Un syndicaliste, un peu déçu par la journée d’action interprofessionnelle du 5 octobre, selon lui, « moyenne en termes de manifestations et faible en termes de grève » déplorait à l’intention des militants américains, lecteurs de la revue New Politics, que la « gauche syndicale » française incrimine l’inertie des directions syndicales pour ce demi-succès. Et de conclure que cette demi-déception du 5 octobre était due au manque de travail de terrain des sections syndicales d’entreprise. Ce qui n’est bien sûr pas, sous sa plume, « une critique de la base militante » mais un encouragement « à faire mieux la prochaine fois ». Le seul regret formulé à l’adresse des directions syndicales est qu’elles se soient séparées le 11 octobre, sans appeler à une nouvelle journée d’action. Qui elle-même aurait pu appeler à une journée d’action, etc, etc.
Depuis le printemps 2016 et les manifestations contre la « Loi travail », de plus en plus, ladite gauche syndicale et surtout, de manière bien plus significative, la masse des salariés, évitent ces journées en impasses.
Ni les uns ni les autres ne reprochent aux confédérations syndicales une supposée « apathie ». Chacun constate que leurs directions respectives doivent au contraire être extrêmement actives pour soutenir un système institutionnel qui prend l’eau de partout et un président qui risque à chaque semaine, après les GJ, la grève contre la réforme des retraites, la Covid, le passe sanitaire, le retour de l’inflation, de trébucher sur la nouvelle crise qui les emportera, lui et son régime. Le dialogue social bat son plein, concertation sur l’assurance chômage en vue de réaliser 1,7 milliards d’économie sur le dos des chômeurs, consultation sur le plan de relance, sur « l’évolution du système des retraites » et autres conférences sociales dans la foulée du Ségur de la santé. Toutes les directions syndicales nationales participent, dans des postures diverses, à la destruction des conquêtes ouvrières. Mais ce n’est pas pour elles le plus fatigant, il leur faut aussi organiser les journées de démoralisation, la distanciation sociale entre les manifestants anti-passe sanitaire et les bases syndicales, surtout celles des hospitaliers sur lesquels tombent les suspensions de salaire.
Notre problème vient-il de l’apathie de la base ?
Accordons au même article publié dans New Politics, qu’il le reconnait : « Il y a des luttes sociales ! »
Et de citer : « Aldi en Bourgogne, Bergams en Essonne, Knorr en Alsace, Arc en ciel à Paris-Jussieu, Transdev en Seine-et-Marne… » Cette dernière est significative : elle dure depuis début septembre, elle concerne les conditions de travail et salaires, dénonce le système d’appels d’offres qui organise, pour les patrons, toujours plus d’exploitation des salariés à chaque renouvellement de contrat ».
On pourrait actualiser et compléter la (longue) liste des grèves, parfois longues, parfois victorieuses qui mettent le feu à l’automne. Certaines sont surprenantes comme celle des cheminots qui semblaient démoralisés pour longtemps par la tactique des grèves perlées menées tous seuls pendant trois mois au printemps 2018 et qui ont débuté le 22 octobre une grève sur la ligne TGV atlantique. Alors que la Covid a modifié l’offre de transport et les conditions de travail, la SNCF veut installer dans la durée des conditions de travail dégradées avec des modifications d’horaires, des refus de prise de congés…En région PACA la grève du 14 octobre a connu une participation de 53% contre le transfert d’agents au privé et notamment à Transdev sur les axes les plus rentables comme Marseille-Nice. En même temps, les cheminots apprennent de la grève de Transdev ce que seraient leurs futures conditions de travail.
D’autres grèves se terminent début octobre avec la rage de reprendre « avant d’avoir obtenu tout ce qu’on demande », comme celle des éboueurs de Marseille, conducteurs et rippeurs, qui ont défendu leur durée de travail, le cycle des tournées contre les tentatives de les faire travailler plus et dont le dépôt a reconduit la grève à l’unanimité malgré la signature d’un accord de sortie de grève entre FO, syndicat majoritaire, et la Métropole.
D’autres s’étendent comme celle des salariés de Labeyrie (agroalimentaire). L’arrêt de la production a commencé spontanément sur deux sites avec 85% des 1000 ouvriers. La grève, que Labeyrie a tenté de qualifier d’abandons de poste, a ensuite été rejointe par FO et la CGT.
Le 25 octobre, c’est cette fois, à l’appel de la CGT que 200 travailleurs sans papiers engageaient un large mouvement de grève en Ile-de-France en manifestant aux galeries du Palais Royal, et en occupant les sièges des agences d’interim, pour dénoncer leurs conditions de travail et réclamer leur régularisation.
Le 1er octobre, après plus d’un mois de grève, les bibliothécaires de Grenoble étaient rejoints par une journée de grève nationale dans les bibliothèques et les services publics culturels. Au centre de leur combat, la fin de l’exigence du passe sanitaire dans l’accès aux bibliothèques. La menace d’entretiens disciplinaires le 16 novembre prochain amène les bibliothécaires à préparer une date de mobilisation nationale de leur profession, contre le contrôle du passe, le 10 novembre.
Cette question du passe sanitaire se retrouve bien sûr dans nombre de grèves et de manifestations du personnel hospitalier. Le plus souvent, si l’on constate que le rapport de force a interdit aux directions de établissements hospitaliers de prononcer des suspensions à hauteur du nombre de passes sanitaires non présentés, et heureusement loin s’en faut, les soignants suspendus et parfois saisis sur leur comptes bancaires au motif de trop perçu en septembre, ont généré autour d’eux des grèves et de forts mouvements de solidarité au niveau de villes entières. Les ARS continuant à fermer des lits et des services, ces luttes anti-passe se combinent avec des manifestations plus larges comme à Guingamp où 600 manifestants dénonçaient, le 23 octobre, la fermeture programmée des services de maternité et de chirurgie.
Le plus souvent, c’est une grave atteinte aux conditions de travail qui a servi d’élément déclencheur, les patrons essayant de gérer leurs difficultés de recrutement en augmentant la productivité et/ou la durée du travail plutôt qu’en proposant des salaires revus à la hausse à des demandeurs d’emploi. Mais très vite les grévistes ont évoqué une situation de plus en plus dominée par la hausse des prix de l’énergie et la reprise de l’inflation. Le retour des GJ dans le débat sur les taxes des produits pétroliers et les tergiversations de Macron entre chèque essence et prime inflation ont agrandi l’espace revendicatif : Ni chèque, ni prime, des augmentations de salaire !
L’exemple des grèves des sites de Transdev en est une illustration.

A l’origine de la grève, un de ces changements des conditions de travail que l’après confinement ou l’ouverture à la concurrence, mettent partout à l’ordre du jour. La mise en concurrence du réseau de bus en Ile-de-France introduite par Pécresse (présidente de la région et d’Ile-de-France Mobilités) entraîne la renégociation de l’accord-cadre entre Transdev et Île-de-France Mobilités. Les nouveaux accords impactent violemment les amplitudes horaires des conducteurs qui sont augmentées jusqu’à 14 heures par jour.
L’agenda de la direction était d’appliquer progressivement les nouveaux accords, dépôt par dépôt. Cette tactique a fonctionné et seuls les plus immédiatement concernés ont d’abord déclenché la grève et beaucoup se maintiennent en grève 6 à 8 semaines après le début du conflit (Chelles, Vaux-le-Pénil, Marne-la-Vallée, Vulaines…). D’autres ont récemment rejoint la lutte et opté pour des grèves intermittentes comme à Nemours ou Rambouillet. Beaucoup se maintiennent en grève continue (comme Chelles, Marne-la-Vallée, Saint-Gratien, Vulaines-sur-Seine, Vaux-le-Pénil)… La direction pense que le temps va jouer en sa faveur et essaye de faire signer, aux maillons faibles, une reprise du travail dépôt par dépôt. « Nous avions retravaillé les propositions qui avaient été faites sur les bases d’un protocole d’accord pour la sortie de crise, déclare Alain Moubarak, directeur chez Transdev. Mais ils ont fait part de nouvelles demandes et nous sommes donc toujours en désaccord. »
Les grévistes débattent entre eux. Tous les syndicats qui avaient, avant le conflit, signé des accords ont été obligés de soutenir la grève. Les grévistes se renforcent et manifestent avec les usagers dans les rues de Melun. Ils parlent de l’augmentation des prix, de l’inflation, du retour des Gilets Jaunes sur leurs ronds-points, de la baisse de leur rémunération prévue par Transdev qui ne payerait les pauses qu’à 50%. Il faut être Directeur chez Transdev pour s’étonner que dans le mouvement de nouvelles revendications apparaissent.
Le maire de Melun réclame au préfet d’imposer un service minimum, les grévistes s’organisent pour faire pression à la fois sur leur employeur, Transdev et son donneur d’ordre, Pécresse. L’idée de bloquer des ronds-points apparaît en même temps que les Gilets Jaunes reviennent dans le paysage. Les revendications salariales qui ne sont pas conditionnées par le calendrier de Transdev sont unificatrices. Même si les rythmes et les niveaux de mobilisation sont différents, chacun comprend que c’est maintenant que l’avenir se joue et pas la prochaine fois.
Il faut d’étranges lunettes pour voir, cet automne, un manque de combativité de la base sur le terrain, c’est avec les mêmes verres déformants qu’on peut voir les journées d’action de Martinez, Veyrier et consorts comme des temps forts. Heureusement, la vraie vie se passe ailleurs.
L’article de New Politics se conclut sur le déficit de perspectives politiques comme cause subsidiaire du demi-succès de la journée d’action du 5 octobre. Mais Martinez, Veyrier et Cie ont bel et bien une perspective politique : Que, sans accident, le mandat de Macron aille à son terme ! Que la campagne des présidentielles se déroule comme un bulldozer sur les luttes ! Et que le dialogue social puisse reprendre dans les meilleurs délais avec le prochain Bonaparte ! Pour n’être qu’implicite, la critique de cette orientation n’en est pas moins transparente et ressentie comme telle par le plus grand nombre des manifestants anti-passe abandonnés au cœur de l’été, par les soignants laissés en butte aux sanctions, par les bases syndicales enfermées sur leur périmètre.
Cette défense des institutions n’est bien sûr pas le programme de tous ceux qui mettent le feu à l’automne.
Au contraire, ces grévistes qui pourraient se renforcer et se nourrir de toute la dimension politique de leurs luttes trouveront dans une campagne pour l’abstention active, contre la présidentielle, une perspective nouvelle. A partir de là s’ouvre le projet de construire une Constituante, d’en finir avec la Ve République. Une vraie campagne qui donnerait avec et dans les grèves les plus significatives cette dimension de l’abstention active, dégagerait le mouvement social du piège de la présidentielle. Elle redonnerait aussi du sens aux assemblées de grévistes, comités de grève et collectifs de lutte en leur permettant d’exprimer complètement leurs exigences démocratiques.
Le 27-10-2021.
bonsoir,
Certes, l’abstention. Pourquoi pas ? Pour autant, les représentants de la bourgeoisie se précipiteront pour mentir et se déclarer légitimes au motif d’un 25 % approximatif. Alors, qu’en réalité, ce sera 13 % du corps électoral aux prochaines élections présidentielles. Ils passent leur temps à mentir et à invisibiliser la réalité des luttes sociales sous toutes leurs formes quand ils ne les écrasent pas. Après 1848, il a fallu attendre 1871 et la chute du régime. Le mouvement social français a alors été anéanti pour de longues années.
Depuis une décennie, dans le monde entier, et je suis d’accord avec vous, de toutes parts surgissent des mouvements sociaux. Pas de partis, rien qui se profile. Les nouvelles générations ont tout à reconstruire et devront prendre en compte la trahison des grands partis de travailleurs construits à la fin du XIX et au début du XXième siècles. Nos générations ne peuvent passer qu’un modeste relais aux nouvelles en espérant que les luttes actuelles, toutes générations confondues, préservent au minimum les conquêtes sociales dans l’attente de plus massifs mouvements sociaux.
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Bien évidemment en 2022, l’aspirant Bonaparte, aussi mal élu qu’il sera, se targuera de sa « légitimité démocratique » alors que sa désignation sera dans le meilleur cas à peine conforme à ses propres lois ( dépassements du budget de campagne, utilisation des mandats publics exercés au profit du candidat… toutes casseroles que traînent d’anciens présidents dont Sarkozy n’est que le plus maladroit). En fait il sera présenté comme représentant la « légalité républicaine ». Mais la légitimité voudrait un consentement majoritaire à son élection. Ce que la campagne d’abstention active peut interdire.
Personne n’aura la naïveté de demander au prochain Bonaparte de se retirer devant l’ampleur de l’abstention. Encore que tous ceux qui dans les mouvements sociaux crieront de plus belle « On vient te chercher chez toi » auront eux, plus encore de légitimité à le faire jusque dans la cour de l’Elysée.
C’est cet encouragement aux luttes sociales que représentent les mots d’ordre « A bas les présidentielles », « Abstention active », « Boycott » qui commencent à apparaître comme l’expression des grévistes, des anti-passe sanitaire ou des manifestants contre la fermeture des lits dans l’hôpital de leur ville.
Nous ne sommes pas dans la transmission d’expérience ou » le passage de relais » à d’autres générations. Nous sommes déjà dans l’affrontement avec le pouvoir exécutif comme le sont les travailleurs américains du « Striktober » , les travailleurs et paysans indiens, chiliens, colombiens, algériens, soudanais, bélarusses etc.
Les luttes sociales en France peuvent être fécondées des exigences démocratiques qui explosent partout.
Pour cela il faut faire sauter le verrou de la présidentielle que les directions des confédérations syndicales et des partis « de gauche » parviennent encore à imposer et qui handicape le mouvement de grèves et de manifestations. C’est le sens politique de l’abstention qui peut, pour la première fois en 2022, être plus nombreuse que les voix d’un soi disant président.
« L’abstention pourquoi pas ? » peut devenir « abstention active ! » si nous en popularisons le pourquoi.
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