Laurent Mauduit, Denis Sieffert, Trotskisme, histoires secrètes De Lambert à Mélenchon, Paris, Les Petits matins, 2024.
François Bazin, Le parrain rouge : Pierre Lambert, les vies secrètes d’un révolutionnaire, Paris, Plon, 2024.

Ces deux livres sont parus en janvier 2024 pour le premier et le 10 octobre pour le second.

Le premier ouvrage constitue un réquisitoire contre J-L. Mélenchon et les lambertistes. Vincent Présumey en a déjà rédigé une critique intéressante sur le site d’Arguments Pour la Lutte Sociale. Je vais m’y essayer à mon tour car mes remarques sont différentes. En effet, L. Mauduit et D. Sieffert racontent les origines et le développement du courant lambertiste dans une première partie (p. 33 à 223). Auteur d’une thèse sur ce mouvement politique jusqu’en 1963 i , mes connaissances me permettent de repérer des inexactitudes et des erreurs dans ce début du récit. Je vais en citer seulement six afin de ne pas lasser le lecteur.

D’abord, pendant la seconde guerre mondiale, Henri Molinier n’est pas un dirigeant du POI comme le mentionne cet ouvrage (p. 64). Il milite alors dans le groupe trotskyste rival, le Comité communiste internationaliste (CCI) ii . Ensuite, contrairement aux dires de l’ouvrage (p. 37) en 1951, au début de la crise « pabliste », Lambert ne dirige pas la majorité du PCI. D’ailleurs, Lambert le reconnaît dans la brochure Quelques enseignements de notre histoire publiée depuis 1970 par son groupe iii . Ce fut Marcel Bleibtreu qui pourfendit les thèses du dirigeant de la IVe Internationale Michel Pablo. Pierre Lambert se tient d’abord dans l’expectative, il se résout à combattre M. Pablo seulement quand ce dernier le met en cause iv . En 1953, Lambert devient le chef du PCI « exclu », nommé aussi « majoritaire ». Il exclut Bleibtreu en 1955. Le livre cité explique cette éviction par les critiques de ce dernier au soutien indéfectible de Lambert à Messali Hadj (p. 41). Cela nous paraît inexact : avant le début de la guerre d’Algérie, les deux hommes étaient déjà en conflit sur de nombreux sujets. En janvier 1954, Bleibtreu avait même constitué une tendance oppositionnelle au sein de leur parti v .

L’ouvrage de Mauduit et Sieffert mentionne aussi la fondation par les lambertistes du journal Révolte. Il s’agit en fait d’un bulletin paraissant 2 ou 3 fois par an et dont le titre exact est Révoltes. Il existait déjà depuis plusieurs années quand des lambertistes rejoignent son comité de rédaction vi .

Pour conclure, ces auteurs ne se contentent pas de critiquer Mélenchon, LFI ou le courant lambertiste, ils s’attaquent à ce qu’ils nomment « la mythologie trotskyste ». Dans les années 1930, Trotsky appelait à une révolution politique en URSS afin de renverser la bureaucratie par la violence et reprendre la marche vers le socialisme vii. Mauduit et Sieffert jugent un tel mot d’ordre complètement obsolète aujourd’hui. La preuve : en URSS la révolution prônée par Trotsky ne s’est pas produite. Par contre, après la chute du Mur de Berlin, ils constatent le remplacement de l’édifice soviétique par un capitalisme mafieux (p. 394). Cela leur permet de déclarer le trotskysme dépassé. Pourtant, Trotsky a envisagé cette éventualité d’un retour en arrière de la Russie dans La Révolution trahie (1936) :

« L’URSS est une société intermédiaire entre le capitalisme et le socialisme… Un recul vers le capitalisme reste cependant parfaitement possible » viii.

Ce premier ouvrage paraît donc quelque peu décevant.

Le livre de François Bazin s’avère différent : il s’agit de la première biographie de Lambert. En conséquence, l’auteur consacre seulement quelques lignes à Mélenchon et ne traite pas de LFI car Lambert meurt en février 2008. Par contre, son ouvrage s’avère plus précis, les événements mieux datés. Surtout, Bazin éclaire des moments très discutés de sa vie, ayant contribué à nuire à sa réputation. Ainsi, par exemple, il commente l’arrestation de Lambert en février 1940 suite à une distribution de tracts antimilitaristes par son groupe trotskyste. A la suite d’un procès, les juges condamnent Lambert à 3 ans de prison. Néanmoins, d’autres militants l’ont accusé d’avoir pactisé avec les juges et la police ix . Bazin est parvenu à consulter tout le dossier de cette affaire complexe aux archives militaires (p. 63-74). Sa conclusion : Lambert a adopté une attitude responsable et ne s’est pas désolidarisé de son organisation d’alors (p. 63-74). Certes, il y a quelques erreurs dans ce texte ; ainsi, la revue de Pierre Monatte s’appelle La Révolution prolétarienne et non Démocratie prolétarienne, qui est un organe anti-communiste subventionné par le patronat (p. 188).

En conclusion, ce livre constitue une biographie utile sur Lambert.

Par contre, sur le mouvement qu’il a dirigé, il demeure bien des sujets à traiter. Ainsi, nous connaissons mal ses militants, leurs goûts, leur formation, leurs références politiques, la durée de leur militantisme… Espérons de futurs travaux sur ces points.

Les chercheurs pourront examiner des sources non encore exploitées. Par exemple, depuis fin septembre 2024, le considérable fonds Pierre Broué (84 cartons) est disponible à la bibliothèque La Contemporaine à Nanterre. Une partie de ses archives concerne son militantisme à l’organisation lambertiste. L’inventaire du fonds se trouve désormais en ligne : https://calames.abes.fr/pub/lacontemporaine.aspx#details?id=FileId-560

Notes

  • i HENTZGEN Jean, Du trotskysme à la social-démocratie : le courant lambertiste en France jusqu’en 1963 disponible en ligne : https://theses.hal.science/tel-02283662
  • ii Voir sa rubrique dans le Maitron.
  • iii Quelques enseignements de notre histoire, édité par la Sélio, p. 113 dans la version 1979. Le ou les auteurs ne sont pas mentionnés.
  • iv HENTZGEN J., op. cit, p. 103-112.
  • v Ibid., p. 203.
  • vi Ibid., p. 395-396.
  • vii TROTSKY Léon, Œuvres tome 18, Paris, ILT, 1984, p. 128.
  • viiiTROTSKY Léon, La Révolution trahie, 10/18, Paris, 1969, p. 256.
  • ix Exemples de telles accusations : BRABANT Jean-Michel, Les partisans de la IVème Internationale en France sous l’occupation (POI, CCI, groupe Octobre) et leur fusion, Université de Paris VIII, mémoire de maîtrise, 1976, p. 113, LEQUENNE Michel, Le trotskisme, une histoire sans fard, Paris, Syllepse, 2005, p. 64 et NICK Christophe, Les trotskistes, Paris, Fayard, 2002, p. 298-299.