Un appel en défense de la laïcité intitulé « Nous sommes la France d’aujourd’hui » vient de paraître à l’adresse suivante : https://www.laiciteunpointcesttout.fr/ . On relève dans les premiers signataires les noms d’Eric Piolle, maire de Grenoble, Europe Écologie les Verts (EELV), Clémentine Autain, députée de Seine-Saint-Denis, la France Insoumise (LFI), Manon Aubry, députée européenne, LFI, Elsa Faucillon, députée des Hauts-de-Seine, PCF, Eric Coquerel, député de Seine-Saint-Denis, LFI, Edwy Plénel, Médiapart, ceci pour les noms des responsables politiques les plus connus. A ceux-là s’ajoutent un certain nombre d’intellectuels connus pour leurs prises de position passées sur la question laïque ou sur le plan philosophique.
A mon sens le contenu de cet appel n’a pas grand-chose à voir avec la défense des acquis laïques et démocratiques contenus dans les lois organiques de 1882-1885 de fondation de l’enseignement public et laïque, puis de la loi de séparation de 1905.
D’abord le titre « Nous sommes la France d’aujourd’hui » transpire la vieille idée souverainiste, c’est-à-dire nationaliste que la France serait une exception dans le concert européen sur la question laïque. Faut-il rappeler que les gouvernements de droite et de gauche de la France dite laïque subventionnent dans des proportions plus importantes que les États européens sous régime concordataire ou monarchie constitutionnelle les écoles religieuses.
La laïcité n’est nullement une exception française, elle est le produit du processus de laïcisation des États qui s’amorce au XVIe siècle à l’est de l’Europe, dans les pays gagnés à la Réforme et en réponse au fanatisme et aux odieuses guerres de religion. Michel Eyquem de Montaigne, en sa qualité d’édile municipal, explique très bien que pour que la liberté de conscience soit possible, il faut que l’État soit séparé de tout pouvoir religieux. Marx parlera dans « Sur la question juive » de la sécularisation de l’État. La Commune de Paris, et plus généralement le combat du mouvement ouvrier s’emparant de la revendication de l’instruction publique, pousseront la bourgeoisie française à aller beaucoup plus loin qu’elle ne voulait aller. Il n’y a là-dedans nul cocorico…
Le paragraphe le plus contestable de cet appel est le suivant :
« Nous héritons des cultures juives, chrétiennes et musulmanes, de celles issues des philosophies émancipatrices, certains d’entre nous prient et lisent des textes sacrés, d’autres se revendiquent agnostiques ou athées, luttent contre les dogmes religieux ou répandent la bonne parole du pastafarisme, et certainement plus que tout cela, car nos identités ne s’arrêtent pas à nos héritages ni à nos pratiques. Tenter de nous y résumer, c’est déjà empêcher de comprendre l’autre. Tout comme une nation n’a pas à avoir d’identité, le français moyen n’existe pas, pas plus que celui de souche. »
Je m’étonne que les têtes pensantes philosophiques qui sont signataires n’aient pas eu les cheveux qui se dressent sur leurs têtes. Les cultures religieuses ne peuvent être mises en parallèle avec l’héritage des Lumières, qui lui, s’est affirmé contre ces dites cultures qui voulaient l’interdire. Même les institutions juives d’Amsterdam ont condamné le philosophe Spinoza pour avoir développé une position de nécessaire séparation du politique et du religieux. Quant aux religions catholique et musulmane, dans leurs fondements, elles ont toujours combattu l’hérésie ou l’état d’esprit du mécréant, du point de vue selon lequel l’organisation de la société ne peut être séparée de leur contrôle, le bras séculier obéissant au pouvoir spirituel. Mieux dans la conception théocratique, la société n’a pas d’existence propre.
Rappelons qu’une des premières décisions qu’avait prise le gouvernement de Charles De Gaulle, fondateur de la Ve République, ce fut de rétablir l’accord du trône et de l’autel. Il n’y a aucun élément de rupture qui permette de revenir, dans ce texte, sur la défaite infligée au mouvement laïque de ce pays en 1983 lors de la honteuse loi Savary, sous un gouvernement « socialiste ». Les lois anti-laïque Debré-Guermeur d’aide à l’enseignement confessionnel seront prorogées et aggravées. Le mitterrandisme se situera d’emblée dans la continuité du bonapartisme.
A partir du moment où un gouvernement donnait des fonds publics sous la houlette de Jack Lang pour la construction d’une cathédrale, celle de la ville nouvelle d’Evry, bien des collectivités locales se sont mises à financer des projets confessionnels sur des fonds publics.
Autre exemple : une revendication historique des laïques était l’abrogation du statut d’exception d’Alsace-Moselle, survivance dans la République française de la législation bismarckienne. Michel Rocard, premier ministre, avait réussi le tour de force de proposer l’alignement des autres départements sur ce système concordataire. J’en passe et des meilleures sur les innovations « socialistes ».
Alors oui, la loi de 1905 permet le vivre ensemble, parce qu’elle est fondée sur la liberté absolue de conscience. Pratiquer un culte relève d’une liberté d’ordre privé. C’est vrai aussi que la Commune de Paris a affirmé « comme première des libertés, la liberté de conscience, décret du 2 avril 1871 ». Sans doute, mais elle a aussi dans le prolongement de ce principe, interdit l’enseignement aux congrégations religieuses. Comme disait Marx : « elle a rendu les prêtres à la solitude de la prière, à l’instar de leurs prédécesseurs les apôtres ». C’est vrai surtout que les signataires de l’appel ont oublié que l’article II de la loi de séparation affirme que « la République ne salarie et ne subventionne aucun culte ». Le régime issu de 1958 a rétabli l’enseignement au profit des congrégations religieuses au nom de la liberté de l’enseignement, alors que ces dernières n’ont même plus aujourd’hui, compte tenu de l’effondrement des effectifs cléricaux, le personnel pour encadrer le projet pédagogique confessionnel de leurs écoles.
Les gouvernements successifs depuis 1958 n’ont cessé de faire pleuvoir sur les écoles du « séparatisme » la manne providentielle prise sur le trésor public. Le véritable « séparatisme », il est là et non du côté des citoyens de confession musulmane. Il concerne les rapports de l’État bonapartiste et de la hiérarchie catholique. Quand un gouvernement viole ainsi l’héritage de la légalité républicaine, il est logique que les courants intégristes qui existent dans toutes les religions, se sentent des ailes. Par exemple aujourd’hui des imams intégristes célèbrent clandestinement des mariages religieux : en cas de séparation des époux, la femme n’a aucun droit au regard de la loi puisque le mariage civil n’a pas été enregistré !
Le gouvernement Macron vient de dissoudre en juin 2021 l’Observatoire de la Laïcité, instance consultative, chargée de conseiller et d’assister l’exécutif en matière de respect des valeurs de laïcité, notamment dans les administrations publiques. Cette instance était présidée par l’ancien ministre « socialiste » Jean Louis Bianco. Les « observateurs » ont tellement bien observé que Macron a réussi à les foutre à la porte parce qu’ils n’ont « pas assez fait contre l’islamisme ». Le nouvel observatoire se recentre sous la direction du ministre de l’Intérieur…Marine Le Pen ne ferait pas mieux…
En fait cet appel est à côté de l’essentiel : à aucun moment il n’est question de recentrer l’offensive anti-laïque par rapport aux institutions bonapartistes qui la fondent et la justifient. Est-il exempt d’arrières pensées politiques pour la présidentielle de mai 2022 ? Certes non ! C’est une tentative de refabriquer une stratégie d’accord électoral EELV-PCF-FI, qui fait curieusement penser à l’alliance rouge-rose-vert de l’ex-gauche socialiste de Mélenchon-Dray-Lienneman.
La laïcité dans cette séquence de fin de règne n’a pas grand-chose à y gagner. Et ce n’est pas elle qui est l’enjeu ! Il s’agit, sur fond d’abstention massive des citoyens dans les élections, de tenter de recoller les morceaux d’une espèce de Front de Gauche bâtard. S’il fallait définir un programme, aujourd’hui, de défense de la laïcité, il faudrait détailler toutes les mesures réactionnaires prorogées depuis 1960, remettre à l’honneur les valeurs laïques en abrogeant le financement public des écoles du « séparatisme » scolaire, œuvrer pour une république sociale qui rompe les liens du « trône et de l’autel ». Ce qui met à l’ordre du jour la question de notre position vis-à-vis de la présidentielle de 2022.
PS : Pour les militants qui ont un peu connaissance de l’histoire du mouvement laïque de notre pays, le « un point c’est tout » fait référence à l’autobiographie célèbre de Fred Zeller, « Trois points c’est tout », qui fut responsables des jeunesses socialistes de la Seine, exclu par la SFIO en 1935 pour ses positions révolutionnaires, travaillant plusieurs mois en Norvège au secrétariat de Léon Trotsky, rejoignant les pivertistes, il construit les jeunesses du PSOP en 1938. En 1953 il rejoint la loge « l’avant-garde maçonnique » du Grand Orient de France, très impliquée dans les questions sociales, où il organise un groupe de militants issus du trotskysme et gagne la direction du GODF en 1971. Donc le titre du site « Un point c’est tout » est un clin d’œil appuyé à la Franc Maçonnerie, dont les positions actuelles – celles du GODF – sont loin d’être en rupture avec la Ve République.
R. Duguet, le 24-09-2021.