Macron contre la valeur de la force de travail.

Macron doit à la fois restaurer son autorité de président de la V° République, affaiblie par les luttes sociales contre lui sous son premier quinquennat bien qu’il soit parvenu à se faire réélire, et mener à bien des attaques antisociales d’une ampleur nouvelle, exigées par la crise globale du capitalisme, son contenu géobioclimatique, et par la crise des relations internationales qui va avec.

Sous son premier mandat, il avait parachevé les attaques contre le code du travail engagées sous Hollande (ordonnances Macron complétant la loi El Khomri), porté des coups durs à la jeunesse lycéenne et étudiante (Parcoursup notamment), mais avait dû suspendre l’attaque centrale contre le droit à la retraite. Il doit maintenant procéder en même temps à sa session de rattrapage et à un changement d’échelle dans les mesures antisociales. D’où un discours permanent et anxiogène, déversé sur les populations, en mode « le sang et les larmes sont devant vous, alors tenez-vous bien ».

Abaisser la valeur de la force de travail, donc faire baisser le salaire réel, direct et indirect : voila le fil conducteur de toutes les contre-réformes engagées. Celle qui vise les retraites, bien entendu, visant à déclencher dès 2023 et tout de suite pour les salariés les plus proches de la retraite (nés en 1961), l’allongement de la période obligatoire de vie dans le travail salarié, et activant la baisse du salaire socialisé permettant aux retraités de vivre.

« Pour nous, l’engagement porté dans la campagne, c’est 65 ans », raconte Mme Borne en voulant, très précisément, lier l’attaque contre les droits de toutes et de tous à un « engagement » qui n’a jamais été partagé par la population mais qui doit être la marque politique initiale de la restauration du pouvoir présidentiel écorné.

C’est pourquoi la participation, peu ou prou, de toutes les directions des organisations syndicales nationales aux « concertations » avec Mme Borne ou M. Dussopt n’avait et n’a d’autre sens que de permettre à l’exécutif d’engager la manœuvre, les « carrières longues » et autres « prise en compte de la pénibilité » n’étant rien d’autre que des prétextes à « concertation ». Remarquons au passage combien le tout petit patronat de l’artisanat et du commerce est aussi mal représenté que les salariés peuvent l’être par la CFDT : pour M. Redon, de la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment, « S’il y a un maintien des « carrières longues » qui protège nos artisans, on peut voir un recul à 64 ans. » !

De plus, la fin des soi-disant « régimes spéciaux » mal nommés – il s’agit de conquêtes sociales de branches, qui y améliorent le niveau du salaire différé – fait partie du projet, avec une grosse bombe à retardement concernant notamment le Code des pensions et donc ce qui reste du statut de la fonction publique.

Abaisser la valeur de la force de travail, c’est là encore que réside la seule cohérence des autres projets de Macron, dont l’attaque contre le droit à la retraite est indissociable : réforme de l’enseignement professionnel public qui en envoyant les jeunes en stage à la place de l’enseignement en fait de la main-d’œuvre gratuite, réforme de l’assurance chômage qui en conditionnant les allocations à la soi-disant situation de l’emploi permet de les moduler à la baisse.

Officiellement l’objectif est le « plein emploi », voire même, voyez-vous ça, la « mise au travail » !

Foutaise : il ne s’agit pas de plein emploi, mais de pleine mise à disposition de la force de travail pour le capital, du prétendu « emploi des seniors » aux stages et petits boulots précaires pour la jeunesse ; il s’agit de faire de la masse de la population une grande armée de réserve précaire dans laquelle les « employeurs » feront leur marché.

Et voilà que, pour compléter l’ambiance, sont annoncées les coupures de courant, jusqu’à 4 millions de foyers pendant deux heures à l’exclusion des hôpitaux, commissariats, prisons, pompiers et sites industriels sensibles, mais pas la plupart des services publics et certainement pas les écoles ! Un pic de cynisme est atteint quand le gouvernement tire argument du réchauffement climatique pour se féliciter qu’aucun « délestage » ne soit rendu nécessaire en ce début décembre.

Il faut le redire : pour la majorité, et en particulier pour la majorité de la jeunesse, nous en sommes à la misère et, de plus en plus souvent, à la faim. Nul misérabilisme à le dire, mais seulement du réalisme.

Le mouvement réel est là.

Cette majorité n’est nullement résignée. De la combativité, il y en a. Les grèves pour les salaires ne se comptent plus et les résultats qu’elles obtiennent, tels les 5% de hausse en moyenne dans le secteur des raffineries et du nucléaire, sont à évaluer d’une double manière : au plan économique, ces hausses courent après l’inflation (de 12,5% sur les produits alimentaires !), au plan psychologique, moral, politique donc, elles sont de vrais succès qui montrent ce qui est possible.

Certaines grèves longues et dures sont le fait de travailleurs à très bas salaires, comme celles et ceux du nettoyage de la gare de Lyon Perrache depuis plus de deux mois. Ces mouvements, qui s’appuient généralement sur des sections syndicales de base, ne sont pas popularisés ni véritablement soutenus par les organisations à un niveau plus que local ou de site, et sont déconnectés des « journées d’action » appelées d’en haut.

Mais les travailleurs peuvent saisir l’opportunité de tel ou tel appel quand cela leur est utile et d’autant plus quand des structures syndicales le permettent : ainsi, dans le travail social en Ardèche, une énorme AG s’est tenue à Aubenas le 29 novembre dernier, les grévistes étaient près de 40% et la majorité des travailleurs de ce secteur a priori dispersé ont été concernés, et une manifestation de 200 personnes s’est tenue dans les rues du Teil, village de la vallée du Rhône (nos photos, merci aux camarades qui les ont diffusées).

Depuis quelques jours, une grève majoritaire des contrôleurs SNCF s’étend sur tout le pays. Des Agents du service commercial trains (contrôleurs) ont créé une page Facebook qui semble avoir suscité l’intérêt de la quasi-totalité des quelques 10 000 contrôleurs, autour de la revendication d’être considérés comme personnels roulants eux aussi et de la transformation des primes en composantes du salaire, maintenues en cas de congé ou d’arrêt maladie et valant pour la retraite. Devant leur succès ils ont constitué un Comité National ANCT (CNA) qui a appelé les contrôleurs à la grève les 2-4 décembre. La grève a été très majoritaire, bloquant la circulation des trains, et a reçu après coup le soutien des fédérations syndicales de cheminots, sauf la principale d’entre elles, la CGT, dont on ignore la position sur cette situation. La grève des contrôleurs pourrait reprendre les week-ends et lors des vacances.

Mais le mouvement réel requiert des médiations politiques.

S’il est vrai que le mouvement réel n’est pas à la résignation et à l’atomisation comme aiment à se le dire bien des militants, et qu’il est fondamental de le comprendre, est-ce à dire que ce mouvement est comme un océan sous-jacent qui va forcément aller de l’avant en se riant des obstacles comme s’il était par lui-même capable d’aller jusqu’au bout ? Si c’était le cas, on le saurait depuis longtemps.

Là réside la limite des contributions, nécessaires et utiles, de Jacques Chastaing, et l’impression d’optimisme béat qu’elles produisent sur certains camarades. Mais la vraie question n’est pas celle de l’optimisme ou du pessimisme, elle est politique : c’est la question des médiations.

Prenons les deux derniers mois. La poussée profonde est là, totalement déconnectée de la journée d’action du 29 septembre. Elle porte les opérateurs des raffineries à partir dans une grève efficace, car ils ont la main sur la distribution du carburant, pour leurs salaires, et, au fond, pour les salaires de tous ; mais leur grève n’est connue que lorsque les pompes viennent à s’assécher, ce ne sont ni leur confédération (la CGT) ni leur fédération (la FNIC-CGT) qui la font connaître.

Elle devient alors un catalyseur de toute la situation et se combine avec la réalisation de l’unité syndicale contre la réforme du lycée professionnel pour aboutir à une journée d’action spéciale, car répondant au mouvement d’en bas, le 18 octobre.

La direction confédérale CGT annonce alors par avance un carrousel de journées d’action, 27 octobre puis 10 novembre. Appeler à faire grève en prévenant par avance qu’il faudra recommencer trois semaines plus tard, donc en annonçant qu’on n’obtiendra rien et qu’on n’a pas l’intention, au fond, d’obtenir quoi que ce soit, c’est organiser l’échec des dites journées. Comme si ces échecs prévisibles avaient été nécessaires pour attester que le mouvement réel serait soi-disant faible, alors qu’il persiste, mais à nouveau refoulé dans les apparences du local et du sectoriel. Une conséquence de ces flops organisés a été que la seconde journée de grève des Lycées professionnels, le 17 novembre, a été plus faible que la première (1).

Or, ces mêmes semaines ont été celles du retour de la CGT dans les « concertations » sur les retraites avec Mme Borne (associant toutes les directions, sauf Solidaires pas invité et demandant à l’être) et M. Dussopt. Participation aux « concertations » et journée d’action frénétiques et désunies ont donc largement contribué à empêcher l’ « océan », comme dirait Jacques, d’inonder la citadelle, et largement aidé l’exécutif à engager ses attaques contre le droit à la retraite, le lycée professionnel public et l’assurance chômage.

(1) Dans l’enseignement professionnel public, l’unité réalisée en septembre et la puissance du 18 octobre avaient conduit le SNUEP-FSU, le SNETAA-FO et la CGT-Educ’Action à boycotter la « concertation » ouverte par le ministère du Travail. Après la seconde grève du 17 novembre, moins puissante mais appelée dans l’unité (sauf le SGEN-CFDT, ce qui a peu de portée), Mme Grandjean, ministre déléguée à l’enseignement professionnel auprès du ministre du Travail (et non de l’Education nationale), a ouvert une seconde « concertation » le 25 novembre censée ne pas porter d’emblée sur la réforme voulue par Macron, mais sur la situation des élèves, à laquelle tous les syndicats ont participé tout en appelant à « construire une grève massive en janvier », sauf le SNETAA-FO, mais celui-ci a proclamé que ça y est, l’enseignement professionnel a perdu, tout est perdu (sauf le SNETAA, mais on verra si cette posture tient au-delà des élections professionnelles).

Se centraliser contre le pouvoir, imposer la démocratie.

Cette action politique des directions syndicales va avec celle de l’opposition parlementaire de gauche, offrant le spectacle de l’agitation parlementaire, impuissante autant qu’incessante. On ne compte plus les 49-3 – on en est au septième à ce jour, parait-il.

L’existence de la NUPES n’est ni un point d’appui politique ni un outil saisi par les mouvements sociaux réels, et ne peut l’être, car sur la question du pouvoir, elle n’a que deux réponses : soit attendre les présidentielles de 2027, soit miser sur une dissolution de l’Assemblée nationale, dissolution qui est à la main de Macron. Elle n’est ni une perspective, ni un débouché.

La question du pouvoir : c’est bien là le point incontournable. Les commentateurs et les médias, suite à l’intersyndicale de demain, lundi 5 décembre, et à la probable annonce par Mme Borne du projet gouvernemental contre les retraites, vers le 15, prédisent une « rentrée chaude » en janvier avec des « défilés ». Mais ceci ne peut aboutir que si le pouvoir est en question.

Hors de quoi c’est – comme l’annoncent en fait les éditorialistes – un rituel. Et les larges masses le sentent : si « résignation » il y a, elle n’est pas de leur côté. De quoi ont-elles besoin ?

L’océan du mouvement réel a besoin, pour se généraliser et se centraliser, ce qui ne se fera que contre l’exécutif, et soulèvera donc immédiatement la question du pouvoir, de réseaux de militants organisés imposant une perspective claire : échelle mobile des salaires et affrontement contre Macron, ne reculant pas devant le fait de le chasser, pour imposer un régime démocratique réalisant l’échelle mobile et garantissant le droit à la retraite (pour commencer !).

Assurément, cela passe par la discussion la plus large associant des camarades syndicalistes, de la NUPES, etc., mais cela ne se fera pas en appelant à plus de journées d’action et/ou à plus d’agitation parlementaire.

Action commune et grève tous ensemble le même jour pour l’échelle mobile des salaires et le droit à la retraite, c’est réalisable, le mouvement réel de « l’océan » et l’action des réseaux militants peuvent l’imposer, mais pour aller de l’avant, il faut donner la couleur : un mouvement uni et puissant, en empêchant Macron de restaurer son autorité, l’abattra, et il ne sera pas question d’attendre 2027 et donc de respecter les institutions de la V° République et leur calendrier.

L’Ukraine est une question politique française centrale.

La guerre impérialiste russe contre l’Ukraine et le combat pour une action de masse internationaliste en solidarité avec le peuple ukrainien, ne sont en rien des sujets déconnectés de ce qui précède, et pèsent à présent de manière centrale sur la capacité du « mouvement réel » en France, comme dans les autres pays, à s’emparer des médiations politiques lui permettant d’aller de l’avant.

Macron et, par exemple, le POI (Parti Ouvrier Indépendant) sont d’accord sur un point central : les souffrances des larges masses seraient causées, en France, par cette guerre. Macron lui impute l’inflation, notamment celles du gaz et de l’électricité, qui comprime les salaires réels, est censé justifier par avance des coupures d’approvisionnement sans précédents depuis 1945 alors que les forces de production sont des dizaines de fois plus puissantes, et requiert l’accélération des « réformes » contre les retraites, l’enseignement professionnel ou l’assurance chômage. Mais certains syndicalistes et des courants politiques affirment eux aussi que ce sont « les dépenses d’armement alimentant la guerre en Ukraine » qui expliqueraient les fermetures de lits dans les hôpitaux et autres attaques contre les services publics.

Soyons sérieux : comme l’explique le très utile article des camarades de l’Insurgé que nous avons repris, le total des « aides » françaises à l’Ukraine, humanitaire, financière, et militaire, pèse 0,02% du PIB. Par ailleurs, le budget militaire augmente, mais ce n’est pas pour aider l’Ukraine, ce sont pour les besoins propres de l’impérialisme français. Si, comme le suggérait ce printemps le camarade Vladislav Starodubtsev, du Sotsialnyi Rukh, le mouvement internationaliste contraignait l’impérialisme français à livrer réellement des armes à l’Ukraine, il n’y aurait nul besoin, pour cela, d’augmenter son budget militaire, il suffirait de prendre sur l’existant. Cela porterait également un coup d’arrêt aux moyens militaires avec lesquels l’armée française mène contre les peuples, des « opérations extérieures » en Afrique et au Moyen-orient.

Quant à la hausse des prix énergétiques et à l’inflation, elles sont aggravées par cette guerre, c’est vrai, mais c’est là le fait de l’impérialisme russe, et, d’autre part, elles avaient commencé avant et elles vont avec la crise du capitalisme mondial à son stade actuel, fort avancé.

Par contre, tous ceux qui expliquent que la résistance ukrainienne serait, directement ou indirectement, un facteur de souffrance et d’attaques antisociales pour les travailleurs et la jeunesse, sont des diviseurs pro-impérialistes qui détournent le combat de notre classe :

  • Pour que la pointe avancée de la réaction impérialiste dans le monde, en la personne de Poutine, soit battue et chassée,
  • Pour que la lutte contre la misère, pour les salaires, les retraites, l’école publique et les droits sociaux, se généralise et se centralise contre Macron en France.

Retrait des troupes russes de toute l’Ukraine et action commune pour défaire Poutine !

Retrait des projets antisociaux de Macron et action commune pour le défaire !

Le 04-12-2022.

Manif des travailleurs du secteur social – Le Teil (Ardéche)