« Il reste des gens qui ne veulent pas nous rendre notre passé, car ils espèrent que notre futur sera pareil. »,
Kamil Ikramov, fils d’Akmal Ikramov, victime du 3° procès de Moscou,
Les nouvelles de Moscou, 1° mai 1988.
Image épinglant cet article : source Cahiers du Mouvement Ouvrier n° 9 p. 75. Valeri Bronstein était le seul survivant de ce nom de famille en URSS. Source de la photographie des soldats ukrainiens à Petrograd : le livre Oukapisme, une gauche perdue (v. bibliographie).
Le mobile du présent article pourra surprendre certains camarades : valait-il bien la peine de traiter autrement que par le mépris un pensum de près de 900 pages visant à nous expliquer que les accusations des procès de Moscou contre Trotsky étaient bien réelles, car celui-ci avait partie liée avec les nazis, notamment Rudolf Hess, auquel il avait promis de livrer l’Ukraine ? On pourrait se dire que mieux vaut en rire, et rire et mépris sont ici tout à fait salutaires. L’ouvrage en question, intitulé Le vol de Piatakov, nanti d’une couverture consistant en un portrait de Léon Trotsky défiguré d’une croix gammée, pondu par trois « essayistes italiens » et traduit en français par le responsable d’une maison d’édition (Delga) offrant d’autres ouvrages de révision de l’histoire, est défini par ses promoteurs comme réglant définitivement leur compte aux trotskystes : puisqu’il est « prouvé » que Trotsky avait tendu la main à Rudolf Hess, si les trotskystes sont des communistes sincères ils n’ont plus maintenant qu’à se faire hara-kiri et à rejoindre les derniers staliniens, pour leurs combats contemporains contre le « capitalisme anglo-saxon », le « sionisme » et leur « mondialisation », aux côtés des pays « communistes » et tout autant nationaux et traditionalistes, impérialismes russe et chinois. Il est certain que cet appel à l’union sacrée n’entraînera personne.
Mais il y a pourtant plus important : en ce XXI° siècle où rodent la catastrophe climatique, la guerre et les pandémies, mais où des insurrections populaires déferlent dans des dizaines d’États que ceux-ci soient « néo-libéraux » ou « anti-impérialistes », se pose gravement la question de s’organiser pour que tous ces soulèvements soient victorieux, renversent le capitalisme et tous les impérialismes (le chinois et le russe y compris, soyons bien explicites !), et assurent la survie de l’humanité, de la biosphère et de la culture. Or l’organisation pour gagner, internationale et dans chaque pays, si elle ne procédera certainement pas de la croissance de quelque « embryon du parti révolutionnaire » autoproclamé que ce soit, nécessite la liaison, le débat et l’appropriation de l’histoire et donc la compréhension de ce qui a raté au siècle précédent, ce XX° siècle dont les miasmes pourrissent parmi nous pour nous faire à nouveau trébucher. La question du stalinisme est et demeure incontournable, d’autant que les impérialismes russe et chinois en sont les produits directs. Il est donc inévitable que la falsification des combats passés, des victoires et des défaites, des espoirs et des trahisons, revienne dans l’actualité.
De ce point de vue, la petite musique des groupuscules staliniens n’a que l’importance que lui confère la nécessité, pour les classes dominantes, d’empêcher les opprimés de se saisir de leur propre expérience. Mais c’est là une importance réelle. La petite floraison de prétendus « historiens » entendant calomnier le trotskysme, et les révolutions du premier XX° siècle, dans certaines universités, non pas chinoises, ni russes, mais nord-américaines, en est un signe, pendant que le régime chinois fait ouvertement de l’histoire une question gérée par l’État et que le régime poutinien, qui veut dissoudre Mémorial au moment où sont écrites ces lignes, a entièrement repris les pratiques et les conceptions du stalinisme et du brejnévisme, refusant que le peuple russe et ses voisins connaissent leur propre histoire, car c’est l’histoire de la révolution et de la contre-révolution.
Lire le texte complet au format PDF

Une précision : Valeri Bronstein n’est pas le seul survivant de la famille de Trotsky (il était son arrière-neveu), mais le seul survivant du nom de Bronstein en URSS.
D’autre part, une biographie de Piatakov est récemment parue en russe, il faut la rajouter à la bibliographie :
Valerij Soldatenko, Georgij Piatakov : Oponenk Lenina, Sopernik Stalina [opposant de Lénine, rival de Staline], Moscou, ROSPEN 2017.
VP.
J’aimeJ’aime
Salut camarades,
Merci au camarade Vincent Présumey pour ce long texte (61 pages) captivantes en réponse au « Vol de Piatakov », des éditions Delga…
Texte à lire ! Le combat pour l’Histoire, c’est primordial pour des marxistes vivants !
Connaitre notre propre Histoire c’est vital, car c’est l’histoire de la révolution et de la contre-révolution, quand il était « Minuit dans le siècle » écrivait Victor Serge…
En Ukraine suite à la photographie et de l’Histoire du mouvement révolutionnaire à rappeler sans doute la Makhnovchtchina, qui combattait aussi les Blancs pendant la guerre civile en Russie…
Fraternellement,
Laurent Gutierrez
J’aimeJ’aime
Merci pour ce texte passionnant. Bravo pour ce travail !
Quelques remarques secondaires. Certains passages sont écrits trop vite, il faut être très initiés pour suivre. D’autre part, il ne faut pas abuser, à mon avis, du style « ironique » : sinon par moment, on ne sait plus qui a dit quoi. Enfin, « espingouins » est un terme vaguement xénophobe qui désigne des espagnols, pas des italiens.
Fin novembre il y a eu à Paris (rue Vieille du temple) le « Salon de l’Autre livre » où mon éditeur (« A plus d’un Titre ») m’a convié pour y défendre mon essai « …Ni Tribun ». Son stand était voisin de celui de Delga ! Et ce pavé infect était sur la table. Une série de souvenirs de ma jeunesse auprès de Chisserey et des frères Malapa me sont revenus. … Autre temps, autres mœurs…
Ceux qui « tenaient le stand » était deux jeunes gens perpétuellement agités de fous-rire… qui ne semblaient pas avoir la moindre idée de l’indécence de leur marchandise…
Plusieurs années auparavant, j’ai rencontré un dirigeant de Delga, dans le stand des auteurs de la fête de l’huma, où j’étais pour un autre livre « Le Paradoxe de Fermi ». J’avais écris à Jean Salem (le fils de Alleg) à propos de « Résistances », pour polémiquer avec lui (dans mon souvenir, c’était un livre assez sincère). J’ai accroché le directeur de Delga sur le fait que Salem ne m’a pas répondu, et il m’a dit qu’il était très malade.
Il serait tout de même très intéressant de savoir comment est financée cette maison d’édition.
J’aimeJ’aime
Outre son financement , il serait intéressant d’étudier sa diffusion….. J’ai eu la surprise de les trouver lors d’une fête départementale du PCF…….Résultat je pense d’une approche discrète du PRCF……
J’aimeJ’aime
Jean-Pierre, ta remarque sur les épithètes ironiques est sans doute juste, mais mettez-vous à ma place ! Je suis certainement l’un des très rares personnes, avec son traducteur, à avoir réellement lu ce pavé indigeste. Je ne crois pas, en effet, que ceux qui le défendent aient la capacité mentale de tout lire : ils parcourent, sont bluffés (il ne leur en faut pas beaucoup), et croient sur parole. Et des épithètes ironiques, il en vient, c’est salutaire, en lisant ce machin : je peux vous dire que j’ai atténué ce qui me venait à l’esprit !
VP
NB – le fait qu’en réalité ce genre de produit n’est réellement pas lu, pose d’ailleurs un problème : déniaiser et rétablir la vérité demande d’autres moyens qu’un long article comme le mien, même si celui-ci est à mon avis la base indispensable.
J’aimeJ’aime
Oui ton article est remarquable et j’ai beaucoup d’estime pour ton courage et ta compétence sur ces sujets. Jamais je n’aurais eu pour ma part le courage de lire ce monument de bêtise perverse.
Rien qu’en explicitant plus largement les passages que quelqu’un qui n’a pas lu Trotski et Broué ne peut guère comprendre, il y a de quoi faire un essai de 150 pages. Cela pourrait avoir un sens, à condition de ne pas focaliser uniquement sur cette merde.
En effet, comme le dit Fabien, il est intéressant de noter qu’il doit exister des complicités au sein du PCF, même marginales.
J’aimeJ’aime
Une polémique tout aussi détaillée contre le stalinien Grover Furr serait la bienvenue.
J’aimeJ’aime
Tout à fait. Mais cela pose la question des moyens que l’on se donne – là je me suis procuré la chose (29 euros !) et y ai consacré un certain temps. Ce travail devrait être une affaire collective.
J’aimeJ’aime