J’apprécie qu’on puisse, sur Aplutsoc, débattre sans s’excommunier.

Étant largement d’accord avec ce dernier texte de VP, je vais essayer de préciser ma position.

À la question de VP en conclusion : *« Peut-on préparer 2022 en ne combattant pas pour chasser Macron et la Vème … avant 2022 ?* », je réponds « Non, on ne peut pas ».

On ne peut pas, parce que les producteurs, les exploités et donc les militants révolutionnaires sont le dos au mur. Macron exécute le contrat signé avec ceux qui l’ont fait élire : il attaque tous les acquis sociaux et ce qui subsiste de démocratie. Les travailleurs sont contraints au combat.

Je reviens un instant sur 1968. VP note que le départ de de Gaulle en 69 en constitue un effet différé, et (ce qui me parait plus discutable) le succès de Mitterrand treize ans plus tard aussi. Mais il y a un point sur lequel je veux insister. Les suites d’une telle grève, aussi large, aussi profonde (occupation, comités de grève), quand elle échoue, sont lourdes. Je ne parle pas principalement de la victoire électorale massive de la droite en juin, qui a eu son importance.

Après ce mouvement qui a « posé » la question du pouvoir, intensément, sans du tout esquisser une réponse à cette question, Il n’y a pas eu de défaite « physique », comme avec la chute de la Commune de Paris.

Mais…de 1969 à 1977 les demandes d’emploi non satisfaites sont passées de 200.000 à 1.200.000. Un million de travailleurs ont été rejetés du processus de production et d’une même coup, d’une vie décente. L’automatisation, les délocalisations, la désindustrialisation sont à relier avec le peur et la rage ressenties par les classes dominantes en mai 1968. Tout cela s’est poursuivi et se poursuit de nos jours.

L’un de mes camarades et amis a ressenti ce phénomène comme une saignée froide de la classe ouvrière productive. Il m’a dit une fois, à propos de l’automatisation « *Si la valeur va vers zéro, ce sera la barbarie* ». C’est certainement l’une des raisons pour lesquelles il a mis fin à ses jours (il s’agit de Claude Chisserey).

Dans la guerre des classes il n’y a pas de match nul. L’échec d’une grande grève, c’est une grande défaite.

Je reviens sur la question de la transition. Il y a un programme de transition, document écrit par Trotski en 1938, qui reste pour moi d’une importance et d’une actualité majeures. Par contre je ne crois pas qu’il existe une notion de « gouvernement transitoire », parce que tout ceux que nous pouvons qualifier ainsi peuvent transiter aussi bien vers le socialisme (Gouvernement provisoire sous Kérenski) que vers une stabilisation momentanée du capitalisme (gouvernement Mauroy sous Mitterrand), voire être balayés par le fascisme (Unité Populaire sous Allende).

Mais nous pouvons considérer avec un intérêt spécial les gouvernements en lesquels les masses exploitées investissent massivement leurs espoirs, y compris avec leurs illusions, sachant que le moment le plus décisif n’est pas celui du succès électoral à leur origine, mais celui où ils capitulent devant la résistance du capital. Un gouvernement faisant suite à une victoire de Mélenchon aurait été tel. Son futur n’était pas écrit d’avance. Ceci en dépit du fait que JLM se présentait comme « keynésien » en économie et promoteur d’une révolution « citoyenne »…

Pour terminer (je pense que Aplutsoc a raison d’exiger des contributions courtes). Encore un mot sur le concours que, selon moi devrait apporter les révolutionnaires à la construction d’une perspective politique pour le mouvement social.

J’ai dis que les travailleurs sont le dos au mur. Mais Macron, mandataire du Capital, aussi ! Paralysé jusqu’ici par les grèves et par le mouvement des gilets jaunes, il est loin d’avoir rempli son contrat. Il est à mon avis absolument contraint d’attaquer en 2021 sur tous les fronts (et d’abord sur les retraites). Imaginons (on peut appeler cela de la « politique fiction », mais des physiciens parleraient simplement d’« une expérience de pensée ») que Macron se souvienne de 1968 et de l’élection de Juin. Qu’il ne retienne pas ses coups, ne craigne pas de provoquer un mouvement social majeur et compte sur l’échec de ce mouvement pour assurer sa réélection.

Certes, fin mai 1968, de Gaulle est allé à Berlin et aurait reçu d’un envoyé du Kremlin l’assurance que « *le PCF ne tentera rien* ». Il n’y a pas, en 2021, un facteur d’ordre d’une force comparable à ce qu’était le parti stalinien en 1968. Il n’y a pas de facteur d’ordre pour empêcher le mouvement, mais pas non plus pour lui offrir un débouché politique.

Peut-il y avoir, en France, en 2021, un double pouvoir en forme d’Assemblées Populaires et d’Assemblée Constituante, comme débouché à un grand mouvement social, qui finalement s’imposerait comme le pouvoir (de transition) ?

Ni les chiliens (malgré la première victoire qu’ils ont remportée) ni les algériens, ni les libanais n’ont pu encore aller jusque là.

Les français le peuvent-ils ? Nous ne savons pas si cela se produira, mais c’est évidemment possible.

Selon moi, cette possibilité ne s’oppose pas à ce que je propose : mettre publiquement la question du débouché politique (incluant les échéances électorales, constitutionnelles) en discussion avec les Gilets Jaunes, avec les militants du NPA, du PCF, de la FI et des bribes du PS non encore phagocytées par le pouvoir macronien.

Le débouché politique prend nécessairement la forme de la question de l’unité. Personnellement (dans mon essai « …Ni Tribun ») j’insiste pour dire qu’elle ne peut pas être posée à partir du choix d’un homme, comme l’exige la Vème République, mais à partir d’une ÉQUIPE équilibrée.

Je présente les choses comme si préparer l’échéance électorale de 2022 et préparer un débouché politique à un grand mouvement social, c’était la même chose. Oui, c’est bien ce que je fais. On peut objecter : une équipe « de gauche » allant de Besancenot à Boris Vallaud en passant par Roussel, Duflot et Ruffin, cela peut être la bonne manière pour le Capital de « coiffer » et de castrer un grand mouvement social.

Oui, mais c’est forcément comme ça que les choses se passent dans une lutte. Il fut un temps où on appelait cela la dialectique. A nous (et à beaucoup d’autres) de ne pas rester « inertes ».

JPB, 13/12/2020