Les états-majors nord-américain, britannique, suivis par beaucoup de gouvernements, disent depuis un peu plus de 24h que l’attaque russe contre l’Ukraine est imminente, pour la semaine prochaine ou pour dans deux jours, et appellent tous leurs ressortissants à partir d’Ukraine.

Poutine mais aussi Zelensky et divers responsables et commentateurs affichent leur scepticisme. Mais le vrai problème est-il de juger si Washington fait de l’intox ou non, ou s’il est acceptable qu’un peuple, le peuple ukrainien, soit depuis des semaines et des semaines sous la menace explicite et affichée de chars, de missiles, d’avions, et maintenant aussi de la flotte russe qui bloque la mer Noire au Sud ?

En outre, ce « moment de panique » ou d’alerte, a été chronologiquement déclenché par une phrase précise de Joe Biden : en appelant au départ des américains se trouvant en Ukraine, il a expliqué que lorsqu’ils se trouveront sous le feu russe il n’enverra pas ses troupes les chercher. On voudrait signifier à Poutine qu’il peut occuper l’Ukraine qu’on ne s’y prendrait pas autrement, non ?

En Ukraine même, la position du président Zelensky, affirmant que les concentrations de troupes russes n’en sont pas au point de pouvoir vraiment attaquer, est de plus en plus contredite par les deux millions d’hommes et de femmes maintenant en cours de mobilisation, les exercices de défense territoriale, et depuis la nuit dernière l’annonce par le maire de K’yiv qu’il a acté le principe de l’évacuation de la population, susceptible d’être déclenchée à tout moment, pour diminuer les pertes en cas de bombardement.

Même ceux qui pensent qu’une telle alerte résulte des annonces nord-américaines doivent tout de même convenir, s’ils ont du bon sens et savent où sont réellement les forces armées des uns et des autres, que la ville de K’yiv (transcription de l’ukrainien pour Kiev), une grande ville européenne, est à présent en train d’entrer dans la peur d’un bombardement aérien, première fois depuis 1945 en Europe (Sarajevo, certes, a été pilonnée, mais pas par des avions, par des snipers), et pour la seconde fois dans la région, concernant l’aviation russe, depuis Alep, car il s’agit bien de la peur de bombardements aériens russes, créée par les manœuvres militaires de Poutine.

Le positionnement réel des forces armées n’a rien à voir avec une pénétration massive de l’OTAN en Ukraine. Washington, suivi avec des nuances diverses par Berlin, Paris et Londres, a bien entendu des hommes sur place, mais ne compte pas s’opposer directement à une invasion de l’Ukraine, telle est la vérité. Mais Washington provoquera une coupure commerciale, financière et monétaire entre l’Europe et l’Amérique du Nord d’une part, la Russie de l’autre, qui permettrait à Washington de contraindre Berlin à stopper North Stream II, le gazoduc sous la Baltique, et qui, d’une façon générale, serait un coup très lourd porté sur la tête de l’impérialisme allemand, modifiant en fait l’ensemble des relations intra-européennes.

Dans ces conditions, l’impérialisme russe se trouverait coupé de l’ouest et serait de plus en plus à la merci de l’impérialisme chinois, sans que celui-ci ait besoin de bouger – il a manifesté sa désapprobation tacite de l’intervention militaire russe à Almaty, et il convoite toute la Sibérie, que le réchauffement fond et brûle, sans qu’une annexion ne s’impose.

C’est pour cela qu’il existe réellement un risque de guerre inter-impérialiste mondiale. Et que cette guerre peut être nucléaire, soit par un recours direct aux armes les plus destructrices, évoqué explicitement par Poutine lundi 7 février lors de sa conférence de presse avec Macron, soit par des armes nucléaire tactiques dont la production augmente de plus en plus (soit par ces dernières puis par les autres …).

La cause de cette guerre mondiale ne serait en rien l’Ukraine, qu’il est idiot et criminel d’accuser d’être une sorte de bombe qui ferait exploser le monde. L’Ukraine est la nation européenne qui a le pistolet sur la tempe et qui ne peut l’accepter, car c’est inacceptable.

La cause en serait la place de la Russie. L’impérialisme russe est surdimensionné : il n’a que l’énergie et le militaire, il manque d’une base de branches diversifiées de production capitaliste.

La cassure dont le menace Washington représente, certes, ce que Washington peut faire dans l’état présent de crise de l’impérialisme nord-américain, après 4 ans de Trump, et après le départ d’Afghanistan, et serait obligé de faire sauf à abdiquer son rôle mondial en cas d’attaque du type de celle qu’il dénonce par avance – mais comme Biden l’avait aussi déclaré à K’yiv début janvier, une simple extension de la guerre hybride et des zones occupées (par exemple, vers Marioupol) ne serait pas forcément, elle, une telle contrainte.

Mais cette cassure annoncée par avance « au cas où » reviendrait à livrer l’impérialisme russe, surdimensionné et en réalité faible, à l’impérialisme chinois.

Biden d’un côté, Poutine de l’autre, semblent donc ici d’une exceptionnelle bêtise, mais il faut comprendre qu’ils sont coincés par les dynamiques respectives de leurs États, reflétant la crise de leurs sociétés : crise de domination mondiale US, d’un côté, dynamique agressive du nervi qui est monté dans l’arbre et ne peut plus descendre, de l’autre.

Outre la recomposition européenne que ceci produirait sur fond de nouvelle brisure du commerce international et de la division internationale du travail, une telle perspective soulève d’ores et déjà les plus grandes questions quand au positionnement des puissances régionales voisines, à commencer par la Turquie, qui a joué une sorte de Yalta avec Poutine en Syrie, mais qui ne veut pas d’un bouclage russe de la mer Noire – c’est pourquoi la concentration de vaisseaux russes dans la mer Noire, contre l’Ukraine, a aussi été un test visant Erdogan, puisqu’ils sont venus par le Bosphore et qu’il les a laissés passer, car l’empêcher aurait été un acte direct de guerre.

Des questions de positionnement global vont rapidement se poser aussi à l’Inde, ennemie de la Chine et amie officielle de la Russie, où les élections en Uttar Pradesh vont montrer à quel point Modi aura résisté, ou pas, au mouvement paysan.

A l’échelle mondiale, une guerre d’agression plus qu’une sale guerre « hybride » contre l’Ukraine serait le déclencheur de cette tectonique-là, Washington isolant Moscou mais la livrant en quelque sorte à Beijing, ce qui peut ensuite, plus ou moins rapidement, produire une nouvelle panique et un retournement US brutal. Loin de permettre à Xi Jinping d’attendre pour prendre Taïwan, ces processus pourraient aussi le pousser à accélérer, car la formation d’un bloc continental eurasiatique, sous hégémonie chinoise, contraindrait Washington à tenter de resserrer le verrou maritime.

Il n’est donc pas délirant du tout de dénoncer le risque de guerre thermonucléaire qu’avec le réchauffement climatique le capitalisme tardif et dégradé fait peser sur le genre humain.

L’indépendance et l’unité de l’Ukraine sont le cadet de leurs soucis. Il ne doit pas en aller de même des adversaires véritables du capital, donc de tous les impérialismes. La résistance populaire ukrainienne, avec les aspirations démocratiques et sociales des peuples russe et bélarusse, est une formidable force de paix à l’encontre de cette recomposition porteuse de guerre mondiale, car elle ne peut que gagner le peuple russe, qui n’a aucune envie d’une guerre contre l’Ukraine, qu’elle soit hybride ou invasive. De plus, Zhanaozen, Kazakhstan, le Gdansk du Kazakhstan, est à peu près au cœur de cette Eurasie, mais de l’Eurasie des peuples et des prolétariats. Et le fait qu’une montée sur Paris des Gilets jaunes français se soit dessinée exactement au même moment montre que l’auto-activité d’en bas fermente partout. Les grèves pour les salaires vont d’Aktau sur la Caspienne à la firme Starbucks aux États-Unis …

Voici un peu moins d’un an, après la défaite de Trump et lors des premières grandes concentrations de troupes russes à la frontière ukrainienne, j’avais évoqué la question de la guerre mondiale, et émis alors l’hypothèse que Xi Jinping avait dit à Poutine d’attendre pour une attaque contre l’Ukraine. Des camarades avaient alors été surpris de telles considérations.

C’est que nous peinons à imaginer la guerre, et plus encore la guerre impérialiste mondiale. Peiner à concevoir cela n’est pas un défaut, bien au contraire. Car il s’agit de l’empêcher. Et le fait que l’immense majorité des gens n’arrive tout simplement pas à se représenter, à conceptualiser, voire à prendre au sérieux, une chose pareille, rend certes un peu plus difficiles les explications, mais est aussi un atout pour la lutte car cela exprime le refus de l’inacceptable, de l’inimaginable, et traduit un rapport de force où la conscience sociale est telle, partout, que les mobilisations générales pour attaquer le voisin proche ou lointain sont aujourd’hui inconcevables (la mobilisation ukrainienne contre une agression n’a rien à voir car elle est défensive et le peuple la veut : si l’on veut lui trouver une comparaison, pensons au peuple cubain face à l’oncle Sam, mais aussi, on y reviendra, au peuple burkinabé face aux djihadistes !).

Mais le refus ne suffit pas, pour agir il faut aussi comprendre.

La guerre impérialiste qui rôde correspond à la fin de tout ordre mondial, bipolaire (guerre froide) ou unipolaire (2001-2008). Les partisans du socialisme et de la démocratie ne veulent pas de la domination globale des États-Unis et de l’OTAN mais ils renvoient dos-à-dos avec elle la domination des impérialismes chinois flanqué du russe, appelée « monde multipolaire » dans les déclarations communes de Xi et de Poutine. Ils sont pour la confédération libre des peuples du monde entier, et la fin de toutes les oppressions nationales et raciales avec la fin de l’exploitation du travail humain devenue la course folle de l’accumulation capitaliste.

On ne combat donc pas la guerre en Europe en appelant à la neutralité ukrainienne et en diabolisant la volonté du pouvoir ukrainien d’être protégé par l’OTAN, ce qui est d’ailleurs pour lui une fausse protection. Bien au contraire, cette position n’est pas pacifiste, mais belliciste : elle ouvre la voie à l’agression poutinienne en légitimant sa rhétorique. On combat la guerre en Europe par la défense du droit des peuples, de l’autodétermination ukrainienne à la réalisation de la démocratie en France contre le régime de la V° République, en passant par l’accueil de tous les réfugiés, et la volonté d’une Europe ouverte, démocratique et socialiste.

Tout particulièrement, le soutien à la liberté nationale ukrainienne, avec la libération du Donbass et l’autodétermination de la Crimée, et les libertés démocratiques, syndicales et ouvrières contre Zelensky, mais le soutien à la résistance contre l’impérialisme russe en Ukraine, représente non pas une caution à l’OTAN, qui pour nous n’a rien à y voir, mais le tout premier verrou contre la guerre.

Car si Poutine échoue sur l’Ukraine, l’impact libérateur pour les Russes, les Bélarusses et les Kazakhs est direct, la voie n’est pas ouverte à la cassure des relations économiques en Europe et à la vassalisation de l’impérialisme russe par l’impérialisme chinois, et les facteurs conduisant à la guerre inter-impérialiste mondiale prennent un premier coup, facilitant l’action pour l’alternative de l’humanité, dont la perspective que nous redessinerons dans la lutte sera la révolution prolétarienne pour assurer sa survie.

Donc, la cause de la paix, c’est la cause de l’Ukraine, et il n’y en a pas d’autre.

VP, le 12/02/22. Ci-dessous les premiers signataires de la déclaration internationale sur l’Ukraine dont nous sommes signataires :

Clockwise: Nadia Whittome MP for Nottingham East, Rachael Maskell MP for York Central, Clive Lewis MP for Norwich South, Claudia Webbe MP for Leicester East, John McDonnell MP  for Hayes and Harlington.

Supported by the Bakers Food and Allied Workers Union, and Sarah Woolley General Secretary and Ian Hodson National President .

 
The Social Movement (Ukraine)

Supporterted by Social Movement (Ukraine) and below: Dan Gallin of the Global Labour Institute, John Maloney Assistant General Secretary Public and Commercial Services Union,  pc.

The Haldane Society of Socialist Lawyers – Labour Representation Committee – Green Left – Anti-Capitalist Resistance  – International Marxist-Humanist Organization – Alliance for Workers Liberty – Republican Communist Forum (Scotland) – Marxist-Humanist Initiative (USA)- The Real Democracy Movement – Aplutsoc (“arguments for social struggle”) France

Initial signatories

Dan La Botz, Co-Editor, New Politics (USA)
Samuel Farber, Professor Emeritus, City University of New York
Richard Modiano, Director Emeritus Beyond Baroque Foundation

Stanley Heller, host of “The Struggle” Video News

Frieda Afary, Producer of Iranian Progressives in Translation

John Reimann administrator, oaklandsocialist.com
Yasser Munif, Emerson College, USA

Mary Rizzo activist/translator Italy

Joshua Ram Writer San Francisco

Amina Ali, writer and human rights activist, New York, NY, USA

Cheryl Zuur, former president of AFSCME Local 444 in Oakland, California.

Rohini Hensman, writer, researcher and activist, India.

Thomas Harrison, New Politics editorial board.

Andrew Kliman, Marxist  Humanist Initiative,

Anne Jaclard, Marxist Humanist Initiative,

Jason Schulman, NYC Democratic Socialists of America Mark Boothroyd, Guy’s and St Thomas’ Trust NHS Unite Branch Secretary, London
Daniel Randall, Assistant Chair, RMT London Underground Bakerloo line branch
Sacha Ismail, Unite the Union member, London
Greg Schwartz, London
Alena Ivanova, Glasgow
Angela Paton, Unite Community & Labour Party, Kilmarnock
Pete Firmin, Vice Chair, Brent Trades Union Council, London
Patrick Murphy, National Executive member National Education Union, Leeds
Omar Raii, UCU member, London
Eamon Murphy
Graham Korn, National Education Union, London
Patrick Markey, NEU, Northampton
Eddie Rowley, London Met University Unison Branch
Daniel Nichols, Political Officer, Romford CLP, London
Steve Chapman, Sheffield Heeley Labour Party, Campaigns Co-Ordinator
Duncan Morrison, Joint Branch Secretary, Lewisham NEU, London
Vicki Morris, Branch chair, Nottingham University Unison
Adam Stansby, Bristol
Om Herekar, London
Fazlur Rahmat, Ternate, Indonesia, Pendidikan Sosialis Indonesia
Philip Wills, New Zealand
Mick Sidaway, RMT, North Norfolk Labour Party, North Walsham
Vincent Wong, PhD Student at Osgoode Hall Law School, Toronto
Charlie Morgan, London
David Kirk, Leeds
Corinna Lotz, Real Democracy Movement, London
Robbie Griffiths, Real Democracy Movement, London
Richard Abernethy, International Marxist-Humanist Organization, Oxfordshire
Kevin B Anderson, University of California, Santa Barbara, Los Angeles
Kieran Durkin, York
Bill Young, International Marxist Humanist Organization, Chicago
Zahoor Ahmad Wani, IMHO, Kashmir
Cathy Nugent, Goldsmiths UCU, London
Liam Murphy, Unite Member, Leeds
Abel Harvie-Clark, South London
Robert Deed, Herefordshire