Le coup d’état perpétré par les militaires le 1er février dernier a d’abord provoqué une résistance qui est devenue en quelques semaines un soulèvement démocratique. Les premières manifestations réclamaient le respect des résultats électoraux ayant donné la majorité au parti d’Aung San Suu Kyi, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), et rejetant le plan de la junte militaire d’organiser de nouvelles élections dans un an.

L’Ancien président de l’association Info-Birmanie, Frédéric Debomy, insiste sur l’unité contre la junte militaire comme un élément politique nouveau par rapport aux coups d’état précédents : « Jamais sans doute l’armée birmane n’avait fait à ce point l’unité contre elle. En 1988, la plupart des Birmans – Birmans étant ici entendu au sens du groupe social majoritaire bamar – découvraient la brutalité d’une armée dont les minorités de ce pays étaient, elles, familières. En 2007, ce n’était plus une découverte. Mais cette fois, le chef de l’armée et auteur du coup d’État, Min Aung Hlaing, n’est pas seulement détesté : il est haï. Et à une population bamar unie dans un rejet sans précédent du règne militaire se joignent les autres composantes du pays. Les groupes armés des minorités qui avaient signé un accord de cessez-le-feu national l’ont dénoncé en soutien à la protestation publique. En outre, nombre de Birmans-Bamar semblent revenir maintenant de leur détestation des Rohingya, cette minorité musulmane qu’ils furent incités à rejeter. Plus que jamais sans doute, l’ennemi est perçu comme commun : c’est la Tatmadaw (l’armée birmane, ndlc) et plus encore son chef Min Aung Hlaing. »

En prenant conscience de leur unité, les manifestants expriment bientôt d’autres exigences démocratiques et d’abord celle d’en finir avec un régime qui va de coups d’état en crimes d’état, de répression barbare en assassinat des minorités ethniques avec dans le cas des Rohingyas, la complicité de la LND. Apparaît très vite la revendication d’une union démocratique pour changer de régime, pour en finir avec la répétition des coups d’état.

C’est alors que la répression s’exerce avec la pire violence en atteignant un sommet le dimanche 28 février où des dizaines de personnes sont blessées. Le Réseau Birman des droits de l’Homme (BHRN) a pu vérifier 17 décès de manifestants qui ont été abattus à balles réelles dans différentes villes du pays pour cette seule journée. En fait, début mars, c’est plus de 50 décès, pour la moitié des jeunes de moins de 25 ans, qui ont été confirmés par les organisations humanitaires. Elles estiment que plus de 1750 personnes ont été arrêtées, inculpées ou condamnées. Mais elles reconnaissent que le bilan réel pourrait être bien plus lourd, en comptabilisant les victimes de l’armée dans les zones reculées et sans présence médiatique.

Dans leur isolement croissant, la Tatmadaw et son chef Min Aung Hlaing imaginent de développer la terreur : tirs dans la foule le jour, arrestations à domicile la nuit, mise en liberté de milliers de détenus de droit commun pour incendier, casser du manifestant, répandre le chaos et justifier les reprises en main violentes des militaires. Parmi d’innombrables atrocités il y eut la profanation de la tombe de Kyal Sin, une manifestante de 19 ans, abattue d’une balle dans la tête et devenue un symbole du soulèvement qui recevait de très nombreux hommages : des soldats déterrèrent et emportèrent son corps au prétexte d’autopsie.

Alors que la barbarie se poursuit, le désespoir l’accompagne. Les Birmans demandent sur les réseaux sociaux combien faudra-t-il de cadavres pour que la communauté internationale se décide à intervenir ? Ils s’adressent aux organisations humanitaires, ils s’adressent aussi aux gouvernements, à l’ASEAN, à l’ONU. Ils réclament des sanctions économiques, l’embargo, le boycott. Mais, bien entendu, les calculs géopolitiques et les intérêts économiques des impérialismes ne vont pas militer pour la démocratie. La Russie et la Chine opposent alors leur veto à toute décision du Conseil de sécurité de l’ONU. Depuis le 1er février, les dirigeants de Pékin ne veulent voir dans le coup d’état « qu’un important remaniement ministériel », comme le rapporte le quotidien Global Times qui est l’expression anglophone du Parti communiste chinois. Le commandant en chef adjoint de la Tatmadaw craint d’autant moins les sanctions « auxquelles nous sommes habitués pour y avoir survécu dans le passé » qu’il sait pouvoir compter sur ses soutiens chinois : Nous devrons apprendre à marcher avec seulement quelques amis. »

De fait le cercle des amis se rétrécit, des ambassadeurs du Myanmar à l’étranger désavouent les militaires, des centaines de policiers et de soldats démissionnent.

Le mouvement démocratique birman a manifesté aussi contre le refus de la Chine et de la Russie de condamner ouvertement le coup d’État *. Et vient la conviction à partir des mouvements de désobéissance des fonctionnaires qui bloquent une bonne part de l’activité du pays, que la solution politique, la victoire sur la junte militaire viendra avant tout de l’intérieur.

Les syndicats birmans ont appelé à l’arrêt total de l’économie à partir du lundi 8 mars ce qui a entraîné fermeture des usines textiles, banques, commerces. Le Mouvement de désobéissance civile (MDP) s’est implanté dans toutes les villes de la Birmanie, avec des manifestations qui se multiplient chaque semaine.

En même temps, dans les multiples zones tribales (où les guérillas armées sont nombreuses) des soldats de l’armée Karen (KNU) ont escorté les manifestants pour éviter qu’ils soient pris à partie tandis que des soldats de l’armée birmane désertaient pour rejoindre leurs rangs.

Puisse cet exemple servir à l’ensemble des manifestants pour s’armer eux-mêmes, seul moyen en complément de la grève générale.

A tous les niveaux les défections s’accélèrent. La Chine et la Russie en viennent à hésiter. Leur soutien à la junte militaire se teinte de malaise. Pékin explique n’avoir « pas souhaité la situation actuelle » et « n’était pas au courant du projet de coup d’état »

Le mouvement syndical international lui n’a pas besoin de l’accord des impérialismes russe et chinois pour organiser un embargo sur les armes en se coordonnant avec le MDP et les syndicats birmans, pour limiter la capacité de l’armée birmane à fonctionner comme force d’occupation, et pour soutenir financièrement la grève générale. Pas besoin d’attendre pour exiger que soit annulé l’état d’urgence, que soient libérés immédiatement tous les militants et prisonniers politiques, que soient rétablies les libertés d’expression, de réunion, d’association, de manifestation. Pas besoin de s’interroger pour soutenir le droit du peuple birman de choisir son mode de gouvernement.

La détermination et le courage des démocrates birmans forcent l’admiration et exigent le soutien direct du mouvement ouvrier dans le monde. A Paris, le 8 mars, un premier rassemblement devant l’ambassade du Myanmar, a ouvert la voie de la solidarité internationaliste. C’est maintenant que la grève générale, la désobéissance civile comme disent les Birmans, a besoin de soutien.

Le 12-03-2021.

*Note

Sur le site du journal Le Monde, on peut lire ce jeudi 11 mars la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, votée ce jour à l’unanimité, que le Monde présente ainsi :

« Le Conseil de sécurité de l’ONU condamne la répression en Birmanie. La Chine appelle à la « désescalade » et au dialogue alors que la junte continue de réprimer les manifestations contre le coup d’État. »

Le Monde ajoute ce commentaire :

« Cette fois-ci, il a fallu cinq jours de négociations pour arriver à cette prise de position épurée : Chine, Russie, Inde et Vietnam ont refusé d’intégrer, par rapport au texte préparé par le Royaume-Uni, les notions de « coup d’État » et de « responsabilités », et de parler d’un Conseil ouvert à « prendre des mesures » de représailles. « Il est important que les membres du Conseil parlent d’une seule voix », a tweeté Zhang Jun, l’ambassadeur de la Chine aux Nations Unies »

Les défections s’accélèrent…