Nous avons plusieurs articles contradictoires à la position exprimée ici sur le boycott de la présidentielle, avec demande notamment de les publier mieux qu’en courrier des lecteurs. Nous les publions donc très volontiers, en appelant aux réponse et à la discussion.

Contribution de JM Borel

D’abord, une campagne de boycott politique c’est pas quelque chose qui déclenche l’enthousiasme. C’est un outil de résistance plus qu’un outil de conquête (cf le BDS). L’enthousiasme en politique c’est essentiel pour faire de grandes choses. Et c’est peut-être ce qui manque le plus en ce moment à gauche…

Des chiffres : selon les sondages, 70% des électeurs de gauche se prononceraient pour une candidature unique. Aucune raison d’en douter, les électeurs savent que c’est la seule chance de battre Macron-Lapen. Et la Primaire Populaire (bientôt 250.0000 signataires) d’ ajouter : « sur un socle programmatique commun ! » : çà tombe bien il est disponible ! Cf ici.

Depuis 2002, la participation à l’élection présidentielle se maintient à un niveau élevé, 70% en moyenne, 77% en 2017, tandis que la participation aux législatives, elle, ne cesse de baisser, passant de 64% en 2002 à 48% en 2017. C’est un fait, la différence de participation est de plus en plus accusée entre les deux échéances, quoi qu’elles soient très étroitement liées. Il s’agit peut-être d’une tendance lourde, on peut penser qu’elle s’accentuera encore comme on peut penser le contraire, personne n’en sait rien. Vous évoquez Mai 68 et ses suites immédiates. En Juin le fleuve rentra dans son lit au grand soulagement des appareils politiques et surtout syndicaux de la gauche d’alors, c’est exact. Et la France bourgeoise, petite-bourgeoise et paysanne apeurée a pris sa revanche dans les urnes. Mais la France de 2021 n’est plus celle des bataillons ouvriers de Mai 68, la situation n’est en rien comparable au Hirak algérien, pour ne rien dire de la glorieuse Russie bolchevick de 1917 qui appartiens l’Histoire.

Aujourd’hui que leurs capacités d’encadrement sont quasiment réduites à néant en cas de crue soudaine (Gilets Jaunes), il s’agirait, selon vous, de « radicaliser » le refus de participation à cette élection-clé (c’est déplaisant pour des cercles marxistes mais c’est ainsi que la présidentielle est très largement perçue)… tout en participant à la suivante ! Ceci afin de délégitimer et affaiblir le monarque républicain qui est la clé de voûte politique de ce régime. Vous écrivez que  » Le véritable obstacle, la véritable difficulté, réside dans la position des appareils et organisations existants qui, s’ils n’ont plus de capacité de mobilisation, ont une capacité de nuisance et de siphonnage. Et l’une de ses dimensions est le rêve de l’ « unité à gauche » allant tout droit (…) à une nouvelle déception. »

Ces appareils sources de tout mal, ces appareils qui parvenaient facilement à circonvenir et dévoyer les luttes lorsqu’ils étaient puissants et écoutés, cultiveraient des rêves d’unité, aujourd’hui alors qu’ils ne pèsent plus comme jadis ? Depuis quand l’unité de ses organisations est-elle devenue préjudiciable à la mobilisation dans le mouvement ouvrier et populaire ? Comment faites-vous pour retourner une réalité en son contraire ? C’est drôle, mais jusqu’ici, je ne les ai pas beaucoup entendu prêcher pour l’unité de la base au sommet face à Macron-Lapen-Zemmour, les Jadot, Roussel, Mélenchon, Poutou, Martinez etc. ? Depuis peu, Montebourg et Hidalgo – qui ne décollent pas – on mesuré le danger ; les autres continuent de prêcher chacun pour sa chapelle. Ridicule. Il faut leur mettre une pression maximale, tous n’ont certes pas les mêmes idées à l’iota près, mais le minimum est que tous répondent des aspirations de leur camp social sous peine de discrédit général de la gauche pour de longues années.

Le boycott de la présidentielle viserait à donner une consistance à la désaffection populaire pour le jeu politique institutionnel. Vous l’envisagez peut-être un peu vite comme facteur d’ un prochain raz-de-marée populaire, qui in-fine accouchera d’une Constituante, qui elle-même finira de balayer les institutions actuelles… J’ai bon ? Redescendons sur terre et revenons aux conséquences concrètes de ces histoires de baisse du taux de participation sous la Vème remastérisée par Jospin…Il ne vous a certes pas échappé qu’un taux de participation minable aux législatives, comme celui de 2017, ne limite nullement « l’effet de sillage », pas merci, Jospin. Dit autrement l’hypothèse la moins farfelue pour 2022 est, quand même, que la prime majoritaire ira aux candidats investis par le monarque élu ou ré-élu, comme en 2012 et comme en 2017, ceci quel que soit le taux de la participation. Cette hypothèse est forte, au point que dans l’opposition de gauche, de bons samaritains avec leur stratégie du trou de souris la reprennent à leur compte, et donnent à croire que leur élection en mai ouvrirait la porte à une majorité sociale et parlementaire porteuse de révolution démocratique, sociale, écologique et redistributive en juin (puisque c’est écrit dans leur programme 🙂

Qui peut croire une seconde à pareil scénario ? Sans constitution d’un front populaire social et écologique face à la droite extrême et à l’extrême-droite dès le premier tour de la présidentielle, sans accord général au sein de celui-ci pour les législatives, les gauches comme les tenants du boycott « révolutionnaire » seront cornérisés, réduits à se partager quelques dizaines de circonscriptions sur un coin de table…

Ceux qui se contentent de faire miroiter leur programme (quand ils en ont un) chacun pour sa pomme sont des charlatans. Et il n’est pas douteux, en admettant qu’elle parvienne à se déployer, qu’une campagne de boycott « révolutionnaire » de la présidentielle en France serait de nul autre effet que de se faire plaisir sans faire rien avancer. Dans ces conditions autant appeler à voter génériquement pour l’un des candidats d’extrême-gauche, si tant est que les uns ou les autres parviennent à réunir leurs parrainages.

Si rien ne bouge à gauche une nouvelle et lourde défaite se prépare pour notre camp social, ce pronostic partagé doit pousser chacun à agir, d’urgence. Pour commencer, j’invite tout le monde à signer et faire signer sans tarder pour la Primaire Populaire, une vraie campagne politique de masse, portée par des vrais gens ultra-majoritairement jeunes et déterminés, car c’est la seule campagne pour l’unité digne de ce nom, et qu’elle commence tout juste, après des mois d’efforts, à engranger les fruits de sa détermination.

Jean-Marc Borel, Grenoble, le 09/12/2021.

Contribution de Marc Daniel Levy

À PROPOS DE  L’APPEL : « VERS LE BOYCOTT CONSTITUANT DE LA PRÉSIDENTIELLE »

Membre du comité de rédaction de la revue en ligne «Arguments Pour la Lutte Sociale », je n’ai pas signé et je ne signerai pas cet appel à ce stade, pour un faisceau de raisons sur lesquelles je me suis déjà exprimé à plusieurs reprises auprès de mes amis d’Aplutsoc en réunion restreinte ou élargie, comme lors de notre réunion publique à Paris le 2 Octobre : cet «Appel» pour ce qui concerne notre petit « centre politique » vient en effet de plus loin et j’avais déjà émis des réserves sur la pertinence de se prononcer déjà il y a près d’un an pour la mise en avant d’une perspective de boycott sur laquelle semblait s’orienter déjà « le groupe ».

Ce n’est était pas, ce n’est toujours pas une question de principe ni de bien-fondé sur le fond : toute l’histoire de la V ème république et en particulier les 20 dernières années démontre à celles et ceux qui ont eu les moyens d’y réfléchir un peu sérieusement, la perversité et le piège que représentent pour la majorité sociale du pays, les salarié(e)s et la jeunesse, les institutions mises en place par de Gaulle et en particulier, leur clef de voûte, l’élection prétendument démocratique au suffrage universel, non d’un président de la république mais bien celle d’un ersatz de monarque aux pouvoirs exorbitants pour 5 ou 10 ans ( 7 ou 14 auparavant…)

Toute la question est évidemment CELLE DU MOMENT où il est saisissable d’avancer cette perspective de boycott, même «constituant » :

le moment  est-il venu, les illusions sur la possible élection d’un représentant de notre camp social comme solution « la plus économique » pour commencer à mettre un terme à la politique entièrement au service des riches de ce régime et du détenteur actuel de la fonction sont-elles suffisamment dissipées ? Et comment « éviter » que se poursuive encore la recherche, même du « trou de souris », même de plus en plus désespérée au fur et à mesure que les mois passaient et que l’échance légale se rapprochait dans la division acharnée et la dispersion des candidatures de « la gauche sociale et écologiste »  ? 

Alors « boycott » pourquoi pas, pourquoi pas même nécessairement .. MAIS si nous n’arrivons pas avec « notre classe » et ses alliés pendant, disons, LES QUELQUES SEMAINES UTILES OÙ PEUVENT SANS DOUTE ENCORE ÊTRE BATTUS LES NAUFRAGEURS persistant dans leurs candidatures de division, si nous n’arrivons pas à aider à ce que se dégage QUAND-MÊME, oui, et sans même une grande chance qu’elle triomphe, une candidature la plus unitaire possible mais sachant redonner du souffle et du punch politiques à celles et ceux qui se battent déjà avec vigueur sur le terrain des revendications salariales et autres et pour leur protection contre les absurdités de la politique  (anti)sanitaire de Macron et des siens, comme avec détermination la population laborieuse de Guadeloupe, Martinique et des autres départements et « territoires d’outremer »  ?

MDL, le 12-12-2021.

Réaction à la contribution de J.M. Borel, Vincent Présumey.

Tu démarres fort, Jean-Marc, par une affirmation subjective qui dénote une confusion totale sur ce que nous faisons : aucun enthousiasme dans un boycott ! Nos deux appels au boycott de la présidentielle (le premier, d’Aplutsoc seul, début novembre, le second actuel et large) visent à intervenir, pas à se détourner. Ce dernier appel a été rédigé et signé avec enthousiasme. Nous sommes interventionnistes.

Mais ne parlerais-tu pas pour toi ? Ce que tu écris dénote en effet un singulier manque d’enthousiasme. Et c’est normal : sans perspective politique, sans la perspective de porter un coup au régime, pas d’enthousiasme possible. L’enthousiasme, ici, est avec le boycott.

Tu nous dis que « 70% des électeurs de gauche » veulent une candidature unique. Mais il manque quelque chose à ces chiffres, comme dans tous les sondages : ce sont ceux qui déjà annoncent qu’ils n’iront pas voter, majoritaires dans ce qui fut le « peuple de gauche ». Ceux qui comptent voter et se situent dans le cadre des candidatures existantes aimeraient bien qu’il y en ait moins voire une seule ; ce n’est pas un scoop. Mais je ne crois pas qu’ils « savent », comme tu l’écris, que c’est là la seule chance de gagner. Car ils pensent que la défaite – ce que serait pour eux, et pour toi, la défaite : participer aux présidentielles pour perdre – aura lieu quand même.

Les comparaisons que tu fais ici avec le Hirak, la Russie bolchevik, « les bataillons ouvriers de Mai 68 », n’ont aucun sens – elles ne font pas partie de notre argumentation en ce sens que nous ne les utilisons pas pour dire que c’est semblable ici – aucun sens si ce n’est de se raconter que c’est bien triste, bien difficile et bien dur, comme si nous ne sortions pas d’un quinquennat où la prise d’assaut de l’Elysée fut proche de se produire (il s’agit là d’un fait, pas d’un fantasme sur la « Russie bolchevik » …) … Voilà qui éclaire surtout ton affirmation initiale sur l’absence d’enthousiasme.

Ceci dit, le taux de participation aux présidentielles est en général le plus élevé, ceci non plus n’est pas un scoop. Il a cependant atteint son niveau le plus bas en 2017, surtout au second tour que tu ne cites pas (74,5%) – pour rappel le taux de participation à la première présidentielle que fut en fait le référendum gaulliste de 1958 était de 99,42 % ! C’est à la présidentielle que nous nous attaquons, en sachant très bien que pour la V° République, un taux de participation le plus élevé possible y est une nécessité fondamentale.

Tu dis que nous voulons « radicaliser » l’abstention. C’est ton terme. Le nôtre est plutôt : exprimer son contenu. Quant au fait que la présidentielle soit l’élection clef, il est pour nous une donnée décisive que ne nous « déplait » en rien : nous l’affrontons.

« Depuis quand l’unité de ses organisations est-elle devenue préjudiciable à la mobilisation dans le mouvement ouvrier et populaire ? » « L’unité de ses organisations » est une formule qui en elle-même ne veut rien dire. L’unité, c’est contre le capital et son État. Il y a actuellement unité des directions pour des candidatures dispersées dont aucune ne remet en cause le cadre fondamental de cet État – l’élection présidentielle – et un petit codicille à cette unité dans la division en défense des institutions existantes, qui consiste à « exiger » de Jadot et de Mélenchon qu’ils entrent dans la « Primaire populaire ».

Svp, ce serait bien d’éviter les formules ironiques sur les « appareils sources de tout mal » suggérant que nous serions des sortes de forcenés à l’ancienne qui n’aiment pas « les appareils ». Non, nous ne les aimons pas. Les appareils protègent-ils ce régime, oui ou non ? Ont-ils sauvé Macron, oui ou non ? Nous disons oui, ce qui n’a rien à avoir avec une quelconque diabolisation, et tout à voir avec l’intelligence la plus élémentaire des réalités. Ce sont les masses qui ont tenté de renverser Macron et les appareils qui l’ont sauvé. Cela n’est pas du manichéisme, c’est, encore une fois, l’intelligence la plus élémentaire de la réalité.

Tu nous prêtes l’ardent désir que notre campagne finisse par faire de la législative une constituante. « J’ai bon ? » Non, tu n’as pas bon. Nous ne faisons aucun pronostic inéluctable, nous menons des combats. La logique politique de notre bataille contre cette présidentielle conduit bien entendu à discuter des candidatures anti-V° République aux législatives. Mais le résultat de la lutte, c’est la lutte qui le donne et ceci ne dépend pas principalement de nous, nous avons tout à fait les pieds sur terre à cet égard. Une abstention majoritaire aux présidentielles et un fort mouvement organisé de comités populaires pour le boycott pourraient en effet favoriser de telles candidatures aux législatives et l’appel à en faire un référendum révocatoire contre le président élu. Mais nous n’en sommes pas là, nous ne vendons pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué. A la différence d’ailleurs des affirmations auxquelles personne ne croit sur la candidature unitaire avec le bon programme clef de la victoire …

Nous ne prétendons pas que nous allons gagner, mais nous avons une orientation à proposer pour mener le combat, pour avancer dans les différents développements politiques possibles. Il vaut le coup de comparer cette méthode à celle qu’ici tu nous proposes : parier sur la « Primaire populaire » en la considérant comme la dernière chance …

Pour finir, j’ai jeté un coup d’œil au programme de la « Primaire populaire ». Franchement, c’est de l’eau tiède pour bac + 7. Ce ne sont ni une « convention citoyenne sur la démocratie pour passer à la VI° République en 2025 au plus tard », rééquilibrant parlement et président (que l’on conserve donc), reconnaissant le vote blanc …, ni la désignation de salariés dans les Conseils d’administration (pratiquée en RFA depuis l’après-guerre), qui menacent l’Etat et la propriété, alors qu’il y a urgence. Il faudrait donc s’unir pour garder le président et le capital. Non pas que j’attache une grande importance à ces fadaises « programmatiques », mais elles sont révélatrices d’une chose : que cette opération se situe à 100% dans le cadre de l’ordre existant.

VP

Remarque suite à la contribution de M.D. Lévy, par Vincent Présumey.

Sur le choix du moment, je pense pour ma part que le moment est mûr depuis un moment.

On ne voit pas quel pourrait être le candidat excellent franchissant le « trou de souris » qui rétrécit. L’épisode actuel du ralliement de Hidalgo et de Montebourg à la « Primaire populaire » est je pense en train d’en faire la démonstration finale (il est important sur un autre plan, celui de la crise du PS, mais il ne change pas la situation par rapport aux présidentielles).

Mais surtout, surtout, le « moment » découle d’autre chose, et d’autre chose d’antérieur qui provient de tout le quinquennat écoulé – ce qui justifie, soi-dit au passage, que l’appel commun parle initialement des violences de ce quinquennat sans remonter en général plus haut : Gilets jaunes, grève du 05/12/19, mouvement antipasse, prolongés actuellement par la grève dans l’ « outremer », ont modifié la situation. La recherche d’une issue politique par les plus larges masses s’est détournée des candidatures émanant des partis traditionnels ou moins traditionnels aux présidentielles, parce que cette recherche affronte directement le régime.

C’est fondamentalement cela qui justifie notre approche actuelle de ce scrutin là. Il me semble que Marc a tendance à justifier un éventuel boycott par l’échec des candidatures à gauche, leur division, leur mauvaise qualité, etc., et attends logiquement jusqu’au bout, lorsque plus aucun trou de souris hypothétique n’existera. Je dirai que cela, « l’état de la gauche », c’est assimilé par le plus grand nombre : on n’en est plus là, et si l’on considère que c’est une défaite, elle est consommée et date au moins de 2017 dans son accomplissement.

Le boycott c’est un début de contre-offensive, de redressement y compris sur le terrain électoral, loin d’en être une soi-disant « désertion » comme on se l’entend parfois dire.

On ne peut l’assumer qu’ainsi : comme un combat pour une victoire possible, et à ce titre, avec enthousiasme !