« Les bolcheviks inventent l’Ukraine », caricature de 1923.

Sur les données de fond du pourquoi du comment, mon article du 12 février dernier, Pourquoi la cause de la paix, c’est la cause de l’Ukraine, me semble avoir été, hélas, systématiquement validé par les évènements qui se sont produits depuis. Résumons synthétiquement ceux-ci.

Il y a eu la « dramatisation Biden » : Kiev devait être bombardée dans la nuit du mardi 15 au mercredi 16 février. Les ukrainiens n’y croyaient pas, à juste titre. A la place, il a été question de « désescalade », des mouvements de troupes russes fluctuant pouvant le laisser croire.

Dans le cadre du vrai-faux soulagement ainsi provoqué, les dictateurs postiches des deux « Républiques populaires » enregistraient mercredi (comme les métadonnées de leurs vidéos le prouvent, car ce sont vraiment des mafieux bricoleurs) leurs interventions destinées à être diffusées jeudi soir, appelant à l’évacuation des populations du Donbass soi-disant menacées de « génocide » par l’Ukraine, interventions prévues après le bombardement d’une école (en zone non occupée), monté par eux et attribué à l’armée ukrainienne.

A partir de là se produit l’escalade le long de la ligne de cessez-le-feu des accords de Minsk, mais surtout, se déroule une partie que presse et médias n’ont pas saisie. La population entière, puis les femmes, les enfants et les vieux, devaient être évacuée, et les hommes de 18 à 55 ans mobilisés. Mais c’est en Ukraine non occupée qu’il y a des volontaires et des hommes et femmes demandant des armes. Dans la partie occupée du Donbass, ce fut la résistance passive de l’immense majorité. Au bout de trois jours, 20 000 « évacués » sur 3,8 millions d’habitants : surtout de pauvres babouchkas frigorifiées et laissées pour compte au bord des routes russes, et des clochards attirés par la prime de 10 000 roubles (114 euros) généreusement promise par Poutine.

Samedi, se tenait un sommet diplomatique européen, où le président ukrainien Zelenski a tenu un discours au ton nouveau : nous nous défendrons que vous nous aidiez ou non, et nous considérons que le protocole de Budapest (qu’en 1994 l’Ukraine avait accepté, livrant ses armes nucléaires issues de l’ex-URSS à la Russie moyennant la garantie collective de ses frontières), est maintenant nul et non avenu.

Lundi, après quelques « bombes ukrainiennes » opportunément tombées sur des postes-frontières russes, se tenait une réunion télévisée du Conseil de sécurité russe, show baroque et césarien, suivi d’une allocution de Poutine dont l’idée clef est la suivante : l’Ukraine n’a aucune légitimité historique à être une nation distincte de la Russie, ce sont Lénine et les bolcheviks qui l’ont privilégiée.

La proposition votée par la Douma le mardi précédent sur proposition du KPRF (le P « C » russe), de reconnaître « l’indépendance » des deux dictatures postiches de Donetsk et de Louhansk, était adoptée, Poutine écartant un bafouillement de son ministre de l’Intérieur suggérant leur annexion formelle à la Russie par les mots « pas encore ». (1)

Immédiatement, commençait une « opération de maintien de la paix » : les chars russes entraient ouvertement, dans la nuit du lundi 21 au mardi 22, dans Donetsk et dans Louhansk.

Ce qui peut sembler une démonstration de force exhibe aussi les faiblesses de Poutine : il occupe une région déjà occupée, en déchirant les accords de Minsk qui prévoyaient une fédéralisation de l’Ukraine octroyant un droit de véto aux deux régions occupées, jusque là sous faux drapeaux à peine déguisé.

Deux questions clefs se posent immédiatement.

La première est celle de la guerre sur place. L’Ukraine ne peut et ne compte pas riposter à l’occupation ouverte des zones déjà occupées. Mais la déclaration de reconnaissance des deux « républiques » implique le soutien à leur revendication territoriale sur l’ensemble du Donbass, qui, un peu de la même façon que l’Ulster historique est plus grande que l’Irlande du Nord, est deux fois plus grand que la zone occupée. Le ministre de l’Intérieur russe a été explicite sur ce point et a mentionné une ville : le port de Marioupol sur la mer d’Azov. La menace de guerre offensive en Ukraine non occupée est donc là.

La seconde question est celle des « sanctions économiques ». Il ne faut pas les prendre à la légère : si l’Allemagne s’aligne sur les États-Unis (et c’est cela qui se joue), la coupure des circuits financiers et la suspension de travaux d’achèvement du gazoduc North Stream II en mer Baltique signifient que la Russie est bannie du marché mondial des capitaux, sauf à former un bloc financier eurasiatique avec la Chine.

Les bourses sont, bien entendu, en chute ce matin.

Les deux questions sont liées car Poutine sera tenté, par exemple, de prendre Marioupol, si la « riposte » économique ne monte pas tout de suite crescendo. Il n’est par contre pas question de riposte militaire pour les États-Unis, l’Union Européenne et l’OTAN : la liberté nationale de l’Ukraine et, à travers elle, de tous les peuples de la région, n’est pas leur souci. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y pas risque de guerre globale, l’enjeu immédiat étant le positionnement de l’impérialisme russe dans le système mondial entre États-Unis, Allemagne et Chine.

La liberté ukrainienne concentre la défense de la liberté de tous les peuples de la région : la Bélarus est de fait occupée militairement et l’annexion ultérieure de la partie occupée du Donbass signifie extension de l’ordre militariste et mafieux qui y règne, jusque-là déployé dans la satrapie tchétchène, à toute la Russie. C’est pourquoi l’immense hostilité qui se devine en Russie, contre la fuite en avant actuelle de Poutine, et le passage du refus larvé au refus ouvert, sera un facteur des prochaines semaines et des prochains mois.

Un dernier mot s’impose ici concernant la politique intérieure française. Aucune muraille de Chine ne coupe la présidentielle de la situation internationale, surtout là. Le fait que celui qui passait pour le seul « vote utile à gauche », J.L. Mélenchon, justifie la guerre de Poutine (il déplore que Poutine soit malpoli mais affirme que le danger n° 1 est « l’annexion de l’Ukraine par les EU dans l’OTAN » et il propose une conférence paneuropéenne pour déplacer les frontières à l’amiable, sous l’égide francorusse), le classe comme candidat non du mouvement ouvrier, ou, si l’on veut, de l’ « union de la gauche », mais comme candidat impérialiste césarien. Il n’y aura donc pas de vote utile, si on en avait douté.

La cause de la paix, c’est la cause de l’Ukraine !

Boycott des présidentielles françaises !

VP, le 22/02/22, 11h.

(1) Il s’est cependant trouvé un député du KPRF, Evgeny Stupin, pour s’indigner du traitement fait aux « évacués » du Donbass, ce qui atteste du rétrécissement de la base du régime poutinien, qu’aggrave aussi la situation au Kazakhstan.

Ci-dessous carte permettant de distinguer le Donbass occupé du Donbass entier :