D’abord, merci à J.P. Boudine de sa contribution. Et aussi de sa réaction critique à notre formule « Chasser Macron avant 2022 », que nous maintenons, mais qui demande à être discutée, affûtée, enrichie. A commencer par le fait, en effet, que nous ne devrions plus donner l’impression de refuser de parler « stratégie » à propos des présidentielles. Au passage, J.P. Boudine écrit que dans « les organisations marxistes révolutionnaires (pléonasme), il est mal vu d’en parler … », ce qui tend à nous faire l’honneur, que nous déclinons, d’être la seule organisation de cette nature, car le sujet des présidentielles (nonobstant la difficulté intégrée d’avoir les 500 parrainages !) nous semble être, explicitement ou implicitement, très pesant et conditionnant, au contraire, dans les organisations « marxistes révolutionnaires » officielles. Bref …
La grève générale, selon la formule consacrée, mais bien vraie, « pose la question du pouvoir ». C’est déjà beaucoup, mais effectivement ça ne veut pas dire qu’elle la résout. Mai 68 a eu pour effet différé le départ de De Gaulle en 69, et, plus différé encore, l’élection présidentielle de 81, événements qui n’ont pas résolu cette question bien entendu, puisque celle-ci consiste dans le fait de savoir quelle classe, la minorité capitaliste ou la majorité prolétarienne, gouverne. La démocratie, incluant l’emploi et, au fond, le rétablissement dans leur pleine valeur, des conquêtes démocratiques telles que le suffrage universel (libre, égal, incluant les femmes, secret …), fait assurément partie des éléments du combat. Rappelons que Marx appelle la conquête du pouvoir par le prolétariat la « réalisation de la démocratie », que Rosa Luxemburg insiste énormément, jusqu’à la fin, sur la nécessité de son caractère majoritaire, et qu’Octobre 17 était majoritaire même si cela n’a pas duré … Nous sommes donc d’accord sur l’obligation d’intégrer l’emploi des moyens démocratiques, et plus encore : sur le fait que la démocratie est le fond et la forme de la lutte du prolétariat.
Mais se pose le problème de l’ordre dans lequel ceci s’insère. Longtemps, et ceci a formaté les formules et points de vue, il fut convenu, parce que ce fut vrai, que non seulement les grèves générales, mais même les « grands mouvements sociaux », avaient besoin d’une « perspective politique », pas forcément géniale d’ailleurs, mais tout du moins « transitoire », à savoir porter au pouvoir un gouvernement des partis issus du mouvement ouvrier. Mais aujourd’hui grèves générales et grands mouvements sociaux éclatent, en grand nombre, non pas parce qu’il y a de telles perspectives, mais parce qu’il n’y en a pas, et que les expériences de tels gouvernements ont été faites et refaites.
Mai 68 avait peut-être besoin d’une telle perspective pour aboutir, mais ses formes contemporaines montent parce qu’il n’y en a plus, qu’on est au-delà. Cela ne signifie pas que le rapport entre grève générale et question du pouvoir serait devenu, en somme, anarchiste, comme si la question ne se posait plus, ce qui n’existe pas. Mais cela signifie que le mouvement lui-même cherche à construire les moyens de répondre à la question. C’est là la raison pour laquelle, dans mon article sur la situation mondiale du 6 décembre, j’ai repris et développé la formule de Jacques Chastaing sur « l’inversion des rapports du social au politique » en précisant que ceci porte sur le contenu pleinement politique du « social », tel que démontré par les mouvements insurrectionnels actuels mais aussi par la manière dont se sont déroulées les présidentielles nord-américaines (et sans que cela ne change rien à la nature capitaliste de Biden, bien entendu). Sur ce plan, c’est aux « marxistes révolutionnaires » de se mettre à jour, et vite.
C’est en grande partie ce qui nous conduit à parler de constituante (ou de convention, ou d’assemblée souveraine) en insistant sur le fait qu’une « vraie » constituante procède d’élections organisées par le mouvement populaire et pas par l’État capitaliste, et d’organes du pouvoir prolétarien, et de gouvernements représentant les besoins sociaux de la majorité, tout cela en même temps – et je ne développe pas dans ces brèves remarques cet immense sujet : c’est bien entendu une chose qu’il faut amplement discuter, au vu des exemples vivants, développer, enrichir, cela doit devenir notre matière commune à toutes et à tous, le fond de la question étant comment tout cela peut être développé non pas tant à partir de l’héritage des « vieux partis » que par le mouvement lui-même et dans le mouvement, en construisant les formes politiques dans le réel.
En tous cas, ceci conduit à envisager très sérieusement la possibilité que les élections dont nous parlons, ne soient pas conformes au calendrier institutionnel dans le cadre des États capitalistes existants mais soient imposées par le mouvement populaire (qui cherche à le faire en Algérie, et y a partiellement réussi au Chili et en Bolivie). Il y a donc élections et élections, et plus encore dans la V° République -et ceci était vrai déjà, pour le coup, en mai 68 – où les élections présidentielles sont non pas des élections « démocratiques » même dans un sens parlementaire limité, mais une opération plébiscitaire renouvelée pour refonder ce régime tous les 7 ans, puis tous les 5 ans. Il aurait, par exemple, été très différent qu’une majorité PS-PCF, à l’époque, se trouve confrontée à Giscard en 1978, au lieu que le « changement » arrive, comme ce fut le cas, par la présidentielle en 1981. Et d’ailleurs, le quinquennat combiné au calendrier plaçant les législatives après les présidentielles est, depuis sa mise en place par Chirac et Jospin en 2000, un verrou de protection supplémentaire de ce régime antidémocratique. Tout cela pour dire que les élections qui polarisent le plus la vie politique sont aussi celles qui sont les plus défavorables au rôle que J.P. Boudine appelle de ses vœux, à savoir ces foutues présidentielles.
Et il y a là-dessus une expérience collective qui, peu à peu, rejoint en France celle des mouvements insurrectionnels dans de nombreux pays du monde. La présidentielle qui aurait dû apporter « le changement », c’était 1981. Depuis, l’enjeu à une échelle de masse est plutôt le moindre mal. C’est ainsi qu’en 2012 Sarkozy a été battu, avec le rôle clef de l’appel de Mélenchon, qui avait 12% au premier tour avec un regroupement unitaire le soutenant, à le battre. Ce capital politique légitimait sa candidature 5 ans plus tard, et il est exact que le second tour n’est pas passé loin, et donc l’élection de Mélenchon à la présidentielle s’il avait été face à M. Le Pen. Sur les raisons pour lesquelles ceci ne s’est pas produit, J.P. Boudine évoque dans son article les candidatures dites d’« extrême-gauche ». Beaucoup des supporters de J.L. Mélenchon incriminent plutôt la candidature de Benoit Hamon. Pour notre part, il nous semble très important de rappeler que J.L. Mélenchon lui-même avait décidé de rompre, pour sa campagne de 2017, avec la politique unitaire à l’origine de la dynamique qui le portait en 2012 et depuis (cela, quelles que soient les responsabilités du PCF et les prétextes qu’il a pu fournir). Il avait la possibilité, facilement, de proposer le front unique à Hamon, qui aurait, vu le rapport de force fait de lui le candidat unitaire légitime et l’aurait fait gagner.
Mais son refus d’une telle démarche n’était pas fortuit : il était en cohérence avec ce que l’on a appelé (lui-même le premier) son « populisme », adaptation à la V° République et rejet non pas tant des « vieux partis » qu’au nom de celui-ci, du mouvement ouvrier lui-même, d’où l’organisation de la « France insoumise » comme une ligue dotée d’un Chef suprême. J.L. Mélenchon a alors construit les conditions de son propre échec si près du but, et aussi de la formation d’une large majorité LREM à l’Assemblée un mois plus tard. Cet épisode politique est important car il a largement discrédité, à une échelle de masse, ce qui restait d’éléments de « perspectives politiques » en relation non avec toute élection, mais avec les présidentielles sous la V° République.
Je ne sais pas si nous avons plus ou moins de différences dans le bilan que nous tirons de 2017 et de LFI, mais quoi qu’il en soit J.P. Boudine est visiblement sans illusions sur l’état actuel de LFI, et a une formule frappante et remarquable en qualifiant l’actuelle candidature de J.L. Mélenchon, annoncée en 2020 pour 2022, de « mort qui saisit le vif ». C’est bien à peu près cela. A une échelle de masse, cette annonce ne signifie pas que sa candidature est la seule susceptible de gagner comme le pensent encore un certain nombre de militants sincères, mais que c’est foutu si on s’en tient là. D’où la morne indifférence dans laquelle elle est tombée. A ce moment-là, à Aplutsoc, nous parlions souvent de la « troisième vague » qui devait arriver « avant 2022 », après les Gilets jaunes et la bataille de défense des retraites. Or cette troisième vague arrive, c’est la vague de manifestations démocratiques contre la loi Sécurité globale, combinée à une crise au sommet qui pétarade à vue d’œil.
Dans ces conditions, il est bel et bien réaliste de discuter ouvertement de la préparation d’un affrontement social chassant Macron sans attendre 2022, lequel ne chasserait pas que Macron, mais ferait chuter ce régime et poserait donc la question des organes du pouvoir populaire et d’une constituante. Cette discussion ne s’oppose pas, mais se combine – l’une et l’autre sont au fond les facettes de la même discussion – à ce sur quoi conclut J.P. Boudine dans son article, en essayant de décrire une campagne dirigée sur les présidentielles mais s’extrayant enfin du présidentialisme.
On peut le suivre, y compris lorsqu’il dit que ceci ne va pas nécessairement faire éclore des personnages et des thématiques farouchement révolutionnaires, mais pourrait ressembler à ce qui s’est passé avant les municipales à Marseille (processus envers lequel l’extériorité du député local J.L. Mélenchon fut d’ailleurs remarquable). Mais les présidentielles ne sont pas des municipales. Le « changement de paradigme » ne doit-il pas être encore plus « aidé » ? En clair, est-il possible d’imposer une telle manière de procéder aux appareils existants, grands et petits, sans un affrontement social posant la question du pouvoir, à savoir chasser Macron et la V° République ? Autrement dit, peut-on préparer 2022 en ne combattant pas pour chasser Macron et la V° … avant 2022 ?
VP, le 11/12/2020.
Vous devriez camarades à l’occasion venir jeter un coup d’œil sur le Forum des Marxistes Révolutionnaires. J’y interviens régulièrement ( un peu comme chez moi ), et j’ai là bas un contradicteur fantastique à toute épreuve. Engels a eu son Dühring, moi j’ai mon camarade Barnum !
Venez vous échanger sur ces questions fondamentales qui nous tiraillent à juste titre !
barnum a écrit:
Ta tête elle te sert à quoi !!
où en es-tu arrivé mon pauvre Eninel, surtout pour nous vendre ta primaire avec des partis bourgeois et ton respect des institutions de la Cinquième république, échéance 2022 comprise….Encore bravo !!
Ma réponse :
Il n’y a que dans ton esprit borné et malhonnête, cette idée que j’essaierais de vendre une primaire avec des partis bourgeois, dans le respect de la V, échéance 2022 comprise.
Une fois de plus, je cherche à couper l’herbe sous le pied aux candidatures de division bourgeoise et petite bourgeoise des Mélenchon et Piolle , en les mettant au défi de venir se présenter contre un candidat du front unique ouvrier, je pense que Besancenot ferait très bien l’affaire.
Je crois que toutes les directions des partis et syndicats ouvriers devraient se réunir au plus vite et désigner en leur sein un candidat unique dans la perspective de 2022. Cette perspective d’unité et de débouché politique boosterait considérablement la lutte des classes du moment.
Je crois aussi que si on soumettait à l’électorat de gauche à la base, électorat petit bourgeois écolo, électorat populiste gilets jaunes, électorat ouvrier orphelin, de faire un choix entre Mélenchon, Piolle et Besancenot, on aurait des surprises.
C’est Besancenot qui serait l’élu, le représentant du prolétariat, avec derrière lui la petite bourgeoisie et les classes populaires, non pas dans un front populaire mais dans un front unique ouvrier, avec le prolétariat comme moteur de la lutte historique contre la bourgeoisie, comme la théorie marxiste l’annonce.
Mélenchon et Piolle se refuseraient à cette perspective, ils refuseraient de participer à une primaire à gauche, comme cela est fort probable, mais malheureux ils signeraient là leur perte aux yeux de leur propre électorat. Ils seraient à la face de tous, des candidats de la division, des candidats démagogiques de plus, à nous parler pendant la campagne officielle de capitalisme vert ou de sixième république bourgeoise financée par la banque centrale européenne.
Il suffirait à notre candidat du front unique ouvrier, Besancenot en la circonstance, de dire que lui ne veut qu’une chose : sortir du bonapartisme et abroger la V, appeler le peuple à une vraie et honnête élection démocratique. Point !
Que quelqu’un vienne me dire qu’entre la personnalité et le passif d’un Mélenchon et d’un Besancenot, il y a pas une grosse différence de crédit !
Seul le probe Besancenot serait crédible dans ce rôle d’exécuteur désintéressé de la V république et du pouvoir personnel, pas Monsieur » JE SUIS LA REPUBLIQUE » !
Oui cette désignation salutaire se ferait dans le cadre des institutions de la V et contraint par un calendrier électoral, mais pour la petite histoire il en va exactement à l’identique pour ce qui concerne une grève ( non insurrectionnelle ) et une manifestation, et contrairement à ce que tu laisse entendre, il n’y aurait dans l’action de la mise en place d’une primaire à gauche et la désignation d’un candidat unique pour 2022, absolument aucun respect particulier pour les institutions de la V, bien au contraire, notre unité la détruirait .
D’une participation témoin depuis plus de 50 ans à des élections dans le respect des institutions de la V, nous passerions enfin à une situation, où le prolétariat serait en situation de l’emporter sur le propre terrain de classe de la bourgeoisie, le terrain électoral plébiscitaire, et dialectiquement changer les institutions bourgeoises en leur contraire.
Les échéances électorales de la bourgeoisie comme le rendez vous de 2022 sont inévitables, c’est pourquoi comme le dit Shakespeare :
» Ce qui ne peut être éviter, il le faut embrasser ! «
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