Présentation
Nous publions cette traduction d’une interview d’un militant du parti « Un Monde juste » de Belarus car nous a semblé intéressante et matière à discussion.
Interview
Pavel Katarzheuski du parti « Fair World » (Un Monde juste) au Bélarus s’est entretenu avec Pete Radcliff de Solidarity .
Pete Radcliff : Pouvez-vous nous parler des campagnes et des organisations avec lesquelles vous travaillez ? (Fair World, etc.)
Pavel Katarzheuski : Je suis membre du Comité central du Parti de gauche bélarusse « Fair World ». C’est le plus ancien parti de gauche au Bélarus. Il a été fondé en 1991 sous le nom de «Parti des communistes du Bélarus» en tant que successeur de la Section bélarusse du Parti communiste de l’Union soviétique. En 2009, le parti a changé son nom en Parti de gauche « Fair World » afin d’éviter toute confusion avec le second parti communiste, qui est une scission de notre parti en 1996 et soutient Loukachenko.
Depuis l’arrivée au pouvoir de Loukachenko, notre parti est dans l’opposition de principe et estime que Loukachenko n’a pas organisé en 1996 un « référendum sur les amendements à la Constitution » comme lui-même l’appelle, mais en fait un coup d’état, qui a été accompagné de la destruction d’un parlement démocratiquement élu, avec un fort groupe communiste.
Le programme minimum de notre parti est la démocratisation du système politique et le démantèlement de la dictature, le programme maximum est le socialisme. Cependant, j’essaie de promouvoir l’idée d’adopter un programme de transition. En ce moment, j’ai remporté des succès sur cette orientation et maintenant le parti met non seulement en avant des slogans démocratiques, mais aussi demande l’abolition de la législation anti-ouvrière, la création d’une échelle d’imposition progressive et la réduction de la journée de travail.
Je suis également en ce moment, l’un des dirigeants de l’organisation de jeunesse du parti. Notre organisation de jeunesse travaille activement dans le mouvement étudiant et syndical et organise des projets éducatifs. Comme cela arrive souvent, nous sommes un peu plus radicaux que nos camarades plus âgés et considérons que notre objectif est de pousser le parti encore plus à gauche qu’il ne l’est maintenant.
PR : Les syndicats sont reconnus, même par le Conseil de coordination comme une force clé qui pourrait faire tomber Loukachenko, mais l’appel de Tikhanovskaya à une grève nationale a eu un impact limité. Comment faire de la lutte en Biélorussie une lutte forte et explicitement ouvrière ?
PK : Les travailleurs ont besoin aujourd’hui d’un comité national de grève. En août, des tentatives ont été faites pour former un organe de ce type, mais elles ont échoué. Il est évident que le conseil de coordination ne représente personne d’autre que lui-même et constitue, à mon avis, plutôt un frein à la lutte des travailleurs contre la dictature.
Aujourd’hui, les gens continuent de se joindre aux grèves, et je tiens à noter que les travailleurs ajoutent aux revendications démocratiques générales une demande d’augmentation des salaires. Et c’est un bon indicateur. Bien que cela ne soit pas suffisant.
Il existe, bien entendu, des conditions objectives qui entravent la lutte ouvrière et le mouvement de grève. Désormais, dans les usines et dans tout le pays, un régime policier a été effectivement mis en place, les travailleurs font face à des poursuites pénales pour participation à des grèves, les partis de gauche et les syndicats indépendants ont été évincés de l’espace public pendant 26 longues années.
PR : Certains voient les militants de la grève nationale comme le noyau d’une opposition de la classe ouvrière. Pourtant, ils sont exclus des usines et des lieux de travail. Où et comment les travailleurs pourraient-ils s’organiser et débattre de leur stratégie et de leurs objectifs indépendants ?
PK : Les grévistes militants travaillent dans la bonne direction puisqu’ils ont commencé à quitter le syndicat pro-étatique [NDR : adhérent à la FSM] qui protège les hauts-fonctionnaires et les employeurs et qui est un outil pour contrôler la classe ouvrière. En outre, pour la première fois depuis les années 90, le nombre des adhérents des syndicats indépendants a augmenté.
Le problème c’est qu’au même moment le régime s’est fascisé et a lancé une contre-offensive. Aujourd’hui, à Minsk, des « zones spécialement protégées » ont même été créées, où la présence de la police et des services communaux est renforcée. Ces zones sont, selon les responsables de la ville, «les plus sensibles aux effets destructeurs de la protestation».
Par conséquent, au Bélarus, il n’existe pas actuellement de lieux permettant l’expression du militantisme politique et il n’existe pas de comportement pratique pour éviter la répression. L’exemple de Roman Bondarenko, qui n’a pas participé à la manifestation et n’a pas porté de drapeau, est ici très révélateur. Il a juste posé quelques questions à la police et a été tué. Il n’a même pas résisté lorsqu’il a été battu. Autrement dit, désormais même marcher dans les rues est terrifiant.
Je pense que les travailleurs pourraient maintenant se coordonner par le biais de syndicats indépendants et profiter des possibilités dont disposent ces grévistes militants qui ont quitté le pays pour des raisons de sécurité. Je ne veux pas que l’analogie paraisse grotesque, mais l’expérience des bolcheviks montre que l’émigration peut faciliter les processus de protestation à l’intérieur du pays. L’essentiel est de maintenir une position indépendante et de ne pas tomber sous l’influence de forces qui peuvent imposer des conditions inacceptables au mouvement ouvrier en échange d’un soutien.
PR : Que pensez-vous de l’agitation politique parmi les étudiants? Leurs attentes à l’égard d’un futur Bélarus vont-elles au-delà des attentes limitées de l’opposition officielle ?
PK : Des syndicats indépendants ont maintenant été constitués dans de nombreuses universités et je suis heureux de constater que certains membres de notre organisation de jeunesse y occupent des postes de direction. La majorité des étudiants sont libéraux, mais je dirais que c’est du libéralisme spontané et non une position politique. Ils connaissent bien nos propositions, notamment l’obligation d’indexer les bourses et la nécessité d’élire démocratiquement des représentants de l’administration (actuellement nommés « par en haut »).
PR : Le Bélarus vit depuis longtemps dans l’ombre d’un «socialisme d’état » tyrannique –imposé au nom de Marx et de Lénine. Quels obstacles cela présente-t-il pour transmettre les idées marxistes révolutionnaires aujourd’hui ?
PK : Malheureusement, il existe un certain nombre d’organisations staliniennes au Bélarus qui soutiennent Loukachenko et utilisent les emblèmes communistes lors de rassemblements de soutien à la dictature.
En 1996, l’administration présidentielle a créé une scission dans notre parti, à la suite de laquelle certains membres ont quitté notre parti et ont créé leur propre « Parti communiste du Belarus ». Ce parti est composé de fonctionnaires, de directeurs d’entreprises et de la petite et moyenne bureaucratie. Ce parti a accès aux principaux médias d’État et au soutien de l’État. Bien sûr, le fait même de leur existence discrédite fortement le mouvement communiste et socialiste.
Il est à noter que même les staliniens « révolutionnaires » qui sont pilotés par le Parti communiste grec, ou d’autres forces « antirévisionnistes », au moment critique où la révolution a commencé, ont soutenu Loukachenko, bien qu’ils l’aient critiqué auparavant. En fait, le stalinisme a une fois de plus montré son essence contre-révolutionnaire et anticommuniste.
La situation est compliquée par le fait que Loukachenko utilisait souvent la rhétorique de la « nostalgie soviétique » et critiquait l’impérialisme occidental. Cependant, il est impossible de prétendre qu’il n’y a qu’un seul impérialisme dans le monde. Critiquant les impérialistes occidentaux, il flirtait et recevait de l’argent des impérialismes de l’est, et il est évident que sa « rhétorique anti-impérialiste » n’est que du populisme et un désir de plaire à une autre engeance, juste de l’autre côté. Nous essayons également de rappeler que dans les années 1990, Loukachenko a bâti sa carrière politique sur l’anticommunisme et le populisme de droite. Le fait que les emblèmes d’État du Belarus soient similaires à ceux des Soviétiques et que des monuments à Lénine existent toujours dans les villes, ne signifie pas que le socialisme existe au Bélarus.
Nous pouvons dire que notre parti et d’autres indépendants de gauche sont pris entre deux feux. Et, bien sûr, nous sommes obligés d’exposer le caractère anti-ouvrier et anti-populaire de la dictature.
PR : Malgré toute sa brutalité, pour beaucoup Loukachenko semble fini. Mais personne ne peut actuellement voir qui ou quoi pourrait le remplacer. Pour quoi les socialistes bélarusses devraient-ils se battre?
PK : Peu importe à quel point Loukachenko est barbare, il est vraiment clair qu’il est maintenant assis sur des baïonnettes. Et comme vous le savez, vous ne pouvez pas vous asseoir dessus pendant longtemps. Toute cette brutalité montre que la dictature est plus faible que jamais. Si le régime s’effondre, nous devons utiliser l’expérience de la lutte que nous avons acquise au cours de ces mois, mobiliser nos soutiens et désigner notre candidat avec un programme socialiste dans l’intérêt de 99% des gens. Bien que, évidemment, nous espérons que la forme présidentielle de gouvernement sera éliminée, notre parti a toujours défendu la transition vers une république parlementaire.
Mais, néanmoins, nous devons profiter de chaque occasion pour promouvoir le programme socialiste. A vrai dire, je ne me fais aucune illusion sur le fait que la démocratisation se réalisera sur le long terme. Mais dans tous les cas, nous aurons des possibilités de succès beaucoup plus larges qu’aujourd’hui.
Déjà, notre parti réclame l’abrogation de toutes les mesures anti-ouvrières, la restauration des garanties sociales détruites par le régime ; les garanties de liberté pour les syndicats indépendants et les organisations étudiantes ; l’introduction d’un barème progressif d’imposition, la réduction de la journée de travail. Si nous parlons d’exigences politiques, alors, sans aucun doute, nous revendiquons la liberté pour tous les prisonniers politiques, l’élimination de la république présidentielle, l’assignation en justice de tous ceux qui ont mutilé, tué et jeté des manifestants en prison.
Je formulerais notre mot d’ordre ainsi : « La dictature doit faire place à la démocratie ouvrière ».
Source : https://workersliberty.org/story/2020-11-24/one-should-not-pretend-there-only-one-imperialism