Non, au Chili, il n’y a pas eu lieu de « révolution par les urnes » changeant le système politique, pas plus que par le passé, dans les autres pays d’Amérique du Sud, n’en déplaise aux partisans de la « révolution citoyenne ». Et, de plus, la politique de collaboration de classes de Boric, en quelques mois, comme Hollande et Macron avant lui en France, a ouvert un boulevard à l’extrême droite chilienne. La perspective pour 2025, que Kast, le leader de la droite et de l’extrême droite, soit au prochain scrutin élu président, n’est pas exclue.

Ce referendum constitutionnel, s’est transformé en plébiscite présidentiel.

Dans la plupart des communes de la région métropolitaine, le rejet s’est imposé, sauf à Puente Alto, Maipú, Ñuñoa, San Joaquín et Pedro Aguirre Cerda.

https://www.eldesconcierto.cl/noticias/2022/09/04/las-cinco-comunas-del-apruebo-asi-quedo-el-mapa-del-gran-santiago-tras-el-plebiscito.html

Les faits.

Total des votes au Chili pour un total de : 38.469 bureaux de vote sur 38.472, correspondant donc 99,99% des bureaux de vote du pays.

Rejet de la nouvelle constitution (NC): 7.859.838 votes exprimés – 61,97%

Acceptation de la NC : 4.824.048 votes exprimés – 38,03%

Nuls : 200.722 – 1,54%

Blancs : 77.290 – 0,59%

Electeurs au Chili : 15.076.690

Participation : 12.965.282 – 86%

Electeurs à l’étranger : 97.239

Participation : 59.510 – 61,20%

Total d’électeurs inscrits : 15.173.929

Source : https://www.servelelecciones.cl/#/votacion/elecciones_constitucion/global/19001

Il y a eu pour ce vote obligatoire, une participation (Chili+Etranger) de 4.656.582 millions d’électeurs de plus qu’au deuxième tour des présidentielles de 2021 (8.364.481 voix exprimées, Chili+Etranger). La population chilienne est de 19 millions d’habitants.

Même les sondages les plus favorables au Rechazo (rejet) n’avaient pas donné un résultat aussi fort. Ce vote exprime donc un fort glissement vers la droite de la situation politique et de l’agenda politique. Mais surtout un vote de sanction au gouvernement, comme nous verrons plus loin.

Le Monde écrit le 4 septembre « Le refus l’emporte à plus de 73 % en Araucanie, région du sud du pays rongée par le conflit autour de la restitution des terres aux Mapuche, et à 68 % à Tarapaca, dans le Nord, théâtre de la crise migratoire suite à l’arrivée massive de Vénézuéliens ultra-précarisés. Le rejet du texte proposé est donc plus ample dans les zones éloignées des secteurs progressistes de Santiago (où el rechazo [le rejet] l’a emporté avec 55 % de voix). ».

Paradoxalement, écrit Yasna Mussa dans Mediapart, « dans une commune comme Petorca, qui connaît de graves problèmes de sécheresse et dont la population dépend des camions-citernes pour avoir accès à l’eau, le « non » l’a emporté [à 56,11%), alors même que la proposition constitutionnelle revendiquait le droit humain à l’eau. Il en a été de même pour Quintero [58,11% pour le rejet de la NC] et Puchuncaví [57,32% a rejeté la NC], deux communes considérées comme des « zones de sacrifice » en raison de la pollution qui affecte gravement leur population.

Celle-ci n’a pas non plus accepté de remplacer la Constitution actuelle, alors que le texte proposait des articles de défense de l’environnement et une vie exempte de pollution. De même, la commune d’Alto Hospicio, au nord du Chili, commune qui abrite le plus grand nombre de bidonvilles, a voté à 72,07% le rejet de la NC. Or celle-ci proposait « le droit à un logement digne et adéquat. ». A Puerto Varas, Villarrica y Pucón, l’eau des lacs est terriblement polluée par des eaux usées : 69,65% ont voté pour le rejet de la NC à Villarrica, 66,82% à Pucón et 70,79% à Puerto Varas, alors que la NC proposait des règles interdisant un tel désordre sanitaire. A Cabildo l’eau est fourni par des camions : la bourgeoisie agricole a usurpé l’eau de la rivière La Ligua. La NC établissait que l’eau pour les populations était un droit. Or 60.25% de la population de Cabildo a soutenu le rejet de la NC.

L’enjeu

L’enjeu de ce referendum était bien de dégager la constitution de Pinochet-Lagos-Bachelet et de changer le cadre institutionnel de l’Etat. Malgré l’écriture finale limitée qu’en avait fait la CC, ce changement aurait été une reprise de l’initiative politique parlementaire sur une autre base. Certes, la Nouvelle Constitution (NC) a écarté les principales aspirations et intérêts des classes dominées à l’origine de ce processus initié par leur rébellion d’octobre 2019. La bourgeoisie a réussi à ce que les appareils politiques au gouvernement et ses secteurs les plus réticents acceptent ce nouveau texte constitutionnel très délimité. Elle a obtenu qu’un accord soit signé avant le résultat du referendum constitutionnel, pour négocier des modifications après le referendum des articles qui ne font pas « consensus », écrits par la CC , dans l’actuel parlement : en fait le pouvoir constitué, se superpose au pouvoir constituant.

Une vraie fraude de la démocratie bourgeoise. Une « haine de la démocratie », comme Jacques Rancière le dit, en se référant aux cas similaires en France. Un détournement de leurs propres accords du 15 novembre 2019 qui avaient initié ce processus constituant octroyé par le pouvoir constitué. Ceci met à nu le caractère non souverain qu’avait la CC [Convention Constituante]. C’est pourquoi dans l’accord du 15 novembre 2019, ce n’est pas une Assemblée Nationale Constituante souveraine qui a été accordée par les partis institutionnels signataires de cet accord. Mais plutôt son contraire. Cela n’empêcha pas Boric de dire dans son discours après les résultats du referendum que « La démocratie chilienne sort plus robuste ». Boric a répété alors encore une fois « Je m’engage à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour construire un nouveau processus constitutionnel. ».

Comment comprendre cette défaite politique abyssale des classes dominées après leur massive mobilisation en octobre 2019 ?

C’est la conséquence de la voie ouverte par « l’Accord de paix et la Nouvelle Constitution », dans laquelle le gouvernement de Gabriel Boric s’inscrit.

Mais également, comme le rappellent Franck Gaudichaud et Miguel Urrutia, « les multiples assemblées, les réunions territoriales et de jeunes et les tentatives de coordination du travail collectif de quartier qui s’étaient fortement développées au cours du mois d’octobre 2019 se sont progressivement désarticulées, à la fois sous l’effet des politiques institutionnelles et électorales, mais aussi en raison de la poursuite de la répression et, ensuite, sous le coup de la pandémie et de la crise économique. » Ce qui a généré un reflux du mouvement social, qui est passé à des luttes défensives pour la libération de prisonniers politiques de la rébellion.

Le résultat du referendum a exprimé un large rejet de la situation économique et sociale sous le gouvernement de Gabriel Boric. Ceci n’est-il pas fait que le referendum se transforme en un désavoeu du gouvernement par les masses exploitées, dans les quelques six mois du gouvernement de Boric, plutôt qu’un rejet conscient de la nouvelle constitution (NC) ? Il est très douteux que la nouvelle constitution ait été lue dans les milieux populaires, étant donné ses 388 articles, plus ses 57 « Dispositions Transitoires », le tout dans 166 pages compliquées à comprendre, pour tout un chacun. Un sondage de « Pulso Ciudadano » avait indiqué que seulement 28% de la population avait déclaré avoir lu complètement le texte de la NC. 49% déclarent avoir lu quelques articles et 23% ont déclaré n’avoir pas lu du tout la NC.

C’est à partir de ces faits, qu’il est possible de dépasser la vision phénoménale produite par les 62% obtenus pour le rejet de la NC. L’explication n’est possible qu’en faisant une distinction entre deux contradictions de nature différente. D’une part, celle des classes dominées et la politique du gouvernement, qui ne priorise pas la satisfaction des nécessités immédiates. D’autre part, la contradiction entre les classes dominantes et le gouvernement pour arrêter la NC, qui aurait dégagé définitivement la constitution Pinochet-Lagos-Bachelet. C’est cette situation concrète qui a transformé ce referendum constitutionnel, en plébiscite présidentiel.

L’ex-président Ricardo Lagos, qui fait partie du conglomérat « Socialisme Démocratique », dans son analyse des résultats du referendum ne dit pas autre chose : certes, ce 4 septembre c’est le vote sur la Constitution « mais aussi il y a eu un vote de jugement politique du gouvernement, de jugement politique du président, de jugement sur les promesses du président. Lorsque on sortait pour demander pourquoi ils ont voté de cette façon, « ah, parce qu’il n’a pas tenu ses promesses » était la reponse. » (La Tercera, 06/09/2022, page 10)

Ricardo Lagos est l’un des signataires de l’actuelle constitution. Il était en position pour ne pas respecter la NC et la modifier en cas de victoire de l’« approbation ». Et en cas de victoire du « rejet », comme c’est arrivé, de modifier l’actuelle constitution. Sa position a été considérée comme pro-rejet de la NC. Il a fait partie, avec la droite pour le rejet, de ceux qui ont considéré la NC comme « partisane ». Actuellement, il se positionne comme expert constitutionnel, pour procéder à la modification de l’actuelle constitution portant sa signature.

Ce n’est pas un hasard si la droite a déployé une campagne totalement démagogique en parlant de retraite, de santé, de logement, alors qu’elle défend tout l’héritage de la dictature. Le gouvernement Boric, le Parti communiste, le Frente Amplio, aux côtés de l’ancienne Concertación, aujourd’hui regroupée sous le sigle « Socialisme Démocratique », moins la Démocratie Chrétienne, ont mené une campagne de justification de leurs politiques, cédant aux principaux arguments de la bourgeoisie : un ajustement fiscal, un minuscule bonus d’hiver, l’enterrement définitif des retraits anticipés d’une partie des pensions (des fonds de pensions par capitalisation privés), une augmentation du salaire minimum ajusté à l’inflation. Ils ont traité la NC de « partisane ».

Malheureusement, dans ce contexte, la campagne démagogique de la droite a trouvé un écho dans de larges secteurs de la population. Dans le même temps, alors que la CC parlait de pluri-nationalité en faveur du peuple mapuche, le gouvernement a maintenu la politique de militarisation du Wallmapu mise en place par le gouvernement Piñera, rejoignant objectivement la droite dans son discours anti-mapuche. Dans un cadre de lutte de classe faible et centré exclusivement sur la problématique constitutionnelle, cette campagne de droite a profondément pris corps. Bien sûr, soutenue par une campagne de peur basée sur de fausses informations et inspirées des méthodes qui ont mené Trump et Bolsonaro au pouvoir. La bourgeoisie domine les journaux nationaux et la télévision de façon absolue.

Ainsi dans la campagne officielle à la TV, les mensonges et les tergiversations sur le contenu de la NC, rapportent Franck Gaudichaud y Miguel Urrutia, disaient : « les citoyens seront obligés de se faire soigner dans un système de santé publique effondré », « la liberté d’enseignement sera abolie », « des aides d’État seront créées pour que les travailleurs optent pour le chômage », « les maisons seront expropriées et leur propriété privée sera interdite », « le principe d’égalité devant la loi sera aboli, favorisant les indigènes et les homosexuels entre autres « minorités » », la liberté de culte sera supprimée et les communautés évangéliques seront persécutées », « l’avortement sera autorisé à tout moment de la gestation », « tous les contrôles à l’entrée du pays seront levés », « les criminels seront protégés judiciairement au détriment des victimes », « l’épargne des travailleurs sera confisquée, empêchant leur héritage », « le nom du pays et les emblèmes nationaux seront changés ».

Le conflit entre l’Etat chilien et les communautés radicalisées dans le Wallmapu, ont été exacerbées par la bourgeoisie propriétaire d’exploitations forestières sur des terres revendiquées par ces communautés. Elle a utilisé ce conflit pendant la campagne du referendum. Le gouvernement de Boric a repris à son compte les procès initiés par le gouvernement de Piñera, pour « calmer » la bourgeoisie forestière. Ainsi, celui-ci a reconduit et élargi géographiquement l’état d’urgence dans la région. Également, le gouvernement a permis l’arrestation du porte-parole de la Coordinadora Arauco Malleco (CAM), Hector Llaitul et de son fils, juste avant le referendum, pour donner un gage de bonne conduite à la bourgeoisie. Pour incriminer Hector Llaitul, le gouvernement a utilisé ses déclarations dans cette interview au journaliste hollandais Boris van der Spek. Et ensuite le journaliste a été persécuté avec les méthodes policières de régime totalitaire. Ici il raconte comment.

A ceci s’ajoute le fait que les promesses du gouvernement Boric de libération des prisonniers politiques de la révolte du 18 Octobre, détenus par le gouvernement Piñera, n’ont pas été réalisées. Plusieurs d’entre eux sont restés en détention provisoire alors que l’exécutif n’a pas voulu aller de l’avant avec une amnistie générale. Par contre, le gouvernement, conjointement avec les fonctionnaires judiciaires initiaux, a donné suite aux mises en accusation.

Ces deux situations ne peuvent pas être sans rapport avec le fait que dans la Prisons N°1 de Santiago, où sont incarcérés beaucoup de jeunes arrêtés par le gouvernement Piñera suite à la rébellion du 18 Octobre 2019, ainsi que dans le reste des prisons du pays, le vote s’est exprimé majoritairement en faveur du rejet de la NC. C’est ce dont informe la journaliste de la chaine campiste d’état vénézuélienne TeleSur dans cette interview de F. Gaudichaud, et aussi Yasna Mussa dans son article dans Mediapart.

La continuation de la “polítique des consensus” de l’ex Concertación.

Le gouvernement et les secteurs qui en principe le soutenaient, mais qui étaient plutôt en faveur de rejeter la NC, ont mis en place une nouvelle cuisine pour réformer la NC, un arrangement préalable au vote de ce 4 septembre. Un « accord d’unité nationale » avec la droite pour préparer le terrain pour un nouveau processus constituant encore plus trompeur, limité et anti-démocratique, à être élaboré dans le parlement actuel. Cette manœuvre aurait fonctionné même si l’« Approbation » de la NC l’emportait.

« El Desconcierto » cite l’historien et scientiste politique Luis Thielemann : donner au Parlement un rôle de premier plan est une erreur que le gouvernement a « toujours faite ». En fait, « plus ils avaient déjà décidé de cette stratégie, plus ils discréditaient la Convention [CC]. Et ils n’ont pas vu que discréditer la Convention et donner du prestige au Congrès, où ils n’ont pas de majorité, c’était se tirer une balle dans le pied », déduit-il.

La CC, tel qu’elle a été définie par la loi de modification de l’actuelle Constitution, n’a pas été le triomphe de la rébellion populaire, comme le prétendent le Frente Amplio, le Parti communiste, les Mouvements Sociaux Constituants, l’ancienne Liste du Peuple, la Coordination Plurinational et d’autres. Celle-ci a été une canalisation institutionnelle pour arrêter la rébellion du 18 Octobre 2019. Elle a pris corps avec l’«Accord pour la paix sociale et la Nouvelle Constitution » du 15 novembre 2019. En effet, à la suite de la signature de cet accord et dans le cadre de la réforme constitutionnelle permettant l’existence de la CC, élue les 15 et 16 mai 2021, la rébellion populaire a été affaiblie. Son ampleur de masse a été réduite, canalisée par le processus institutionnel ouvert avec la création de la CC. L’état d’urgence sanitaire a aussi concouru à une certaine « stabilité » de la situation socio-politique. Boric fut l’un de signataires du dit Accord qui a sauvé le gouvernement de Piñera, jusqu’à l’investiture de Boric au gouvernement le 11 mars 2022 et a maintenu l’impunité pour les violations des Droits Humains. Piñera a pu ainsi finir complétement son mandat, et continuer à taper sur les classes dominées.

Par contre, si cette canalisation a bien produit le reflux du mouvement de masses, désiré par le bloc au pouvoir, la victoire du Rechazo (rejet) met en échec le processus constituant, tel qu’il s’est déroulé, qui aurait permis une sortie du conflit social toujours sans solution. Le mécontentement, la méfiance et la déconnexion de la population avec le bloc au pouvoir non seulement sont maintenus, mais ils se sont approfondis. La diversité des secteurs sociaux ayant voté ce rejet est une manifestation de la décomposition de la société chilienne suite au reflux du mouvement social du 18-O. (18/10/2019). Les problèmes sociaux, économiques et démocratiques créés par la dictature et sa suite néolibérale des gouvernements concertationistes (Concertation des partis pour la Démocratie) et ceux des héritiers du pinochetisme, restent sans solution. Ce dimanche 4 septembre a mis en évidence que l’actuel système politique institutionnel a été incapable de récupérer sa légitimité, de conduire les changements sociaux, économiques et politiques que la rébellion du 18-O avait exigé.

La CC était composée de districts de tout le pays, avec une large participation de peuples autochtones, de femmes, de travailleurs, de professionnels et de personnes de différents milieux, y compris la représentation de minorités issues de la diversité sexuelle, des immigrants et des handicapés. Une grande partie de ses membres n’étaient pas des professionnels de la politique. Le corps intermédiaire était fort réduit dans la composition de la CC. Une bonne partie ne faisait pas partie des sachants de la politique, des soi-disant capables de faire de la politique. Ceci correspond à ce qui depuis 2011 au Chili s’est exprimé par le mot d’ordre « le peuple uni avance sans partis », sans leader messianique.

La bourgeoisie a fait pression sur le gouvernement et a critiqué la NC, l’a dénigrée, parce que la droite voulait une constitution de « consensus » national. Aucun gouvernement dans l’histoire du Chili, lorsqu’une constitution a été promulguée – 1833, 1925, 1980 – n’a tenu compte des intérêts des classes dominées. Toutes les constitutions ou les lois ont été le résultat du rapport de forces entre les classes, le rapport institutionnel étant toujours favorable aux classes dominantes. Cette fois, lors de l’élection des constituants, le rapport de force a été favorable aux classes dominées. Les partis de droite étaient largement minoritaires dans la CC, pour la première fois dans l’histoire. Voir ici « Les blocs politiques de la Convention constituante ». C’est pourquoi, lors de l’écriture finale de chaque chapitre, les partis de l’alliance « Apruebo Dignidad » (approuve dignité) qui a donné lieu ultérieurement au gouvernement de Boric, au nom du consensus et d’une constitution « d’union du peuple chilien », ont passé des accords pour éliminer de la NC tout ce que la bourgeoisie refusait, plus ce que le « progressisme » du Frente Amplio et de ses alliés considéraient comme trop radical. Ou qui allait diviser le Chili, afin d’amadouer le centre droit, qui ne voulait pas d’une « refondation » de l’état-nation chilien en un Etat « plurinational ». Les forces du centre-gauche étaient réticentes à suivre les propositions de refondation des constituants liés aux mobilisations, et ont mis une limite renforcée par l’imposition d’un quorum des deux tiers pour approuver chaque article. Malgré toutes ces concessions, la bourgeoisie unie, plus une partie des ex-alliés du gouvernement, les « Amarillos por Chile» (Jaunes pour le Chili), ont fait campagne pour rejeter la NC. Et ils ont réussi !

La responsabilité de la défaite est, en premier lieu, celle du gouvernement actuel et de ses alliés du Socialisme Démocratique.

Il ne fait aucun doute que ceux qui capitalisent sur le résultat électoral sont les partis de « Chile Vamos » et les ex-concertationnistes partisans du rejet de la NC. Mais il est ignoble d’en rejeter la responsabilité sur les classes dominées, « los que sobran », le surnuméraire, sans expliquer cette défaite, depuis l’octobre 2019 jusqu’à ce 4 septembre 2022. Comme le font dans les RRSS des éléments de la « gauche bien-pensante ». Les partis institutionnels pour l’ « Approbation » sont allés à la bataille en ordre dispersé, en plusieurs groupes différenciés, de par leurs positions divergentes. Tandis que la bourgeoisie a eu une direction centralisée, un financement unifié, avec un objectif précis : faire échec à la nouvelle constitution pour maintenir en place celle de Pinochet-Lagos-Bachelet. Et ils ont réussi.

Le gouvernement persiste et signe.

Boric prépare un changement du cabinet ministériel au niveau de son Comité Politique. « Je doute fort que le problème soit résolu par un changement de cabinet. Avec ou sans Izkia ( Siches, Ministre de l’Intérieur) ou (Giorgio) Jackson (Secrétaire General de la Présidence), les erreurs seraient plus ou moins les mêmes. Le problème est celui de la culture politique du progressisme et des classes moyennes qui hégémonisent son alliance « Apruebo Dignidad » (approuve dignité) et son gouvernement, où ils semblent avoir davantage confiance en ceux qui viennent de les vaincre », ajoute Luis Thielemann.

De son côté, le politologue Tomás Duval souligne que, dans ce scénario, Apruebo Dignidad « sort affaibli » et les partis de l’ancienne Concertación [Socialismo Democratico (partidos Socialista (PS), Por la Democracia (PPD), Radical (PR), Liberal (PL) et la plataforme Nuevo Trato ] se positionnent comme un pont entre le gouvernement et les secteurs d’opposition, une sorte d’« axe d’articulation, surtout dans les domaines qui nécessiteront des accords et un dialogue ».

Ce lundi 5 septembre, Boric avait invité à une réunion, au siège du gouvernement, tous les responsables des partis. Les partis de l’opposition ont répondu qu’ils attendaient le remaniement ministériel pour savoir qui ils allaient avoir en face d’eux. Rénovation National (droite) qui en principe devait participer, a annulé sa présence du fait que Nicolás Cataldo (PC) devait être nommé comme Sous-Secrétaire de l’Intérieur, ainsi qu’un autre membre du PC. Nomination qui a été annulée suite aux refus des partis de droite d’accepter l’invitation de Boric. Au ministère de l’intérieur, Carolina Toha (PPD) remplace Iskia Siches sur le poste qui au Chili correspond au chef du gouvernement. Ana Lya Uriarte (PS) remplace Giorgio Jackson au poste de Secrétaire Général du Gouvernement. Jackson ne quitte pas le gouvernement et prend le poste de ministre du Développement Social et de la Famille. C. Toha a été ministre du premier gouvernement de Michelle Bachelet (2009) et maire de Santiago (2012-2016). Ana Lya Uriarte était l’ex-chef du cabinet du deuxième gouvernement de M. Bachelet (2014-2018). Avec ces deux nominations, ce sont deux protagonistes actuelles du secteur de l’ex-concertation, regroupé dans Socialisme Démocratique, qui ont été aux gouvernements depuis 1990. C’est le résultat de leur politique qui est à la base de la rébellion d’Octobre 2019. Au moment du changement de la composition du gouvernement exigé par la droite du rejet, une brutale répression a eu lieu contre une manifestation des lycéens près du siège du gouvernement, La Moneda. Ils demandent un nouveau processus constitutionnel avec la participation réelle de la population.

Les classes dominées, pour surmonter la situation, tôt ou tard, mettront un terme à la trêve avec le gouvernement Boric, et cesseront d’attendre une quelconque satisfaction de leurs revendications par les manœuvres institutionnelles, mais par l’indépendance nécessaire vis-à-vis du gouvernement et des patrons. Vu la dimension de la défaite, ceci risque de prendre quelques années.

Source :

https://blogs.mediapart.fr/patricio-paris/blog/100922/chili-boric-ete-le-grand-organisateur-de-labyssale-defaite-de-lapruebo