaient plus dans ligne des accords internationaux. Il a fallu toute la force du PCF, grandi par la lutte dans la clandestinité, pour imposer dans un premier temps le soutien à De Gaulle, puis le contrat social de la IVème république, fondé sur le tripartisme et l’accord avec la démocratie chrétienne. La Constituante est un enjeu ! Là, ce sont les appareils du mouvement ouvrier qui emportent la donne au compte de la reconstruction des États bourgeois..

Ce rappel historique n’est pas sans rapports concrets aujourd’hui avec la politique de la FI : je ne suis pas d’accord avec la conclusion qui suit ton propos sur la constituante :

« En France sous la Vème République, dans les conditions telles que nous les connaissons, l’accès au pouvoir des travailleurs à une échelle nationale ne peut être envisagé que dans un cadre légal, constitutionnel et démocratique. »

L’itinéraire de l’aventure mélenchonienne infirme complètement ce point de vue. Sous le Front de Gauche c’était plein feu sur la Constituante et la VIème République, « sociale, démocratique et laïque ». Mais il s’agissait d’une constituante octroyée : les délégués à la Constituante devaient être tirés au sort. Au stade actuel, pour le moins, la constituante pour une nouvelle république disparaît des radars de la FI ou apparaît comme un horizon lointain. Un chiffon rouge qu’on sort les jours de congrès : pardon ! j’avais oublié un instant qu’il n’y a pas de congrès dans un état gazeux. Le pouvoir personnel de Mélenchon s’ordonne sur deux points : il faut tenir la FI, comme « raison gazeuse », jusqu’à la prochaine échéance présidentielle, donc continuer la Vème République.

Définir une politique précise pour les municipales, cantonales, régionales et européennes, c’est forcément poser la question de la démocratie donc d’un parti. Les militants ne savent pas faire. Et pour cause, le guide suprême leur interdit de construire un outil démocratique. Avoir une politique municipale pour un parti ouvrier, cela ne s’improvise pas, cela s’apprend ! Mélenchon, c’est non ! Le petit POI, on l’a vu dans la campagne législative, sert de garde prétorienne, que dis-je !, de police politique. Les candidats FI à la législative globalement ne tiennent pas le parquet. Je l’ai constaté dans ma circonscription : lorsqu’il s’agit de développer un contenu politique, on fait appel au POI. C’est dans ce contexte qu’il faut juger de l’exclusion de la direction de FI, de ceux et celles, qui ont mordu le trait en posant la question du fonctionnement démocratique. En juillet 2022, lors d’une réunion tenue au local du POI (3), Mélenchon avait prévenu : des assemblées de circonscription autour des députés de la FI, nous ne laisserons pas faire !

Le rapport que Mélenchon a au parti aujourd’hui est exactement le même que celui de De Gaulle vis-à-vis du RPF (Rassemblement du Peuple Français) au début de la IVème République. De Gaulle se retire très vite du jeu parlementaire auquel son propre parti se prête. Il lui faut une organisation plus secrète représentant les corps constitués, des conseillers triés sur le volet et appartenant à l’appareil bonapartiste de l’État bourgeois, le corps préfectoral, des représentants des pouvoirs économiques et aussi… spirituels. Personne, à ma connaissance, n’a souligné la fonction que Mélenchon veut faire jouer à l’Institut La Boétie. Il l’a évoqué dans son intervention du 19 juillet.

FI restera l’interface électorale. Former des militants dans le cadre de FI reviendrait à prendre des dispositions pour fonder FI comme parti ouvrier. Cette possibilité, il l’a écarté en son temps en cassant le PG. Le lieu que Mélenchon veut développer c’est cet institut qui aura pour fonction de former des cadres, entendons des hommes pour exercer le pouvoir, des acteurs économiques aussi. (4) C’est une structure corporatiste dans la tradition gaulliste qui est en préparation. Et beaucoup d’argent investi là, qui pourrait servir à la construction d’un outil démocratique et dont les militants sont une nouvelle fois dessaisis.

Quant aux conclusions de l’essai politique de Jean Pierre Boudine, je suis bien sûr d’accord avec toi, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je reprends ci-dessus des éléments qui sont le produit d’une expérience militante :

« …la construction d’un grand parti, éco-socialiste, démocratique, un parti du travail est une tâche de l’heure. Un tel parti n’est pas « gazeux ». Il est fermement et démocratiquement organisé. Il se construit, il recrute. Ses adhérents déterminent sa politique, élisent leurs dirigeants… » (page 82)

Et tu as raison de souligner : il y a urgence. Trotsky n’écrivait-il pas que les conditions objectives de la révolution prolétarienne, non seulement sont arrivées à maturité, mais qu’elles ont commencé à pourrir.

Nous sommes dans une situation qui voit des millions d’hommes et de femmes descendre dans les rues et qui, plus ou moins consciemment, au-delà de la question des retraites, posent la question d’un autre monde, donc de la médiation politique nécessaire pour y parvenir. La Vème République a été faite précisément pour interdire cette construction. Nous n’avons ni besoin d’un nouveau Bonaparte à gauche, ni de continuer à vivre sous ce régime, mais de démocratie, d’une nouvelle république et d’une représentation honnête des forces du travail.

RD, le 07-02-2023.

(1) Éditions A plus d’un titre, Janvier 2023.

(2) les archives de RAG seront bientôt disponibles sur le web.

(3) Le bleu-blanc-rouge avait remplacé les portraits de Lénine et de Trotsky de notre jeunesse !

(4) Il se trouve que la séance inaugurale de cet institut s’est tenue ce dimanche 5 février. Affaire à suivre attentivement…