Dimanche 10 mai. En cette veille de « déconfinement », le pouvoir exécutif et les préfectures et Agences régionales de santé (ARS) sous son contrôle continuent à interdire l’évaluation réelle de l’épidémie ainsi que sa répartition géographique et sociale, en refusant les tests en masse, en refusant la prise en compte des avis médicaux dans les statistiques, en ne chiffrant toujours pas le nombre de décès à domicile.
Dans une région censée être moins atteinte, une région « verte », la Nouvelle Aquitaine, deux départs d’épidémie ont dû être reconnus par les pouvoirs publics ces derniers jours. L’un dans un village de Dordogne suite à un rassemblement pour des obsèques, l’autre dans un collège de la Vienne dont la direction, formatée par sa hiérarchie, a fait venir malgré le confinement des personnels pour « préparer la reprise », provoquant la contagion. Qu’en sera-t-il à partir de demain dans les écoles ?
A la question d’un journaliste demandant pourquoi les enseignants ne sont pas massivement testés comme dans les autres pays européens, le ministre Blanquer, chez qui l’odieux le dispute au ridicule depuis bien trop longtemps déjà, a répondu avec nonchalance ceci : «Il n’y a pas pénurie de tests mais il ne faut pas les gâcher. » Sic.
A une autre question sur « Que feriez-vous des gestes barrières si vous avez un élève de maternelle qui pleure devant vous ? », il a répondu : «… ce n’est pas au ministre de donner une consigne sanitaire sur un point comme ça. »
A partir de demain les situations semblables à ce collège de la Vienne vont se multiplier, mais il ne faut pas gaspiller les tests !
A partir de demain des enfants de maternelle vont pleurer dans leurs petites cages, mais il n’y a pas de consignes sanitaires « sur un point comme ça » !
Sur les emballages des masques livrés dans les écoles, dans de nombreux départements, la notice précise : « Ce produit ne protège pas des contaminations virales ou infectieuses ». Après avoir organisé la négation de la réalité épidémique, ils prétendent maintenant envoyer des « brigades sanitaires » au domicile des gens pour repérer les « cas contacts » et de nouvelles menaces contre la liberté individuelle et la déontologie médicale pointent au proche horizon.
Et les mêmes qui faisaient encore, comme le révèle une enquête du non-gauchiste et non-complotiste homologué Le Monde, brûler les masques fin mars, les ont rendus obligatoires et payants, à des prix multipliés par cent ou plus !
Dimanche 10 mai, dans tout le pays, de tels faits se disent, se racontent, se discutent. Demain 11 mai, des rassemblements, avec gestes protecteurs et distanciations physique (et non « gestes barrières » et « distanciation sociale », comme disent ceux d’en haut !), sont appelés devant plusieurs Centres Hospitaliers Universitaires, notamment à Toulouse à 14h à l’appel des syndicats CGT et SUD, « parce que ni la direction ni le gouvernement n’ont l’intention de satisfaire les revendications des hospitaliers », ou à Dijon à 19 h à l’appel d’un collectif local, comme dans d’autres endroits.
Le chemin des manifestations sera repris. Avec gestes protecteurs et distanciation physique, organisés par les manifestants eux-mêmes, les grévistes eux-mêmes, nos syndicats, nos services d’ordre, notre solidarité. Et sans aucune confiance dans un État qui organise, lui, la contagion, dans les entreprises, les crèches et les écoles, et cela massivement, à partir de lundi.
Et sur ce chemin, le combat pour les libertés démocratiques, contre l’arbitraire policier qui, après la répression des Gilets jaunes, s’est déchaîné sans vergogne ni pudeur pendant deux mois, un combat qui veut remonter et qui remontera jusqu’à la source de l’arbitraire : à l’Élysée.
Pendant le confinement, comme l’indique Jacques Chastaing, de nombreux collectifs de travailleurs ont exercé le droit de retrait général. La grève sous la forme du droit de retrait, inventée par les cheminots l’automne dernier, va devenir une arme du combat ouvrier. Il y a eu Amazon, et plus récemment Renault Sandouville, où le syndicat CGT a obtenu en référé la non réouverture parce que, dixit le tribunal, la sécurité sanitaire des travailleurs y est menacée.
Ceci a provoqué la colère de Laurent Berger, dirigeant de la CFDT, qui avait, lui, validé la réouverture au nom d’un « dialogue social exemplaire ». Dialogue social exemplaire, « faire-ensemble le vivre-avec »(sic) comme le récitent déjà les chefs macroniens ou santé publique : il faut choisir ! Colère aussi de Mme Pécresse (LR) qui dénonce le fait que « des forces politiques veulent planter la reprise ».
Elle représente, elle, les forces politiques qui veulent planter la santé des travailleurs, la santé du peuple. De tels conflits, et celui-ci est exemplaire, montrent qu’entre la santé publique et la valorisation du capital,il y a maintenant contradiction directe, immédiate. Pas en termes généraux : pour demain matin !
C’est cette pression d’en bas qui explique la poursuite de la crise en haut, et non pas la psychologie de Macron, qui certes joue un rôle, mais sur cette base. Depuis le début du confinement, l’exécutif a été désavoué en continu : larmes d’Agnès Buzyn, enquêtes sur les masques, décision prise par le Conseil scientifique pourtant nommé par Macron de faire savoir que la « reprise » du 11 mai est une « décision politique » qui va à l’encontre de son avis scientifique et sanitaire … et, cette dernière semaine : vote du Sénat contre le « plan de déconfinement », et sécession d’une vingtaine de députés LREM supplémentaires qui, avec d’autres, vont constituer un groupe parlementaire. Ceci ne fera pas de ce parlement un parlement, il ne l’a jamais été ; mais ceci a pour effet politique et symbolique que LREM perd sa majorité absolue de députés. Ce sont là des signaux de crise d’une grande importance. Que le vent se lève à nouveau en bas …
Dans cette situation, nous avons apprécié à leur juste valeur les messages envoyés par des personnalités comme Edwy Plenel puis Vincent Lindon. L’un comme l’autre, quoi que l’on puisse discuter par ailleurs, dressent un réquisitoire impitoyable et mérité de l’état et du rôle de l’exécutif et de sa tête.
Nous devons donc, aussi, apprécier à sa juste valeur le message inverse donné par celui que les élections présidentielles de 2017, certes bien lointaines à présent, ont positionné, dans le cadre des rapports politiques de la V° République, comme le chef de l’opposition n°2 (La n°1 étant, dans ce cadre à présent lointain et plus biaisé que jamais, mais qui fait partie des données de la situation, Marine Le Pen).
Jean-Luc Mélenchon, en effet, dans une interview à plusieurs importants journaux européens (Tribune de Genève, La Republica, El Pais, Die Welt ) affirme que « le dégagisme » est à ranger dans les tiroirs : la « stratégie du choc frontal » qui était, parait-il, la sienne, ne l’est plus car la gravité de la situation justifie l’union nationale.
Avec une certaine habileté, il tacle quand même Emmanuel Macron, dont les méthodes en font « un bandit » visant sa personnalité et ses méthodes pour mieux valoriser, en contraste, Édouard Philippe, « un homme élégant, d’un côtoiement agréable » dont il lâche au passage qu’ils s’appellent régulièrement, en se tutoyant. Les critiques qu’il fait de la politique sanitaire du gouvernement (justifiées), par exemple contre la réouverture des écoles, le sont dans ce cadre. On apprend même que son respect de l’union nationale a amené … Marine Le Pen à se corriger et à se faire moins outrancière! « Moins de conflictualité, plus de constructivité » !
Nous avons là une claire offre de services : pour aller jusqu’aux présidentielles de 2022, on garde Macron bien que celui-ci soit de plus en plus un obstacle à la stabilité des institutions de la V° République et donc à une vraie union nationale. Mais il faut la faire quand même, en conjuguant critiques et main tendue, sans remettre en cause le pouvoir, avec Édouard Philippe et toutes les bonnes volonté – implicitement, même Marine Le Pen puisqu’elle a « commencé sauvage et maintenant elle appelle à respecter les consignes sanitaires ». J.L. Mélenchon a même un modèle de politique d’union nationale à nous proposer, que les admirateurs de M. Clemenceau partageront et que les héritiers de Zimmerwald et de Kienthal mesureront à sa juste « valeur » : pour expliquer d’où sortent les « idées concrètes » à mettre en œuvre, « on a cherché dans les lois de 1915-1916 pour voir ce qui avait été fait » !
Certaines de ces « idées concrètes » sont excellentes et largement partagées : suspension des loyers, masques gratuits … Mais l’union nationale appelée ici interdira leur réalisation. Cette importante interview donne une ligne politique qui va au-delà des seuls « insoumis » (dont la force politique proprement dite est aujourd’hui secondaire) : au PCF, au PS, et surtout aux syndicats s’étant unis, le 5 décembre dernier, pour le retrait du projet anti-retraites de Macron actuellement « suspendu » mais pas forcément retiré, à toutes les forces qui veulent manifester, à ceux qui défendent leur droit de retrait, aux associations mettant en œuvre la solidarité, il propose l’intégration à la V° République pour sortir du macronisme … en accompagnant Macron, le « bandit », jusqu’ à la sortie, en 2022…
Et il dessine, y compris, une politique internationale de réaffirmation de la « grandeur de la France » consistant à avaliser la cassure que les différentiels des taux d’intérêts a réalisé envers l’Allemagne, afin de jouer les leaders des « pays du Sud » …
Les besoins réels de la société vont exactement à l’inverse. La montée en première ligne de J.M. Mélenchon pour préserver la V° République et, au fond, protéger Macron de lui-même, doit nous faire mesurer les rapports de force réels en train de se tisser. Cette intervention va tellement loin que les propres porte-paroles du Chef ne l’ont pas comprise : le « dégagisme » est toujours notre horizon, explique Eric Coquerel faisant le service après-vente, mais comme une ligne générale susceptible d’adaptations, n’est-ce pas. En réalité, la ligne générale de J.L. Mélenchon, depuis sa décision de s’extraire du mouvement ouvrier et de son besoin d’unité, a toujours été la préservation de ce régime. Cette intervention, sur ce ton là et à ce moment-là, a la vertu d’indiquer la bonne direction, celle dont les exploités ont besoin : la direction opposée.
Pas de « constructivité » sans « conflictualité » ! Pas de lutte contre l’épidémie sans combat pour chasser Macron maintenant. L’unité sanitaire, c’est l’unité contre le patronat : droit de retrait, grève et manifestations auto-protégées de la contagion, telles sont les taches des prochains jours. Et, dans ce cadre, relancer vigoureusement le débat politique sur la question du pouvoir. Elle semble difficile à résoudre ? N’oublions pas pourtant que les Gilets jaunes puis le « mur contre Macron » du 5 décembre dernier ont montré qu’il est possible de chasser Macron et d’ouvrir la voie à un processus constituant ici et maintenant. Le confinement n’a pas confiné la chose, il l’a nourrie et surchauffée.
Le 10 mai 2020.