Soudain, les médias français ont découvert l’existence de l’Ukraine et d’un risque de guerre en Europe : Macron est « allé voir Poutine », quel homme !
Et comme chacun est censé le savoir, avec Poutine, c’est d’homme à homme que l’on cause. Et dans la V° République française comme dans la démocrature russe (qui est constitutionnellement ce qui s’en rapproche le plus en Europe), les présidents sont de vrais hommes !
La mise en scène grand-guignolesque des deux hommes-présidents au bout d’une très longue table dans un grand château, digne de Bram Stocker, le confirme !
Comme il est permis d’imaginer que les contacts sur les vrais sujets-qui-fâchent avec Poutine, à savoir la mainmise néocoloniale des commandos Wagner à Bamako à la place de la mainmise néocoloniale de la Françafrique, et les connexions russes dans la campagne présidentielle française, sont traités via les officines spécialisées françaises et russes, également appelées « les organes », ce voyage macronien n’avait donc pas vraiment de nécessité diplomatique d’envergure mondiale.
Son résultat, prévisible car convenu à l’avance (mais qui nécessitait l’orchestration de ce voyage pour être mis en avant, à la manière de Sarkozy allant jouer les fiers-à-bras en Géorgie en 2008 pour entériner les positions militaires russes sur le terrain), a été ainsi résumé par Macron, dans sa conférence de presse de K’yiv tenue à côté de Zelenski :
« La détermination partagée à mettre en œuvre les accords de Minsk est le seul chemin permettant de construire la paix (…). Le président Poutine m’a assuré de sa volonté de maintenir la stabilité et l’intégrité territoriale de l’Ukraine. »
Décryptons.
L’homme-président Poutine a assuré l’homme-président Macron de garantir le territoire ukrainien, sachant qu’il a annexé la Crimée et installé ses troupes sous faux-nez mal dissimulé au Donbass depuis 2014. Sur cette base, l’homme-président Macron a promis à l’homme-président Poutine d’enjoindre le clown-président Zelensky de « mettre en œuvre les accords de Minsk« . Que contiennent les accords de Minsk ? Ils contiennent une « fédéralisation » de l’Ukraine qui incorporerait telles quelles, avec leurs occupants sous faux nez, les deux régions de Donetzk et de Louhansk, avec droit de veto sur les lois fédérales et les décisions diplomatiques.
Comme Biden, Macron dit défendre la « souveraineté ukrainienne » dans le choix des alliances (l’OTAN). Mais en même temps, comme Biden, il dit soutenir les accords de Minsk qui prévoient une souveraineté limitée pour l’Ukraine, sous veto russe via les deux régions occupées sous faux-nez, et précise d’ailleurs que la demande du pouvoir ukrainien d’adhérer à l’OTAN est dans un tiroir : ils ont le droit de demander. Si les accords de Minsk s’appliquaient, ils ne l’auraient même plus, comme sur tout autre sujet, Moscou ayant retrouvé un droit de veto sur toute décision prise à K’yiv, comme avant 1991. Et le tour est joué !
De manière plus hypocrite que Berlin, Paris comme Washington éprouvent une indifférence totale envers la question tout à fait réelle et centrale du droit de la nation ukrainienne à l’intégrité territoriale et à ne pas vivre sous la menace.
De cela, ils n’ont cure. Par contre, une attaque militaire russe et, déjà, l’actuelle démonstration de force militaire et le fait que s’étant beaucoup avancé, il est délicat pour Poutine de reculer, les inquiètent, car cela met en jeu les rapports de forces entre impérialismes, juste après le retrait nord-américain d’Afghanistan, et alors que les préparatifs de guerre conscients ont pour enjeu Taïwan et non l’Ukraine, et les relations entre les deux principaux impérialismes, US et chinois, et non la place du plus agité d’entre eux avec le français : le russe. Ils n’ont cure de l’Ukraine, ils n’ont cure qu’un État dénucléarisé par traité en 1994 soit au centre de menaces, y compris nucléaires. Mais une avancée militaire russe en Ukraine les gênerait comme démonstration de puissance, sans parler de l’encombrante résistance populaire qui s’ensuivrait.
Donc : « Vladimir, d’homme à homme, on va t’aider à les entuber avec les accords de Minsk ces Ukrainiens, mais, s’il te plaît, renvoie tes missiles Iskander et ta quincaillerie en Sibérie, ou à Almaty, où tu peux cogner tant que tu veux et d’autant plus que ton emprise y inquiète Xi Jinping !«
Nos médias seront bien entendu totalement silencieux sur la véritable épine dans le pied des gesticulations militaires poutiniennes que sont les grèves qui reprennent dans l’ouest du Kazakhstan, d’Aktau à Zhanaosen, et notamment dans le plus grand producteur mondial d’uranium, Kazatomprod !
VP, le 08-02-2022.