Merci à Robert d’avoir repris un certain nombre de faits, les uns connus, d’autres moins, qui aident à établir que la crise qui est ouverte dans LFI depuis le 10 décembre dernier n’est pas une crise « comme les autres » ainsi que le voudraient nombre de commentateurs, précisément parce qu’elle charrie beaucoup de contradictions anciennes et accumulées, les portant en somme à un nouveau stade.
Il me semble utile d’ajouter à cette série de faits celui qui a été le plus médiatique ces derniers mois, mais qui n’en est pas moins important pour autant : l’« affaire Quatennens » ou le « problème Quatennens ».
Adrien Quatennens aurait été, dit-on, à la place de proconsul (ou si vous préférez de dauphin !) qu’occupe à présent Manuel Bompart, n’était le « problème » : un litige juridique l’opposant à son ex-épouse, qu’il a reconnu avoir giflée, et une condamnation pour des faits de harcèlement.
Et deux mois auparavant Éric Coquerel faisait l’objet d’une ouverture d’enquête, laquelle n’a pas tranché à ce jour, pour harcèlement sexuel et agression sexuelle.
Sans se lancer dans la moindre interprétation concernant la vie privée des uns et des autres, il devrait être évident, et décisif, pour tout partisan conséquent de la démocratie et de l’émancipation féminine, que dans un mouvement construit sur le principe du verticalisme bonapartiste, on a une camarilla de petits chefs qui entourent le grand chef, et les mœurs y sont celles de l’obéissance et de la bureaucratie mouvementiste (c’est-à-dire de la bureaucratie affranchie de normes démocratiques), et il est donc inévitable que des faits relevant de la domination masculine s’y produisent (le rôle joué par une structure interne à l’appareil politique de LFI – sa « cellule VSS », Violences Sexuelles et Sexiste – ainsi que les déclarations de Sandrine Rousseau, dirigeante EELV, entendant se distinguer politiquement par son féminisme, ont plutôt masqué que souligné cet aspect-clef).
La relation organique entre appareil politique vertical et domination masculine est amplement soulignée par les réactions de défense, de justification, de victimisation, de cet aréopage et de son chef Jean-Luc Mélenchon, qui n’est en rien le paratonnerre qu’il prétend, mais plutôt celui qui lance la foudre mais se la prend désormais en boomerang à chaque coup de tonnerre !
Quoi que l’on pense de la justice de l’État bourgeois, elle est aujourd’hui plus fiable, ou moins dangereuse, pour établir des atteintes au droit, aux personnes, et singulièrement au droit et aux personnes des femmes, que ce type d’appareil politique « cellule VSS » incluse. Dire cela n’est pas faire l’éloge de la justice bourgeoise, c’est faire la critique assassine et méritée du dit appareil.
Là-dessus survient le putsch du 10 décembre, qui, comme le dit le Monde cité par Robert, est un évènement tout à fait banal dans les mœurs de la maison, mais devient une catastrophe insupportable dans le contexte du moment, ce à quoi son éminence « le paratonnerre » n’a visiblement rien compris.
Manuel Bompard a une pensée – si, si, la voici : « Le vote n’est pas forcément l’alpha et l’oméga de la démocratie » !
Conçu pour tuer dans l’œuf les courants qui se dessinaient – autour d’Autain d’une part et de Ruffin d’autre part- le putsch a le résultat inverse du but recherché : non seulement il fait pleinement exister ces deux courants, mais il accouche d’un troisième courant-malgré-lui, autour de Corbière !
Le POI est ici le gardien idéologique, le gardien bureaucratique, le gardien tout court, adoubé dans cette fonction par le chef. J’ai eu l’occasion de souligner son rôle clef dans la politique « russe » si sensible de celui-ci. Dans l’« affaire Quatennens », le POI est aux avant-postes d’une façon fascinante : il suscite une lettre ouverte à Sandrine Rousseau, pétitionne contre les abus du féminisme, élève des statues de saint martyr à Quatennens ! Grandiose : pas d’armes pour les Ukrainiens, des lauriers pour Adrien Quatennens, tels sont l’alpha et l’oméga de sa politique !
Le terreau sur lequel se déroule le tout, qui en fait l’importance, est le rôle d’obstacle politique de LFI dans la situation politique française, pour le mouvement propre du prolétariat. Et cela vient de loin. Ce qui était censé être le dépassement des vieux partis et de la vieille gauche en est à compléter les journées d’action par des manifestations « citoyennes » le week-end, couronnant une agitation parlementaire frénétique et vaine, dont le plus haut fait d’arme a concerné les corridas.
Comme le disent les Échos du 26 décembre, les « inquiétudes » ayant entouré l’accession d’Eric Coquerel à la présidence de la Commission des Finances de cette Assemblée nationale « se sont dissipées » : « six mois plus tard, l’ambiance feutrée de ce club de spécialistes des arcanes budgétaire n’a finalement pas été bouleversée ».
On est loin du « élisez moi premier ministre » et de « en avant vers la dissolution ». La réalité, c’est que si Macron dissolvait maintenant, le RN serait loin devant LFI sur fond d’abstention généralisée.
Cette réalité ne signifie pas que le fascisme rampe à nos portes, mais que l’explosion sociale et politique hante la situation.
Et c’est au fond ce spectre qui, par la médiation des « affaires » Quatennens, du putsch du 10 décembre, de ses suites et des prochains épisodes, conduit à l’apparition, qu’ils le veuillent ou non, de courants dans le « mouvement gazeux » où il ne devait jamais y avoir de courants : donc les courants doivent prendre sa place. Cet échec du populisme doit être salué : place aux courants, place à la politique, place au libre débat, place à la démocratie !
Un dernier mot : les camarades du NPA « majoritaire » ou le moins minoritaire, qui souhaitent « ouverture » et « unité » avec des secteurs « antilibéraux » de « la gauche », même s’ils n’ont pas bien compris le film, peuvent bénir Jupiter-au-paratonnerre d’avoir ouvert cette crise en voulant l’interdire, si leur intention est bien d’aller vers une issue politique contre Macron et pas en 2027.
VP, le 27/12/2022.
Annexe : pour ceux qui ne lisent pas IO toutes les semaines, le supplément d’Informations Ouvrières en défense de Quatennens
salut tertoustes !
comme dès le départ tu remercies Duguet sans même te démarquer de ce que j’estime être un dérapage innommable, cf. mon kon menteur précédent sur le cours passage Déhat et Pétain, et qu’au final tu sembles suggérer que la minorité majo du NPA ne voudrait pas en finir avec Micron avant deux mille perpètes, vraiment tu abuses !, – à moins que vu la syntaxe du texte cela pourrait s’adresser aux exclus de la FI et pas au NPA? pas clair les deux interprétations sont pot cible à mon sens, précise dans une réponse si j’ai mal pigé ou confirme mon sentiment ou clarifie ton texte, merci ! – et même si ton analyse est intéressante, une fois de plus totalement rédhibitoire pour moi de partager sur les rézos ou même de simplement approuver un tel texte!
deux textes de suite qui me désolent sur APLS mais bon pas dramatique non plus !!!
signé Pastèque !
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Je t’ai répondu sous l’article de Robert au sujet de son soi-disant « dérapage inommable », qui n’en est pas un, sauf à interdire, ce qui n’est sans doute pas ton intention, la liberté de discuter le contenu social et politique du « populisme »‘ en procédant, comme on ne saurait faire autrement, aux rappels historiques indispensables (la même chose m’est arrivée en 2017 : j’avais longuement critiqué la référence de Mélenchon à Mouffe et Laclau, et remarqué qu’un point central des constructions idéologiques de ces derniers, la notion de « construction du peuple » par la distinction « amis-ennemis », venait – explicitement de leur part- de Carl Schmitt, qui se trouve avoir été le principal théoricien nazi du droit. Que n’avais-je pas écrit ! Mais c’est cette manière de diaboliser la critique politique et historique qui constitue en réalité un procédé d’amalgame inacceptable !).
Encore une fois, ce type de réaction relève d’une vieille culture gauchiste pour laquelle la démocratie, ce n’est pas si important, et qui classe éternellement dans la catégorie « réformiste de gauche » la tentative de monter un « mouvement gazeux » sur le principe « un Chef, un Peuple, un Mouvement ». Je vais t’énerver un peu plus, tertouze : avec un tel discernement, il y en a qui auraient pris Mussolini pour un « réformiste de gauche » jusqu’à ce que les matraques et l’huile de ricin soient de sortie fin 1920. Et attention, là, je n’ai pas pondu du « déguli » assimilant Mélenchon au Duce ! …
D’autre part, tu t’indignes qu’on puisse dire que la « majo » du NPA pourrait ne pas vouloir en finir avec Macron. En réalité, je dis en fin d’article que si elle veut vraiment s’en donner les moyens, elle devrait bénir le début d’implosion de la FI en courants. Ce n’est pas qu’elle n’ait pas envie d’en finir avec Macron, mais envisage-t-elle un mouvement social aboutissant à la question du pouvoir avant 2027 ? A ce jour non, et ce n’est pas nouveau.
On appuie où ça fait mal (enfin on essaye), seul moyen de ne pas tourner en rond mais de faire avancer le Schmilblick.
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Merci aux uns et aux autres pour le débat et les informations (en effet, je me suis désabonné de IO –c’était trop ennuyeux à lire– mais je savais pour leurs positions.
Je ne me sens pas légitime pour commenter, j’ai trop de désaccords avec plusieurs de vos positions. Je n’étais pas d’accord avec « le boycott » de la présidentielle. Je n’étais pas d’accord avec le soutien enthousiaste apporté à un groupement soi disant anti raciste et qui s’est avéré proche des officines sionistes (et avec votre dénonciation de l’UJFP à cette occasion).
Sur l’invasion de l’Ukraine par la Russie de Poutine, je suis sans doute d’accord avec la position actuelle du POI.
Je ne me sens pas légitime pour commenter, je le fais tout de même.
Tout d’abord, pour moi, le geste politique de Mélenchon à la fin de l’année 2008, et ses conséquences, puis l’agrégation autour de sa candidature en 2016 de ce qui s’est appelé « la france insoumise », et ses conséquences, visibles dans le « vote utile de 2022 », sont les phénomènes politiques les plus intéressants et importants pour le mouvement ouvrier français… depuis un siècle.
Depuis un siècle, oui, depuis le congrès de Tours. En France, rien de nouveau ? Si, la FI.
Peut-être a-t-on pu croire qu’il se passait quelque chose du côté de l’OCI entre 1965 et 1975 et avec des choses comme l’IRJ à Essen, mais en fin de compte cet espoir est mort avec Claude Chisserey.
Soit dit en passant, rattacher, comme le fait Robert, Mélenchon, voire Corbière, à une continuité politique avec l’OCI est absurde, dérisoire. Oui, ils y sont passé, mais n’y ont rien appris. Ils ont été formés par le PS, et Mitterrand.
Depuis juin, ou peut-être plutôt septembre 2017, je me suis publiquement prononcé sur deux critiques à l’action de JLM.
a) je m’étonnais qu’il ne tende pas la main à son rival Hamon, écrasé et désavoué par son camp. Je me scandalisais qu’il injurie Pierre Laurent, au lieu de le remercier platement (et même avec une dose d’hypocrisie politique).
Et b) j’étais stupéfait qu’il ne structure pas la FI comme une organisation démocratique, avec des statuts et un congrès, et naturellement une direction élue.
Dans la mesure où j’ai pu avoir une activité politique durant les cinq années suivantes, activité qui ne s’est guère traduite que par ce que j’ai pu dire dans mon GA, dans mes commentaires sur Mediapart et par mon livre « …Ni Tribun » (ces jours-ci doit paraître « Critique de la raison gazeuse », qui le prolonge) cette activité s’est bornée à ressasser ces deux points : union et démocratie.
Pour l’union, j’ai salué la formation de la NUPES, J’ai surtout salué l’habileté du texte « 600 propositions » qui met par écrit les accords et les désaccords. C’est exactement ce qu’il fallait faire en mai 2017.
Pour la démocratie, j’ai continué à crier dans le désert et en effet, l’affaire Quatennens a suscité quelque chose qui n’a rien à voir avec aucune gifle.
Les militants se sont rendus compte que celui qu’on leur avait balancé comme « coordinateur-chef » sans les consulter avait été sanctionné par le groupe des députés (après débat et vote de ces députés) encore une fois sans qu’ils soient consultés. Dès le mois de novembre, ça grognait dans les GA (en particulier dans les GA de mon département). Cela grognait sur le thème «Ah, trop de « verticalité »». Sans que je m’en mêle (je ne souhaite pas cristalliser autour de mon nom la riposte du « national ») le moins du monde.
Début novembre, une pétition circule à partir de militants du 92 et du 93, qui pour la première fois parle de démocratie et même décide de concentrer sur ce mot. Une centaine de signatures.
Là-dessus arrive le 10/12, Bompard, son assemblée « représentative », et son plan auquel personne ne comprend rien sauf à risquer d’étranges métaphores, celles d’une « usine à gaz » propre à « noyer le poisson »…
Probablement, à cet instant, beaucoup de GA sont troublés.
Arrive, lundi 26/12, la publication dans « le monde » du texte « des jeunes ». Un millier de signatures. Ce texte insiste sur la volonté d’exclure Quatennens, mais aussi sur le fait que tout ce qui a été décidé ou non décidé l’a été sans que les militants de terrain soient consultés.
Autrement dit, très explicitement, c’est la question de la démocratie dans le mouvement.
Que peut-il se passer ? Si Bompard ou si Mélenchon parlent, ils perdent : preuve est faite que « le consensus sans vote » crée le bordel, au moins autant que la démocratie.
Mélenchon peut, très classiquement, dire que « nos ennemis, les médias, créent de l’agitation dans le mouvement ».
Il peut aussi (mais qui y croit ?) manger son chapeau et refonder une FI démocratique. C’est facile, il suffit de convoquer une Assemblée Représentative… qui soit réellement représentative, c’est à dire constituée exclusivement de délégués mandatés par leur GA. Assemblée qui élira une direction provisoire chargée de rédiger un projet de statuts et un congrès de fondation.
Mélenchon tient l’argent. Ce n’est pas un détail, naturellement.
La FI, aujourd’hui, c’est un paradoxe : huit millions d’électeurs et dix mille militants de terrain. Entre les deux, une mouvance en effet « gazeuse » qui peut très vite disparaître, ou pas.
Dans cette affaire, le POI ne sert strictement à rien.
Chaque jour peut apporter du nouveau.
Croire que ces évènements n’ont pas beaucoup d’importance pour le mouvement ouvrier, c’est être aveugle. Ces évènements sont très importants.
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Me relisant, je vois que mon commentaire pèche par trop de hâte. En au moins trois points « le lecteur aura rectifié de lui-même ».
Tout de même, je souhaite préciser trois points.
Naturellement, quand je dis que la FI est le seul élément politique depuis le congrès de Tours sauf peut-être l’OCI à son meilleur, je veux dire : en termes d’organisation. Dans le moment politique crépusculaire que nous vivons, le surgissement de la FI est bien une remarquable nouveauté.
Ensuite, je dis que j’étais stupéfait de voir que Mélenchon ne créait pas la FI comme organisation démocratique. Plus tard j’ai bien compris à quel point c’était délibéré de sa part. Lordon a bien évoqué ce qui se passerait si un JLM arrivait aux affaires : le déchaînement des forces du Capital. Tout se jouerait alors dans la rue. Une FI organisée prendrait le premier rôle. JLM ne veut pas que la liberté de rechercher un accord avec le capital (sans doute du type de celui que Mitterrand-Mauroy ont conclut en 1983) lui échappe.
Troisième point. J’ai vu que Vincent se moquait de ceux qui désignent FI comme organisation « centriste » au sens que nous, trotskistes donnons à une organisation.
Pour moi, si la FI n’est pas une organisation « centriste »… c’est parce qu’elle n’est pas une organisation (démocratique). C’est précisément l’enjeu de ce qui se passe. Si la FI se fondait comme organisation, ce serait forcément une organisation « centriste ». Que pourrait-elle être d’autre ? C’est bien pour cela que Mélenchon ne veut pas qu’elle existe.
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Entièrement d’accord avec ta conclusion: si la FI se développait comme organisation démocratique elle serait forcément une organisation « centriste »: c’est cette perspective que Mélenchon a refusé lorsqu’il a mis en charpie le PG.
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Bien vu.
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