Une secte pseudo-trotskyste venue des USA au service de l’impérialisme russe : comment le CIQI a tenté de réécrire l’histoire du mouvement de libération révolutionnaire ukrainien
Par Oleg VERNIK, dirigeant de la Ligue socialiste ukrainienne.
Présentation
Oleg Vernyk est membre de l’organisation Ligue Socialiste Ukrainienne, affiliée à la Ligue Socialiste Internationale, animée en particulier par le MST argentin. Cette petite organisation et ce camarade ont subi des attaques provocatrices et calomniatrices de la part de l’édition russe du site WSWS (World Socialist Web Site) issu de la longue histoire de la tradition healyste. Cette contribution nous paraît éclairante de là où mène l’alignement sur les thèses du Kremlin de la part de gens qui se prétendent révolutionnaires : au service d’un impérialisme tout en prétendant combattre l’autre impérialisme. Nous la publions donc avant tout parce que des accusations de « bandérisme » lancé au moment présent contre des militants ukrainiens se réclamant du trotskysme ont une telle fonction précise. En outre, des groupes comme celui qui anime le CIQI ont quelques raisons de voir des « agents » partout eu égard au passé d’un tel courant, qui fut en son temps financé par des el Assad et autres Khadafi. Ce n’est donc pas pour rien qu’Olez Reznik le qualifie de rashiste, néologisme ukrainien récent désignant le fascisme poutinien. La rédaction d’Aplutsoc.
Document
Le 11 juin 2022, la version russe du site Web du WSWS de la secte pseudo-trotskyste du CIQI (« Comité International de la Quatrième Internationale ») a publié un article au titre extrêmement provocateur « Oleg Vernyk de l’ISL promeut le fasciste ukrainien Stepan Bandera et l’Organisation des nationalistes ukrainiens« . Ce n’est pas la première attaque profondément fausse de ce petit groupe Internet contre les positions de la LSI et d’Oleg Vernyk, en tant que leader du groupe ukrainien Ligue socialiste ukrainienne. Et cette tentative d’un petit groupe pseudo-trotskyste de la « classe moyenne » des États-Unis pourrait ne pas retenir l’attention, n’était le contexte actuel d’agression impérialiste russe contre l’Ukraine et d’un certain isolement informationnel qui s’est développé dans le monde autour de l’agenda russe.
Plus personne ne croit à la propagande d’État russe. En particulier, personne ne croit que les « nazis » sont au pouvoir en Ukraine et que le but de l’agression militaire russe est la « dénazification » de l’Ukraine. Nous comprenons parfaitement que dans l’affrontement entre les impérialismes russe et occidentaux, l’Ukraine ne se voit attribuer que le rôle de victime. Cependant, nous – LSI- défendons fondamentalement les droits de l’Ukraine et de ses travailleurs, le droit inconditionnel à l’autodétermination du peuple ukrainien et la lutte pour la préservation de son propre État. La LSI ne soutient pas la bourgeoisie ukrainienne et Volodymyr Zelenskyi, elle prône une résistance populaire de masse à l’agression. Alors, qu’est-ce que le CIQI et que représentent ces étranges personnes sur Internet ?
Pendant de nombreuses années consécutives, le chef de la secte pseudo-trotskiste du CIQI, le citoyen américain David North, a servi les intérêts de l’impérialisme russe et de sa propagande d’État concernant l’Ukraine. Cependant, le travail de désinformation de cette secte de propagande s’est concrétisé précisément au début du mois de juin, lorsqu’il est devenu évident que la propagande officielle russe ne disposait plus de plateformes de presse suffisantes dans les médias américains et occidentaux. Ils doivent utiliser des plates-formes à plus faible impact et autorité telles que WSWS. Au début de ce document, ses auteurs indiquent honnêtement leur tâche principale – « rejeter les concepts erronés d »impérialisme russe’ et d »Ukraine démocratique ».
Il est bien évident que pour blanchir l’agression militaire russe, il faut au CIQI :
a) déclarer que le capitalisme russe n’est pas impérialiste,
b) souligner que l’Ukraine n’est pas le pays ordinaire d’une démocratie bourgeoise périphérique extrêmement dépendante, mais un avant-poste du nazisme. Autrement dit, c’est cette thèse qui est essentielle pour justifier l’agression armée, tant de la part de la Fédération de Russie elle-même que de la part de ses agents dans les courants de gauche.
Il convient de noter tout de suite qu’un titre aussi flagrant et scandaleux n’a absolument rien à voir avec la réalité. Oleg Vernyk n’a jamais et nulle part promu Stepan Bandera, et nulle part n’a jamais promu l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN). Au lieu de cela, Oleg Vernyk a toujours proposé d’analyser en profondeur le mouvement de libération nationale de l’Ukraine dans la dynamique de son développement, tant dans ses ailes gauche que droite, sans fermer les yeux sur les complexités et les problèmes de ce mouvement. De plus, Oleg Vernyk a toujours exprimé l’attitude la plus hostile envers la personne de Stepan Bandera, qui était le chef de l’aile radicale de droite de l’OUN et avait une perception extrêmement négative de tout mouvement vers sa démocratisation et son expansion. Nous reviendrons sur cette question plus tard. Voyons maintenant – sur quelle base le CIQI a avancé un tel titre si odieux, à savoir qu’Oleg Vernyk promeut Stepan Bandera?
Sur la base de cet article, nous apprenons que le 26 mai 2022, Oleg Vernyk a republié un matériel posté par l’utilisateur Ket Sotnyk, qui était une photocopie du livre historique de 1948 de Petro Poltava, dans le large groupe Facebook syndical ‘Labor Protection’. Ce livre est une rareté bibliographique en Ukraine. Cela précisément parce que Petro Poltava, l’un des jeunes idéologues de l’aile gauche de l’organisation d’extrême droite OUN, auparavant idéologiquement monolithique, avait commencé à promouvoir des idées complètement opposées à Bandera. Ce sont ces idées du 3ème congrès de « l’organisation régionale de l’OUN » en 1943 que Stepan Bandera lui-même a qualifiées de « bolcheviques », disant que ce congrès était tenu par des « bolcheviks » et qu’en aucun cas, il ne permettrait que s’applique une décision de ce congrès. Bandera, alors incarcéré au camp de concentration allemand de Sachsenhausen, a parfaitement compris qu’il s’agissait précisément de l’apparition dans les rangs de « l’organisation régionale de l’OUN(r) » d’une tendance à sa forte démocratisation, à son effondrement politique, et un appel à une guerre simultanée contre le national-socialisme allemand et le stalinisme. Il est clair que c’est exactement cette position qui a été attaquée à la baïonnette par Bandera lui-même et par l’aile droite de l’OUN(R). D’où le titre voilé de cette brochure : « Qui sont les gens de Bandera et pourquoi ils se battent » n’a pas aidé.
Le mécontentement de l’extrême droite était tout à fait compréhensible, mais il faut bien définir la peur de cette brochure de la part du CIQI. Cette brochure de 1948 met à mal les bases de la thèse principale de la propagande russe et des manigances du CIQI selon lesquelles tout mouvement de libération nationale en Ukraine devrait être perçu exclusivement comme d’extrême droite et nazi. Les auteurs de cet opus se sont même risqués à citer quelques phrases clés de cette brochure : « les « Banderiens » se battent pour la construction d’une société sans classes, pour la destruction réelle de l’exploitation de l’homme par l’homme… Pour la démocratie, contre la dictature et le totalitarisme, pour la liberté d’expression et de réunion… Pour garantir que les minorités nationales ukrainiennes aient tous les droits. » Dans le même temps, ces slogans sont caractérisés par les auteurs du CIQI comme imprégnés de « l’esprit du « national-socialisme » fasciste. On ne sait trop ce qui se manifestait « l’esprit du national-socialisme fasciste » dans ces slogans – ou dans le slogan « contre la dictature et le totalitarisme » ou dans le slogan « pour la véritable destruction de l’exploitation de l’homme par l’homme », ou dans le slogan « octroi de tous les droits aux minorités nationales d’Ukraine »… Comme on peut le voir, ces messieurs du CIQI ont une compréhension assez étrange du « fascisme ». Cependant, cela coïncide complètement avec la compréhension du « fascisme » de M. Poutine, qui se bat en Ukraine, peut-être précisément contre un tel « fascisme ».
Mais le plus intéressant est qu’Oleg Vernyk, ayant republié une photocopie de ce livre, ne l’a en aucun cas commenté, invitant les lecteurs du groupe syndical à se familiariser avec une publication aussi rare en Ukraine aujourd’hui et à tirer leur propre conclusion. Ni Bandera ni l’auteur du livre, Petro Poltava (opposant de Bandera), ne faisaient de la simple propagande. Les mensonges évidents du CIQI sont très faciles à exposer. Cependant, regardons les arguments suivants de ces pseudo-trotskystes exotiques sur la « propagande pour Bandera » d’Oleg Vernyk.
Les auteurs du CIOQI écrivent : « Le 5 juin, Vernyk a publié un autre article avec un extrait du livre de Danylo Shumuk, un ancien membre du Parti communiste d’Ukraine occidentale (KPZU), qui, désorienté par les crimes du stalinisme, a rejoint l’ Armée insurrectionnelle Ukrainienne (UPA) en 1943. »
Et encore une fois, Oleg Vernyk, lorsqu’il a republié la page du livre de Danylo Shumuk, n’a fait aucun commentaire personnel, mais a proposé aux lecteurs de se familiariser de manière indépendante avec l’opinion de l’auteur de ce livre, qui était un communiste sincère et qui est fut victime à plusieurs reprises sous la vague des répressions staliniennes contre les membres du Parti communiste d’Ukraine occidentale (KPZU) depuis 1935.
Ici, il est très important de rappeler la chronologie des événements historiques. En 1938, le Comité exécutif de la Comintern stalinienne a adopté une résolution sur la dissolution définitive du Parti communiste de Pologne et, avec lui, des Partis communistes d’Ukraine occidentale et de Biélorussie occidentale, qui en faisaient partie. Au sein du Parti communiste de Pologne, il y avait un nombre important de partisans de la 4ème Internationale, qui avaient une influence sérieuse au sein du parti et menaient une agitation clandestine critiquant le Thermidor de Staline et prônant le marxisme révolutionnaire de Léon Trotsky. C’était la raison de la dissolution de ces partis par Staline et des répressions contre les communistes ukrainiens occidentaux. Mais la base officielle de ces répressions était l’accusation selon laquelle « la direction de ces partis était prise en charge par des agents fascistes ». N’est-il pas vrai que nous connaissons très bien cette accusation dans le contexte de la guerre actuelle de 2022 ?
Ce sont les militants communistes d’Ukraine occidentale qui tombèrent les premiers sous le marteau des répressions staliniennes et furent presque tous anéantis après l’incorporation de l’Ukraine occidentale à l’URSS en 1939 selon les termes du pacte Molotov-Ribbentrop. Danylo Shumuk a miraculeusement survécu après avoir passé de nombreuses années dans les camps staliniens. Il est évident que dans une telle situation de répressions staliniennes contre le KPZU, il avait (selon les mots des auteurs du CIQI) des raisons « d’être quelque peu désorienté sur lescrimes du stalinisme ». Ici, je n’exprime bien sûr qu’une amère ironie.
Mais tournons-nous vers le camarade Trotsky, qui a analysé attentivement la situation dans le mouvement communiste de l’Ukraine occidentale et a généralement accordé beaucoup d’attention à l’Ukraine et à la question ukrainienne dans ses ouvrages de cette période. Bien sûr, les auteurs du CIQI connaissent bien cette analyse de Trotsky, mais pour le bénéfice de leurs clients impérialistes russes, ils préfèrent ne pas la mentionner.
En août 1939, Levko Trotsky écrivit son célèbre texte « Les féodalistes démocrates et l’indépendance de l’Ukraine » (Bulletin de l’opposition (bolcheviks-léninistes), n° 79-80) [En français, œuvres ILT Tome 21 page 363 à 365], dans lequel il écrivait clairement et sans équivoque ce qui suit : « Le mouvement révolutionnaire ukrainien, dirigé contre la bureaucratie bonapartiste, est un allié direct du prolétariat révolutionnaire international. C’est pourquoi nous disons : Vive l’Ukraine soviétique indépendante ! ».
Les communistes ukrainiens occidentaux de 1939 ne se faisaient plus d’illusions sur le stalinisme et étaient parfaitement conscients de ces positions de Levko Trotsky. Dans cette situation, quelle stratégie de lutte les communistes ukrainiens occidentaux auraient-ils dû choisir dans les conditions de leur passage de la clandestinité en Pologne à la clandestinité dans « l’Ukraine occidentale libérée » stalinienne ? Danylo Shumuk a attendu 1943, lorsque l’UPA a commencé sa guerre sur deux fronts – contre le national-socialisme allemand et le stalinisme – et a alors rejoint les rangs de l’UPA.
Les bourreaux agissant pour Staline, malheureusement, n’ont pas permis à Trotsky de vivre jusqu’en 1943, et il nous est très difficile de prédire quelle tactique et stratégie optimales Levko Davidovych aurait proposé aux communistes ukrainiens occidentaux, sur la base de cette situation. Laissons place ici aux discussions amicales.
Mais dès 1939, Levko Trotsky dans son texte « Sur la question ukrainienne » (Bulletin de l’opposition (bolcheviks-léninistes), n° 77-78), qui est un alphabet pour chaque marxiste ukrainien, écrivait ce qui suit : « Il ne subsiste rien de la confiance et de la sympathie d’antan des masses d’Ukraine occidentale pour le Kremlin. Depuis la toute récente « épuration » sanglante en Ukraine, personne, à l’Ouest, ne désire plus devenir partie intégrante de la satrapie du Kremlin qui continue à porter le nom d’Ukraine soviétique.… c’est précisément cette suppression sans vergogne de toute pensée nationale libre qui a conduit les masses travailleuses de l’Ukraine, plus encore que les masses de la Grande-Russie, à considérer le gouvernement du Kremlin comme une oppression monstrueuse. Devant une telle situation intérieure, il est naturellement impossible de parler d’une Ukraine occidentale se rattachant volontairement à l’U.R.S.S. telle qu’elle est actuellement. En conséquence, l’unification de l’Ukraine présuppose l’affranchissement de l’Ukraine dite « soviétique » de la botte stalinienne. … Il faut un mot d’ordre clair et précis, qui corresponde à la situation nouvelle. A mon avis, il n’existe à l’heure actuelle qu’un seul mot d’ordre de ce type : pour une Ukraine soviétique, ouvrière et paysanne unie, libre et indépendante ! ».
Les pseudo-trotskystes du CIQI connaissent-ils cette position de Trotsky ? Ils la connaissent parfaitement, mais ils préfèrent mentir délibérément et manipuler, obéissant aux ordres des conservateurs autoritaires et bureaucratiques du Kremlin. Allons plus loin dans le texte des rashistes.
« Un autre message du 26 mai de Vernyk contenait un commentaire faisant l’éloge du soulèvement de 1953 dans l’un des camps du Goulag dirigé par Shumuk et d’autres membres de l’OUN et de l’UPA emprisonnés par les autorités soviétiques. » Comme vous pouvez le voir, les messieurs du CIQI ont finalement rejeté toutes les frontières de la décence, rompu brutalement et définitivement avec leur prétention à l’héritage du trotskysme, prenant le parti des bourreaux staliniens contre le soulèvement des prisonniers du Goulag. Il s’agit du célèbre soulèvement des prisonniers du Goulag de Norilsk à l’été 1953. Ce fut le plus grand soulèvement de l’histoire du Goulag. Environ 30 000 prisonniers y ont participé et les prisonniers trotskystes ont joué un rôle de premier plan dans son organisation et sa conduite.
Selon « l’aide du chef du département pénitentiaire du ministère de l’intérieur de l’URSS Kouznetsov », il est clairement indiqué que c’est le trotskyste emprisonné Klichenko, qui avait été condamné à deux reprises pour des activités antisoviétiques pour une durée de 25 ans, qui a mené le travail principal d’agitation des prisonniers pour continuer et développer leur résistance. Il existe également des preuves que la trotskiste emprisonnée Szymanska a joué un rôle important dans le soulèvement des prisonniers. Le soulèvement de Norilsk de 1953 est un événement important et vivant dans l’histoire de la résistance anti-stalinienne en URSS. Mais pas pour les quasi-staliniens du CIQI, qui tendent utilement leur main secourable et leur soutien aux diverses dictatures autoritaires et bureaucratiques, de Staline à Poutine.
De plus, dans leur texte ses auteurs cèdent à la folie franche. Ils écrivent notamment : « Sur son site Internet, le MSL/ISL a publié une vidéo d’un de ses membres, Kirill Medvedev, portant un masque et un gilet pare-balles, se faisant passer pour un membre de l’unité des Forces de défense territoriales. » À partir de quoi ont-ils supposé que notre camarade Kirill, un militant de l’ISL/USL, portait le nom de famille ‘Medvedev’,voila qui n’est pas tout à fait clair pour nous. Cependant, plus tard, nous avons réalisé que les auteurs du document confondaient tout simplement notre camarade ukrainien Kirill avec le militant russe du Mouvement socialiste russe [lié au la IV° Internationale-ex Secrétariat unifié] Kirill Medvedev. Nous hésitons à qualifier cet autre mensonge. C’est plutôt de l’ignorance flagrante et l’illustration de la stupidité des auteurs provocateurs illettrés et stupides, mais extrêmement engagés du CIQI.
Nous pouvons continuer à parcourir sans fin chaque paragraphe du texte des provocateurs pro-russes du CIQI à travers un amalgame de mensonges éhontés et de demi-vérités. Cependant, nous sommes confrontés à une tâche complètement différente. Nous devons utiliser la réfutation des mensonges de cette secte pseudo-trotskiste des États-Unis, que peu de gens connaissent et qui intéresse peu de gens, précisément dans le cadre de notre tentative d’approfondir des aspects beaucoup plus importants des problèmes de l’Ukraine et de l’histoire du mouvement de libération révolutionnaire ukrainien.
Au début du XXe siècle, une grande partie de l’Ukraine faisait partie de l’Empire russe et l’Ukraine occidentale faisait partie de l’Empire austro-hongrois. Le développement du capitalisme sur le territoire de l’Ukraine a initié la formation accélérée de sa classe prolétarienne, ainsi que des partis sociaux-démocrates (marxistes) et d’autres partis d’orientation socialiste. De grands centres prolétariens liés au développement de l’industrie charbonnière (Donbass), du transport ferroviaire et de l’industrie sucrière (Sumshchyna, Slobozhanshchyna) et d’autres industries se sont rapidement formés sur le territoire de l’Ukraine dans le cadre de l’Empire russe. La classe prolétarienne était formée à la fois d’anciens paysans ukrainiens sans terre et du transfert en Ukraine de paysans sans terre de la partie centrale de l’Empire russe.
Dans sa masse sur le territoire de l’Ukraine, la langue nationale ukrainienne a été utilisée, et, malgré toutes les répressions à son encontre et toutes sortes d’interdictions du gouvernement tsariste, elle a survécu et s’est considérablement renforcée parmi les larges masses populaires. Levko Trotsky, qui est né et a grandi dans la partie sud-centrale de l’Ukraine, a mentionné dans ses mémoires que sa langue maternelle était le ‘surzhik‘ – une variété de langue populaire ukrainienne avec une grande présence de mots étrangers. Cependant, l’enseignement supérieur dans l’Empire russe ne pouvait être obtenu qu’en langue russe et la langue ukrainienne restait au niveau de la langue véhiculaire de base. La majeure partie de l’intelligentsia urbaine et de la bourgeoisie urbaine, après avoir obtenu un enseignement supérieur, est passée à la langue russe dans sa communication quotidienne. Une partie importante du prolétariat, c’est-à-dire les anciens paysans ukrainiens, était également encline à cette russification. Cependant, au début du XXe siècle, un processus inverse a eu lieu. Une partie importante de l’intelligentsia urbaine et même de la classe ouvrière, dans le cadre de leur opposition au gouvernement autocratique russe, a entamé le processus de transfert progressif de la langue ukrainienne de la campagne vers les villes. Et c’est là un facteur très important dans l’analyse de l’histoire future du mouvement révolutionnaire de libération et du mouvement ouvrier ukrainien. En Ukraine, dès le début du XXe siècle, l’aspect révolutionnaire de classe de la libération sociale et l’aspect de libération nationale de la lutte pour l’autodétermination du peuple ukrainien ont été côte à côte, c’est-à-dire qu’ils étaient inextricablement et dialectiquement liés. Et toute tentative de briser cette connexion dialectique et cette interdépendance était historiquement vouée en Ukraine à des conséquences catastrophiques et à des déformations extrêmes. Toute l’histoire de l’Ukraine au XXe siècle est une histoire extrêmement complexe, contradictoire et, à bien des égards, tragique.
Les groupes sociaux-démocrates marxistes qui se forment alors activement en Ukraine, en fait, dès le début de leur émergence et de leur développement, ont été divisés entre ceux qui faisaient partie de la structure du Parti ouvrier social-démocrate russe (POSDR) et ceux qui faisaient partie du Parti ouvrier social-démocrate ukrainien (USDRP). Par ailleurs, il est important de noter que du point de vue de son approche radicale de la résolution de la « question ukrainienne » sous l’influence décisive de V.I. Lénine, le POSDR(bolchevik) a clairement pris la position de reconnaître le droit du peuple ukrainien à créer son propre État indépendant. Mais l’USDRP, qui se positionnait plus pro-ukrainien, s’est limité à la seule revendication programmatique de l’autonomie de l’Ukraine au sein de la Russie.
Malheureusement, au sein du courant bolchevik du POSDR, il y avait aussi une frange importante d’activistes qui n’exprimaient leur internationalisme qu’avec des mots, mais qui avaient en fait de forts vestiges du chauvinisme de grande puissance russe dans leur esprit. Joseph Staline est progressivement devenu le chef informel de cette faction. Cette approche de grande puissance de Staline s’est manifestée lors de la préparation du projet de Constitution de l’URSS en 1922. Contrairement à la position de Lénine et de Trotsky, Staline a essayé d’introduire le principe de « l’autonomie » [et non de la souveraineté et de l’indépendance] dans la Constitution de l’URSS. Autrement dit, au lieu d’une union fédérale à part entière et à égalité des républiques soviétiques, Staline a proposé de joindre toutes les républiques à la Russie en tant qu’entités « autonomes ». Lénine et Trotsky ont résolument arrêté cette tentative stalinienne de « deuxième édition » de l’Empire russe, et la Constitution de l’URSS de 1922 s’est avérée démocratique et a inscrit dans son texte le principe fédéral d’unir les républiques soviétiques avec leur droit de quitter librement la Fédération soviétique.
Cependant, déjà après la mort de Lénine et la défaite de «l’opposition de gauche» de Trotsky, la faction de Staline a recommencé progressivement, étape par étape, à restreindre les droits des républiques soviétiques de l’Union, concentrant de plus en plus les véritables leviers de pouvoir et de gestion à Moscou. Malheureusement, au milieu des années 1920, Levko Trotsky et son « opposition de gauche » échouent à établir une alliance étroite avec les communistes des républiques fédérées, opposés à la politique centralisatrice de Staline. Et cela a coûté très cher à toutes les forces antistaliniennes du parti. Pratiquement tous les communistes des républiques de l’Union soviétique qui ont eu le courage de lutter contre la politique chauvine et de grande puissance de Staline ont été réprimés et fusillés dans les années 1930. Staline a même inventé un terme complètement faux pour eux – « communistes nationaux ». Bien que ce soient eux qui ont agi en véritables internationalistes, luttant contre la réanimation de l’oppression nationale et de l’inégalité entre les peuples soviétiques en URSS.
La contre-révolution bureaucratique de Staline ne pouvait que plonger dans toutes les sphères de la vie de l’État soviétique. Elle s’est manifestée de la manière la plus directe dans la question nationale, traditionnellement très douloureuse en Ukraine. Ne pas le comprendre et, qui plus est, fermer délibérément les yeux sur elle, c’est rompre résolument avec la tradition émancipatrice du marxisme, qui soutient résolument, à côté de la principale lutte de classe sociale du prolétariat, tous les autres vecteurs et pratiques libératrices qui l’accompagnent, y compris la lutte de libération nationale des peuples.
C’est assez évident pour nous – dans quel camp politique se sont retrouvés les sectaires pseudo-trotskystes et les provocateurs rashistes du CIQI. Peu importe à quel point ces gens essaient de revêtir le masque des trotskystes, leur stalinisme non déguisé et leur soutien ouvert au chauvinisme russe de grande puissance de Poutine et Cie les trahissent complètement et arrachent le masque du « trotskysme ».
Comme nous l’avons déjà montré ci-dessus, faisant écho à Poutine, les auteurs du matériel du CIQI accusent Oleg Vernyk et l’ISL en général de soutenir le nationalisme ukrainien. Nous comprenons parfaitement que ces provocateurs pro-Poutine soient prêts à lancer de telles accusations contre tous les marxistes qui soutiennent la résistance populaire du peuple ukrainien à l’agression impérialiste russe. Cependant, la question de la relation du marxisme révolutionnaire à toutes les formes et manifestations d’un phénomène tel que le « nationalisme » est très importante ici. Cette question semble particulièrement importante et pertinente dans les pays qui se sont, relativement récemment libérés, de la dépendance nationale et ont acquis leur statut d’État à part entière (Irlande, pays de l’ex-URSS en raison de la restauration du capitalisme et de l’effondrement de l’État unifié, etc.), ainsi que dans les régions du monde où les processus nationaux – la lutte de libération des peuples – se poursuivent (Palestine, Catalogne, Sahara occidental, Pays basque, etc.).
Permettez-moi de vous rappeler que dans son texte de 1922 3Sur la question des nationalités ou de l »autonomie », V.I. Lénine écrivait : « une formulation abstraite de la question du nationalisme en général ne sert à rien. Il faut distinguer entre le nationalisme de la nation oppressante et le nationalisme de la nation opprimée, le nationalisme d’une grande nation et le nationalisme d’une petite nation. En ce qui concerne le deuxième nationalisme, presque toujours dans la pratique historique, nous, les ressortissants d’une grande nation, sommes coupables d’une violence infinie. »
Dans le même texte : « rien ne retarde autant le développement et le renforcement de la solidarité de classe prolétarienne que l’injustice nationale, et les nationaux ne sont plus sensibles à rien qu’au sentiment d’égalité et à la violation de cette égalité ».
Évidemment, tout nationalisme contredit l’internationalisme prolétarien et tout nationalisme est une limitation dans le développement du processus révolutionnaire mondial. Cependant, Lénine suggère à juste titre que nous distinguions différents types de « nationalisme » dans notre analyse marxiste. Et si le nationalisme des nations impériales ou oppressives est toujours et partout réactionnaire et anti-ouvrier, alors le « nationalisme » des peuples luttant pour leur libération nationale, bien qu’il ne coïncide pas avec notre vision marxiste de l’internationalisme prolétarien, mérite au moins une compréhension de ses causes et de la logique de son développement.
.
Il convient de noter clairement ici que ce sont Staline et sa politique de grande puissance en Ukraine soviétique qui ont conduit au triomphe du nationalisme ukrainien de droite en Ukraine occidentale dans la seconde moitié des années 1930. Dans les années 1920, le parti ukrainien le plus populaire dans cette région était le Parti communiste d’Ukraine occidentale. C’est lui qui était perçu par les travailleurs ukrainiens comme l’avant-garde de leur lutte de libération nationale contre l’oppression polonaise. À la fin des années 1930, ce parti a été presque complètement détruit par les staliniens. Un proverbe populaire dit « un lieu saint n’est jamais vide ». Qui a comblé ce vide dans le paysage politique de l’ouest de l’Ukraine après ce crime du stalinisme ? Il est clair que c’est l’organisation radicale de droite des nationalistes ukrainiens (OUN). Les auteurs du CIQI connaissent-ils les véritables raisons de cette transformation des attitudes et du soutien politique aux forces de droite de la part de la population de l’Ukraine occidentale dans les années 1930 ? Bien sûr, ils savent. Mais ils préfèrent ignorer ces faits évidents dans leur attaque rejoignant l’obscurantisme stalinien et se mettant au service du régime de Poutine.
Comme je l’ai écrit ci-dessus, dans l’histoire de cette formation de droite de l’OUN, à son tour, il y a eu de nombreuses transformations, scissions, changements radicaux dans les documents de programme, ‘polissages’ conditionnels, ‘corrections’, coopération avec Hitler et la guerre ultérieure sur deux fronts et autre et autre cuisine politique. Y compris le lancement et la création de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA) en 1943 et l’infusion massive de communistes ukrainiens occidentaux dans celle-ci, qui, miraculeusement, n’avaient finalement pas tous été tués par le régime stalinien en 1939. Tout cela fait également partie de l’histoire de l’Ukraine. En règle générale, c’est extrêmement difficile à analyser, extrêmement contradictoire, extrêmement ambigu. Mais, en tout cas, cela ne devrait pas apparaître comme une sorte d’horreur anti-ukrainienne universelle entre les mains des provocateurs staliniens et des partisans impérialistes de Poutine de la secte du CIQI.
Je suis convaincu que dans mon article, je n’ai abordé qu’une petite partie des questions ukrainiennes historiques qui nous concernent. Mais ce matériel peut constituer un excellent point de départ pour le développement et l’approfondissement des études marxistes sur les questions ukrainiennes et l’histoire du développement du marxisme ukrainien et son rôle dans la lutte de libération nationale des travailleurs ukrainiens pour leur libération sociale et nationale.
Oleg VERNYK
juin 2022
Notes
Le site de l’USL est accessible ici : https://ukrsoc.org/
On peut lire aussi une analyse d’un des principaux dirigeants de la LSI sur le conflit en Ukraine ici : Une contribution sur la guerre et les débats dans la gauche
Bonjour ami Aplusoc. Je m’appelle Rubén, j’habite à Barcelone, en Espagne. Je vous contacte pour vous remercier d’avoir publié la note de réponse d’Oleg Vernyk d’Ukraine aux calomnies portées contre lui. Aussi pour avoir publié le lien vers la note « Une contribution sur la guerre et les débats à gauche » d’Alejandro Bodart, leader de la Ligue socialiste internationale (LIS). Il reste à votre disposition pour toute information dont vous pourriez avoir besoin. Salutations.
J’aimeJ’aime