La barque fragile de la NUPES, tel un bouchon de liège sur des flots aujourd’hui très agités, tiendra- t’elle un cap après la présidentielle ? J’écrivais récemment un article dans les colonnes d’APLUTSOC, qui titrait « France Insoumise, une crise comme les autres ? ». C‘était fin décembre, Napoléon le petit venait d’exclure rien moins que quatre responsables de sa direction historique, déclenchant au sein de France Insoumise une revendication légitime de fonctionnement démocratique. Passer à la trappe ses opposants est le sport favori de Mélenchon depuis longtemps.

Nous posions la question de savoir, si de telles méthodes de fonctionnement d’une unité politique qui s’assignait la mission de regrouper de manière pérenne les forces de la gauche pouvaient perdurer dans une situation de forte offensive du prolétariat sur les retraites, tandis qu’aux frontières de l’Europe Poutine veut engager son armée dans une nouvelle offensive, ce qui nécessite d’armer mieux la résistance ukrainienne. Soulignons toutefois que Clémentine Autain, Alexis Corbières, Eric Coquerel et François Ruffin, depuis l’éclatement du Front de Gauche et la naissance de la France Insoumise s’étaient fort bien accommodés des humeurs du guide suprême et de l’absence de fonctionnement démocratique.

A l’international, nous avons traversé deux séquences électorales durant lesquelles toutes les composantes de gauche se sont couchées devant la volonté du Bonaparte : omerta complète sur l’Ukraine. Qui ne dit rien exonère l’offensive de Poutine contre les droits du peuple ukrainien ! Mélenchon avait donné le la : l’essentiel doit se passer dans le silence feutré des chancelleries. Pas question que les peuples s’en mêlent ! Et encore moins que les syndicats indépendants ou organisations se réclamant du socialisme ou d’obédience libertaire forment des brigades armées dans la population !

La direction du Parti Socialiste, secouée par la crise que nous observons, et Europe Écologie Les Verts (EELV) viennent d’appeler sans détour à soutenir la résistance ukrainienne. Il s’agit d’équiper l’armée ukrainienne de chars français, allemands et polonais, soit 321 unités, selon l’ambassadeur du gouvernement ukrainien interviewé le 27 janvier sur LCI. Le président Zelenski réclame à cor et à cri des avions de chasse et des pilotes ukrainiens qui seraient formés par des spécialistes militaires français ou autres, permettant de sécuriser le ciel. Pour l’instant, les sols gorgés d’eau du territoire ukrainien ne permettent pas au matériel lourd de fonctionner. Tout cela doit être fait très vite en prévision d’une offensive russe de printemps. Armement défensif, précisons le, qui vise à donner les moyens aux forces ukrainiennes de résister et de chasser l’envahisseur.

A la position pour une fois positive du PS et d’EELV, le porte-parole de FI, Manuel Bompard, et Fabien Roussel, au nom du PCF, estiment que la question doit être tranchée par le parlement. Pure manœuvre d’atermoiement. « Il faut donner les moyens aux ukrainiens de repousser l’agression russe, au plus près de ce dont ils ont besoin », déclare Anna Pic, députée du Parti Socialiste de la Manche. Le député EELV de Paris Julien Bayou, membre de la commission de la défense de l’Assemblée Nationale, déclare au Huffington Post : « Nous sommes clairement pour l’envoi de chars en général …»,et il ajoute « …Les alertes contre les risques de belligérance, exprimées par certains de ces collègues de la Nouvelle Union Populaire Ecologiste et Sociale (NUPES), sont ineptes et hypocrites. Notre devoir est d’apporter une réponse juste, nécessaire et proportionnée à l’agression russe. Le pacifisme, ce n’est pas de laisser l’Ukraine se faire écraser ».

Il suffit donc que la question de la guerre émerge enfin dans le débat, pour que l’accord NUPES ratifié après le score de Mélenchon dans la présidentielle, impliquant ce silence assourdissant à l’international, fasse émerger de profondes divergences …

A la question du soutien à la résistance ukrainienne s’ajoutent les deux millions de manifestants du 19 janvier, victoire de l’unité politique contre Macron et pour la défense des retraites. Charlotte Girard, membre de l’équipe de campagne de Mélenchon en 2012 et 2017, puis démissionnaire de la France Insoumise, avait souligné en son temps que la jonction entre le mouvement des gilets jaunes et la France Insoumise, comme débouché politique ne s’était absolument pas faite.

Aujourd’hui, je reprendrai la belle expression de Karl Marx à propos des révolutions de 1848, le prolétariat vient de montrer « son corps gigantesque ». Les représentations d’une vieille gauche en état de décomposition, promus un moment par la constitution de la NUPES, pèsent encore moins dans le mouvement réel qui se déploie aujourd’hui. Michel Lanson du réseau Bastille souligne dans son éditorial du 22 janvier à propos de la manifestation parisienne appelée par la FI et les organisations de la NUPES :

« Le 21 janvier, à l’appel d’organisations de jeunesse rejointes ou plus exactement maraboutées par la France insoumise, quelques milliers de manifestants sont partis de la Bastille. Mélenchon défilait avec Besancenot prisonnier du carré de tête. A la fin, cheminaient les faméliques cortèges des LFI de province (et oui, c’était national ) et des organisations politiques nupésiennes… accompagnés de « Et un Et deux » NPA. Les autres, POI, en force, avaient grevé leur budget « drapeaux ».

Dès lors où les fausses réponses politiques ont été démontrées par les faits, il apparaît que le régime actuel de la Vème République n’a pas la robustesse qu’on veut lui prêter. Il ne l’a été « robuste » qu’en raison de la politique faite par ceux qui ont prétendu parler au nom du prolétariat et qui ont servi d’étai aux institutions nationales de la Vème République puis européennes en appliquant au pouvoir les contre-réformes du néo-libéralisme. Dans un interview au Monde, Alexis Corbières comparait le 26 décembre 2022 la situation actuelle à la grande grève de 1995 qui trouve son débouché politique dans 1997 et la constitution de la « gauche plurielle ». La NUPES en serait-elle donc la réplique actuelle ? Faut-il rappeler à l’intéressé que le gouvernement de Lionel Jospin a privatisé mieux que la droite. De cela nous ne voulons plus !

Le Parti Socialiste, comme organisation centrale dans le dispositif de la NUPES, s’enfonce dans la crise : alors que se confirme la force du mouvement pour le 31 janvier, le congrès actuel de Marseille fait observer une organisation en lambeaux. Tripatouillages des deux côtés. Olivier Faure veut imposer que l’élection du premier secrétaire se fasse par le vote des délégués fédéraux, pensant tenir l’appareil, alors que son opposition défend des mandataires représentatifs du vote premier des militants. Opposition revendiquant la démocratie socialiste, dont un groupe de députés vient d’offrir un million d’euros au Parti Radical de Gauche, en préparant de fait une scission. Le replâtrage de façade intervenu le 28 janvier après une nuit de négociation ne règle rien. La décomposition va continuer.

La NUPES, enfant légitime de FI, est encore moins perçue dans le mouvement réel contre Macron qu’à l’époque des gilets jaunes comme un débouché politique utilisable. Alors que les appareils syndicaux s’étaient mis d’accord sur une démarche d’infléchissement de la contre-réforme Macron en appelant au 19 – ce qui signifie, au-delà de la réforme, la reconnaissance de la légitimité du président – la montée en puissance du prolétariat force à l’exigence du retrait de la réforme. La question qui est posée aujourd’hui est celle de l’auto-organisation, des assemblée générales interprofessionnelles pour la grève, de l’entrée en mouvement de la jeunesse ouvrière et étudiante… Non pour jouer au Juppethon mais pour gagner et virer Macron. Un mouvement au plus haut niveau politique !

RD, le 28-01-2023.