Les organisateurs du meeting intitulé “Qui a peur de la lutte contre l’antisémitisme ? Pour une gauche réellement antiraciste” ont fait salle comble ce jeudi soir à Paris dans les locaux de la Bourse du Travail à République. Les organisateurs avaient visiblement sous-estimé l’écho enthousiaste que pouvait recevoir leur appel.

Outre les organisations appelantes, de nombreux représentants d’organisations du mouvement ouvrier ont pris la parole dont le secrétaire général de l’UD CGT Paris et le représentant de la commission anti-raciste du PCF. Ce dernier a fait une intervention remarquée en évoquant la nécessité de remettre « la classe avant la race », de rejeter le différentialisme et d’affirmer une perspective universaliste pour défendre l’égalité pour tous.

Ce meeting a été marqué par un ancrage dans le mouvement ouvrier, dans la gauche notamment par l’affirmation d’un positionnement anti-capitaliste de la part des orateurs des JJR et de Golem, ovationnés par la salle, dans une vision alliant le combat contre l’antisémitisme et la condamnation du sort fait au peuple palestinien dans l’enfer de Gaza et face aux menées annexionnistes des colons en Cisjordanie.

Le meeting a débuté par la présentation des trois organisations : les JJR (Juives et Juifs Révolutionnaires) ont le privilège de l’ancienneté en étant nés en 2015 dans le contexte de l’assassinat d’Ilan Alimi, des meurtres perpétrés à l’école Ozar-Hatorah de Toulouse, puis de l’attentat de l’Hyper-Cacher de la Porte de Vincennes en 2015 ; le RAAR s’est formé en 2021 ; le collectif Golem a fait son apparition à l’occasion de la marche contre l’antisémitisme du 12 novembre dernier où il s’était fixé l’objectif de virer les fascistes du RN relookés en pourfendeurs de l’antisémitisme par la grâce de l’admission dans l’arc républicain de Macron et Braun-Pivet.

D’ailleurs, cela a été un point obscur de cette soirée : dénoncer la prétention de l’extrême droite en France à récupérer le combat contre l’antisémitisme ne doit pas occulter la responsabilité du pouvoir en place dans la montée de l’antisémitisme.

Le pouvoir de Macron, comme ses prédécesseurs tous artisans de politiques antisociales depuis plusieurs décennies, pratique une politique discriminatoire contre les étrangers (réfugiés et migrants économiques) créant des déboutés du droit d’asile et des sans papiers à tour de bras, mais aussi contre les résidents issus de l’immigration qui subissent un racisme fortement illustré, entre autres, par les pratiques policières fondées sur le faciès. Ne pas pointer la responsabilité de Macron qui s’accorde le monopole de définir qui est antisémite (de préférence à gauche et parmi les soutiens de la Palestine) et qui ne l’est pas ( RN et Reconquête…) sous couvert d’« arc républicain », c’est affaiblir ses propres positions. Car tel était le but de Macron et Braun-Pivet le 12 novembre.

D’une façon générale, parmi les orateurs à la tribune comme parmi les intervenants dans la salle, peu sinon personne n’a souligné le rôle du système capitaliste dont le fonctionnement joue, à travers la fétichisation du capital, sur le plan idéologique un rôle primordial dans la perpétuation et le renouvellement de l’antisémitisme.

Pour ce qui apparaît comme le réveil d’une riposte tant attendue, cette faiblesse est excusable mais à l’avenir les courants engagés sincèrement dans la lutte contre l’antisémitisme ne pourront échapper à la nécessité de prendre en compte cet aspect central. Ce qui nécessite d’aller plus loin que le seul fait de se proclamer anticapitalistes.

Les orateurs ont aussi souligné la responsabilité de la gauche, de l’antisémitisme hérité de l’anti-judaïsme dans la gauche au 19ème-début du 20ème siècle (moment de l’affaire Dreyfus où la gauche a mis un certain temps avant de se réveiller face à l’injustice), de la place de l’antisémitisme en Union soviétique tout au long du règne du stalinisme triomphant.

Certes, on peut comprendre le choix des priorités exprimées ce soir là avec la dénonciation de l’instrumentalisation de l’antisémitisme par des forces réactionnaires, héritiers de Vichy compris, ou par le gouvernement israélien massacreur de masse à Gaza, comme avec le rôle joué par une partie de la gauche dans la montée de l’antisémitisme.

La place de certains courants de l’extrême gauche dans l’indifférence sinon la complicité face à la résurgence du phénomène a aussi été critiquée par nombre d’intervenants.

Le sentiment de solitude, l’angoisse, l’incompréhension ressenties par nombre de Juifs le 7 octobre face aux crimes du Hamas fondent le besoin de réaction collective, heureusement exprimée dans ce meeting. En proclamant avec force leur enracinement à gauche, leur volonté de combattre tous les racismes, leur condamnation des crimes commis contre la population de Gaza, leur soutien à ceux qui, comme Standing Together, luttent en Israël pour une paix juste et durable, pour le cessez-le-feu, contre l’extrême droite coloniale et le gouvernement de Netanyahou, les participants ont exprimé leur besoin de dire d’où ils parlaient et ce qu’ils visaient.

Il est évident que ce meeting était la réplique de celui tenu le 30 mars dernier intitulé « meeting juif international » sous l’égide de Tsedek et de l’UJFP. Cet événement avait suscité débat au sein de notre rédaction.

Après les introductions des organisateur, les interventions de la salle ont été nombreuses et variées. Hélas, le temps perdu à la mise en place du meeting du fait des contingences sécuritaires n’a pas pu être rattrapé. La longue queue des intervenants derrière les deux micros disponibles dans la salle montrait le besoin de débattre de nombreux sujets. Il faudra d’autres occasions pour permettre à cette soif de débats de s’épancher. Seule Rachel Garrido, personnalité LFI bien connue, a suscité une réaction outragée d’une partie de l’assistance quand elle a souhaité s’exprimer. Après un trouble d’un quart d’heure, entre partisans et adversaires d’une censure à l’égard des militants LFI, le meeting a pu reprendre.

Un moment poignant de la réunion a été le témoignage d’un des jeunes de Golem pris à partie lors d’une table ronde organisée le 21 mai par l’université de Lille où les partisans proclamés de la Palestine ont incriminé les gens de Golem pour les crimes de l’armée et du gouvernement israéliens. Cet événement survient après d’autres incidents comme l’expulsion d’une étudiante juive à Science Po, dénoncée comme suppôt de l’État israélien parce que juive.

Dénoncer les tropes antisémites cultivés à grande échelle médiatique par le tandem Soral – Dieudonné dans les années 2010, tolérés par certains au sein du mouvement ouvrier, revigorés par le drame de Gaza d’aujourd’hui, nourris par le choix de certains d’incriminer tous les Juifs pour les méfaits de l’État et des colons israéliens, est une des taches cruciales du moment. Combattre cet anti-capitalisme des imbéciles doit se combiner avec le rejet de l’anti-impérialisme des idiots utiles au service des puissances aspirantes au repartage du monde.

La tache est immense, mais le cœur et le nombre sont là pour relever le défi.

OD, 24/05/2024.