Depuis la description des grèves générales par Rosa Luxembourg, on sait qu’un des caractères de la grève de masse est d’apparaître à la fois comme « la lutte syndicale en bonne et due forme » et comme « un éparpillement en une infinité de grèves locales, parcellaires, économiques, dans diverses régions, villes, professions, usines ». Dans la fresque immense qu’elle dessine de la bataille générale du travail contre le capital, elle montre que l’agitation gagne alors non seulement les couches du sousprolétariat mais aussi les professions libérales, les comédiens les artistes etc. 

C’est, spectaculairement, à cette extension des secteurs en lutte que nous assistons. Les avocats jettent leurs robes devant la ministre de la justice, le 24 décembre les grévistes dansent le Lac des cygnes sur le parvis de l’Opéra, trois semaines plus tard leurs camarades musiciens entourés de tous les corps de métiers de l’Opéra en grève donnaient au Carmen de Bizet le soin d’orchestrer leur lutte contre la réforme des retraites. Depuis le 5 décembre, dans les ateliers, les médiathèques, les musées, les théâtres, les travailleurs de la culture discutent, s’organisent, manifestent pour exprimer leur refus de la réforme du gouvernement.

Le 47ème Festival international de la bande dessinée s’ouvrait à Angoulême le 29 janvier 2020, année que le ministre de la culture avait annoncée comme celle de la Bande dessinée. Les auteurs avaient prévenu dès l’annonce ministérielle : « Pas d’opération « BD2020 » sans revalorisation de la situation sociale des dessinateurs, scénaristes, coloristes… » Le gouvernement était prêt à leur apporter sa réponse habituelle en déployant 2000 FDO autour du centre ville. Les auteurs invités par Macron, piégèrent le président spécialiste du déni des violences policières, en le présentant aux photographes en train de déployer le tee-shirt du chat éborgné « LBD2020 ». Comme partout les revendications économiques sur le statut d’une profession ne s’expriment pas sans que la barbare répression des brigades de Macron soit dénoncée et combattue. Tollé dans les organisations « syndicales » des FDO.

Peu après, le ministre Riester qui venait de sortir quelques jours auparavant le rapport Racine sur la situation matérielle catastrophique des auteurs dont il est alerté de longue date par les auteurs et leurs organisations sans avoir rien entrepris d’autre que de commander un rapport, fut empêché de prendre la parole par des milliers de manifestants (Gilets Jaunes, CGT, FSU) rassemblés sur la place de l’hôtel de ville, parmi lesquels de nombreux auteurs. Comme Macron fut interdit de tour de ville jusqu’à la tombée de la nuit. Le 31 janvier, c’est un cortège de 1500 manifestants précédé des nombreux auteurs qui avaient répondu à l’appel de « poser les crayons » qui se dirigeait vers la place Hergé au cri de « des BD, pas des LBD ».

La clôture du festival et sa remise de prix fût l’occasion le 1er février pour les auteurs et les autrices de réaffirmer leur conscience de participer à une lutte beaucoup plus large. Sur scène lors de la remise du Prix Goscinny du scénario, les deux lauréats appellent les auteurs et autrices à venir sur scène pour manifester leur colère car « pas d’auteurs et d’autrices, pas de création ». « Tant que le milieu de la bande dessinée ne changera pas ses habitudes et se contentera d’afficher ses chiffres de vente, nous ne viendrons plus à Angoulême »« Certains auteurs sont payés – 4 000 euros pour réaliser 200 pages, soit deux ans de travail ont-ils déclaré, rappelant « que 53% des personnes ici vivent en dessous du SMIC, que 30% sont en dessous du seuil de pauvreté ». Et pour conclure, ils précisent : « que ce combat pour la reconnaissance d’auteurs de BD s’inscrit dans une lutte beaucoup plus large. C’est un problème d’inégalité entre les plus pauvres et les plus riches, …c’est un problème de la société toute entière c’est pourquoi nous sommes solidaires avec l’ensemble de toutes les professions qui se battent à l’instant même pour se faire entendre. » Sur scène une centaine d’auteurs les a rejoints « pour que l’année de la BD soit une année de lutte et de construction ».

09-02-2020.