Fin novembre, un collectif d’ASCT (Agents du Service Commercial Train : les contrôleurs), formé sur Facebook, avec la majorité des 10 000 contrôleurs, est apparu, revendiquant un alignement salarial sur les chefs de train (ce qui ferait 200 euros de plus en début de carrière et 700 euros de plus en fin de carrière), la conversion des primes en salaires et donc leur maintien en cas d’arrêt maladie, des mesures sur les évolutions de carrière, l’encadrement des recrutements de CDD, et une médecine du travail plus respectueuse des agents.
Ils ont appelé, hors syndicats, à la grève le week-end des 2-4 décembre : 80% de grévistes, 90% en TGV, la majorité des TGV et Intercités ne pouvant circuler !
Toutes les fédérations sauf la CGT ont alors déclaré soutenir leurs revendications. La fédération CGT de Laurent Brun a même refusé à ce jour de rencontrer le collectif ASCT alors que des syndiqués CGT font partie du groupe de ses animateurs.
Les NAO (Négociations Annuelles Obligatoires) se sont tenues le 8 décembre sous l’impact du coup de tonnerre de ce mouvement du premier week-end de décembre. Selon un communiqué commun de SUD-Rail et de la CFDT-cheminots, il s’est produit là un « recul historique de l’entreprise sur sa politique de recrutement » et « un appel d’air pour tous les ASCT et notamment ceux de TER » débloquant les promotions pour « des centaines de situations », le cœur des revendications salariales restant à traiter.
Selon la CGT-cheminots, ces premiers succès seraient dus aux journées d’action antérieures comme celle du 29 septembre …
Force est de constater en fait que la grève « traditionnelle », appelée dans l’unité, pour le 7 décembre, n’a mobilisé que 7% des cheminots, juste quelques jours après que plus de 8 contrôleurs sur 10 aient fait grève ! (1)
C’est bien le mouvement d’en bas d’une catégorie qui s’est autoorganisée qui a ébranlé la direction.
Mais celle-ci ne veut plus reculer, ou disons que politiquement, le gouvernement Macron-Borne ne veut plus qu’elle recule, alors que des préavis sont déposés pour la période de Noël, par les différences fédérations (les préavis CGT ne se référant pas au mouvement des contrôleurs), sauf l’UNSA qui déclare à présent que « les négociations étant closes », il n’y a plus lieu de se mobiliser.
Et un mouvement d’auto-organisation similaire à celui des contrôleurs a fait irruption chez les aiguilleurs, aidé par les militants de SUD-Rail qui recherchaient un tel mouvement depuis mai et qui l’ont couvert par un préavis les 15-19 décembre. La direction a organisé une « table ronde » avec les « propositions » suivantes : une « remise » de 10 minutes aux reprises de service en 3×8 et une indemnité de 60 euros bruts à partir de juin 2023 – des miettes littéralement méprisantes !
On note le mélange de reculs non anticipés et de postures provocatrices de la part de la direction (« Nous ne sommes pas là pour négocier, mais pour vous apporter des précisions »). L’exemple donné par les contrôleurs a lancé un début d’ébranlement qui a gagné les aiguilleurs et peut s’étendre à d’autres secteurs. La situation immédiate n’est pas prévisible, mais en exigeant que les contrôleurs et tous les syndicats disent « amen » aux mesures annoncées pour les contrôleurs lors des NAO, avant lundi prochain, la direction pose un ultimatum qui ne peut qu’énerver tous les travailleurs du ferroviaire, et elle se pose en soi-disant gardienne du bon déroulement des vacances de Noël alors que chacun sait que le bordel ferroviaire dans ce pays, où ni les horaires ni les tarifs ne sont fiables, est son œuvre sous l’égide des gouvernements successifs alors que ce sont les cheminots de base de toute catégorie qui évitent que ce soit encore pire !
Les militants CGT, souvent FSM et se voulant des « durs de durs », pour qui le dirigeant de la Fédération des Cheminots, Laurent Brun, ferait un bon successeur à Philippe Martinez pour une orientation soi-disant plus combative, feraient bien de réfléchir un peu à ce qui se passe là. Ils qualifient ces mouvements de « catégoriels ». Bien sûr, qu’ils sont catégoriels : où est le problème ? Ce sont des catégories, des métiers, qui se défendent comme tels. Ces mouvements catégoriels donnent une leçon de vraie lutte de classe aux donneurs de leçons, voilà la vérité.
Et ils montrent la vraie combativité pour les salaires, contre la misère, qui est en train de monter. Ils font écho aux grèves des infirmières et de quantité de secteurs outre-Manche, et au mouvement des cheminots du fret à l’échelle des États-Unis. Gageons qu’ils ne sont pas pour rien dans les peurs et les hésitations de Macron, Borne, Dussopt et compagnie pour casser le droit à la retraite !
Si toutes les directions syndicales, CGT en tête, appelaient dans l’unité à soutenir les contrôleurs et les aiguilleurs et à se mettre avec eux pour stopper la baisse des salaires réels par une grève massive à la façon des contrôleurs, il n’y aurait pas besoin de préavis couvrant des semaines et des semaines pour faire tomber l’arrogance des petits chefs de « l’entreprise » SNCF, et derrière elle pour ébranler plus encore celle de Macron.
(1) Les élections professionnelles à la SNCF se sont tenues les 17-24 novembre. La participation est passé de 66,7% en 2018 à 65,56%. La CGT passe de 34.04% à 32,44% (44% en 2004), l’UNSA de 24% à 22,1%, SUD-Rail de 17,27% à 18, 67%, la CFDT-cheminots de 14, 3 % à 15,94%, FO de 7,63% à 7,79%, la CGC de 4,94% à 4,07%.