Nous publions ci-dessous une note sur les résultats des élections professionnelles au « Comités Sociaux d’administration » et au CAP (Commissions Administratives Paritaires) , de provenance syndicale. Cette note est factuelle et ne tire pas de conclusions politiques générales, mais donne beaucoup d’éléments d’analyse. – La rédaction.

Remarques générales.

Les élections professionnelles dans la Fonction publique en France sont de ces évènements importants qui sont à peu près totalement absents des médias et semblent quasi clandestins, alors qu’ils concernent des centaines de milliers de salariés, dont la totalité des fonctionnaires et beaucoup de non titulaires, et à travers eux et l’enjeu des services publics, la totalité de la population et du pays.

Sous le premier quinquennat Macron, la loi Dussopt d’août 2019, dite de « transformation de la fonction publique », a modifié de manière décisive la représentation des corps, en fusionnant massivement ceux-ci dans des commissions administratives paritaires communes, en supprimant certains CAP nationales ne gardant que des régionales, et en altérant de façon non moins décisive le pouvoir des représentants élus des personnels, qui n’ont plus d’attributions directes concernant les carrières et les affectations, ce qui constitue une régression radicale vers une gestion bureaucratique et clientéliste que le statut de 1946 (et sa transposition dans la fonction publique territoriale par la loi Le Pors de 1983) avait stoppée. En outre, elle fait des CHSCT (Comités d’Hygiène et de Sécurité et des Conditions de Travail) de simples sous-commissions des CSA (Comités Sociaux d’Administration).

Le vote informatique, instauré pour mettre fin au vote sur le lieu de travail, avec ses « prestataires » privés, ses complexités kafkaïennes et ses dysfonctionnements quasi obligatoires, et les nombreuses « négligences » des bureaucraties ministérielles, donne lieu à autant d’entreprises de dissuasion contre le vote. Le pompon a été atteint dans les DDI, les Directions Départementales Interministérielles : là ce sont les préfets sous l’égide du ministre de l’Intérieur Darmanin qui étaient en charge de l’organisation du vote, et ce fut la gabegie absolue, aboutissant à une annulation en dernière minute du vote électronique et à un vote par urnes en catastrophe.

A l’exception du secteur très particulier de la police – ici, 77% de participation et 49,45% des voix au « bloc » formé autour de l’officine factieuse Alliance, rallié notamment par l’UNSA -, l’intérêt du pouvoir était de minimiser la participation.

Les résultats.

La participation totale passe de 49,8% en 2018 (où elle était pour la première fois passée sous les 50%) à 43,7% : de 50,8% à 44,9% dans la Fonction publique d’État, de 51,8% à 45,6% dans la Territoriale, de 44,2% à 37,8% dans l’Hospitalière. Cela fait 2 234 999 votants, avec 4,8% de bulletins blancs ou nuls.

Globalement il y a recul de la CGT de 21,9% à 20,8%, de la CFDT de 19% à 18,5%, de Solidaires de 6,3% à 5,7%, de la FA-FP de 3,5% à 3,1%, de la CFTC de 2,9% à 2,7%, et progression de FO de 18,1% à 18,7% – passant donc devant la CFDT-, de l’UNSA de 11,1% à 11,7%, de la FSU de 8,6% à 9,2%, de la CGC de 3,4% à 3,9%.

La répartition résultante en sièges dans les Conseils supérieurs des trois fonctions publiques marque bien les différences traditionnelles entre elles :

  • dans la Fonction publique d’Etat comme précédemment FO, la FSU et l’UNSA ont chacune 4 sièges, la CFDT et la CGT 3 chacune, Solidaires et la CGC 1 chacune ;
  • dans la Territoriale, la CGT a 7 sièges, la CFDT 5, FO 4, l’UNSA et la FA-FP 2 chacune, Solidaires perd son siège et la FSU en gagne 1 ;
  • dans l’Hospitalière (où la FSU est absente), la CGT reste à 7 sièges, FO qui a ici le plus progressé, de 24,7% à 26,6%, passe de 5 à 6 sièges, la CFDT reste à 5, Solidaires passe de 2 à 1, et l’UNSA en garde 1.

Il n’y a pas de bouleversement global mais l’effritement relatif et la déception par rapport aux ambitions affichées dans la CGT d’une part (où il s’ajoute au tassement dans le dernier scrutin SNCF), dans la CFDT d’autre part, ainsi que dans Solidaires, vont inévitablement poser des questions, surtout dans la CGT, concernée aussi par les élections à la SNCF tenue juste avant, et depuis lesquelles s’est produit le mouvement autonome des contrôleurs : la participation est passée de 66,7% en 2018 à 65,56%. La CGT passe de 34.04% à 32,44% (44% en 2004), l’UNSA de 24% à 22,1%, SUD-Rail de 17,27% à 18, 67%, la CFDT-cheminots de 14, 3 % à 15,94%, FO de 7,63% à 7,79%, la CGC de 4,94% à 4,07%.

La participation.

Revenons maintenant sur le recul de la participation dans la fonction publique. Il a quatre causes :

1°) le sabotage latent du vote via son informatisation, sa non-médiatisation, etc. : cette baisse était voulue par le pouvoir ;

2°) la « baisse de légitimité des organisations syndicales », comme disent médias et sociologues – nous dirons plutôt la distanciation entre les mouvements sociaux et revendicatifs réels et les directions syndicales, qui a franchi un seuil historique lors des Gilets jaunes en 2018-2019 et que le succès de la grève lancée par un collectif Facebook de contrôleurs SNCF vient encore de souligner ;

3°) un facteur oublié des analystes est la loi de « transformation de la fonction publique » qui a rendu le vote opaque à certains corps de métiers habitués jusque-là à voter pour « leur » syndicat dans « leur » CAP ;

4°) la précarisation croissante de la fonction publique avec le recours à des personnels non titulaires, peu habitués à voter aux élections professionnelles à la différence des fonctionnaires, et nullement aidés par leurs employeurs, bien entendu, comme par certains syndicats.

En fait, ces facteurs cumulés auraient pu entrainer une chute de la participation beaucoup plus importante que celle que l’on constate.

Il n’est pas question de nier l’importance du point n°2, notamment, dans l’énumération ci-dessus, mais il est également important de comprendre que ce scrutin fait ressortir la résistance du syndicalisme traditionnel de corps dans la Fonction publique. Les syndicats les plus menacés par la conjonction des quatre facteurs poussant à la non-participation et à la dislocation sont en effet les syndicats nationaux typiques de la Fonction publique en France, historiquement issus du syndicalisme confédéré d’avant le statut de 1946, mais avec de fortes spécificités (notamment la force de l’organisation en syndicats nationaux) : la plus grande partie des fédérations CGT et FO dans l’Hospitalière, la Territoriale ou la Fonction publique d’Etat hors enseignement public, la totalité de la FSU dans la Fonction publique d’Etat, et dans Solidaires les syndicats nationaux antérieurs à l’existence de Solidaires elle-même, comme le SNUI (Impôts) ainsi que des syndicats tels que le SNUPFEN (Office National des Forêts).

Le cas de la FSU.

A l’Éducation nationale, le taux de participation, qui avait remonté de 41,73% en 2014 à 42,64% en 2018, baisse à 39,8% en 2018. La FSU passe de 143 743 voix, 34,91%, en 2018, à 137 580 voix, 34,05%, en 2022 ; autrement dit elle subit la baisse de la participation, mais dans une proportion moindre que celle-ci, le recul provenant pour moitié du SNUIPP, avec une progression prononcée dans la CAP fusionnée des infirmières et assistantes sociales. Par ailleurs, UNSA et CFDT reculent nettement, FO, CGT, SUD et SNALC progressent tous un peu. Nul doute que le tout traduit l’hostilité croissante des personnels de l’Education nationale à la politique gouvernementale (il y a de quoi !).

Dans l’Enseignement supérieur, on a le pire taux de participation de la fonction publique, ce qui n’est pas un mince problème : 19,21 % (contre 30,5% en 2018) ! La FSU, principalement le SNESUP-FSU, fait une remontée de 13,1% à 17,7% et gagne un siège au CSA ministériel.

Dans l’Enseignement agricole, la comparaison avec 2018 est compliquée à cause de l’extension du champ du CTA, de la cata informatique, et de l’unité réalisée entre deux syndicats de la FSU, le SNETAP et le SNUITAM, la CGT-Agri et SUD-Rural, mais cette liste commune ne récupère pas le total des voix qu’elle faisait en 2018 et baisse en pourcentage, tout en ayant la première place.

A Jeunesse et Sports, le passage à la liste CGT des dirigeants du petit syndicat FSU EPA n’a guère modifié les résultats (UNSA, qui s’identifie souvent ici à la hiérarchie, 45%, FSU 12, CGT 9).  

A la Protection Judiciaire de la Jeunesse, le SNPES-PJJ-FSU connait un recul de 39,9% à 29,14% au CSA de la PJJ, qui demande une analyse spécifique, comme le dit le syndicat. A la Protection Judiciaire de la Jeunesse, la fusion des corps au niveau ministériel a noyé les éducateurs et produit un isolement et un recul du SNPES-PJJ-FSU, de 39% à 29%.

Dans la Territoriale (SNUTER-FSU et, sur Paris, SUPAP-FSU rejoint par des délégués chassés de la CGT), la FSU fait une petite percée et obtient le siège souhaité au CSFPT, au détriment de SUD.

Au regard des enjeux généraux concernant le syndicalisme, on peut parler d’une bonne tenue relative de la FSU dans ce scrutin, qui s’est jouée surtout dans l’enseignement public, où la fusion des CAP second degré était une attaque directe contre la visibilité de ses syndicats de métiers, et surtout dans le second degré autour du SNES-FSU, non sans souligner des faiblesses dans divers secteurs. Mais la FSU sort « indemne » de ces élections, ce qui n’était pas gagné d’avance.

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Un mot de conclusion : les débats sur l’avenir du syndicalisme et les relations entre CGT, FSU et Solidaires – sans oublier FO ! – vont reprendre une place importante.