Dans mon article du 25 novembre dernier sur la caractérisation de l’opération du Hamas menée le 7 octobre 2023, j’analysais celle-ci comme une provocation totalement réactionnaire par ses conséquences, de très grande ampleur, et je résumais ainsi ces conséquences : « Contre-révolutionnaire sur toute la ligne, alignée à 100% sur l’impérialisme multipolaire, elle a placé la nation palestinienne dans la pire situation de toute son histoire, fait surgir des profondeurs une vague antisémite, affaibli la résistance ukrainienne, rapproché le risque de guerre mondiale tout en intensifiant la collaboration de toutes les puissances impérialistes du « Nord » comme du « Sud ». »
La situation ukrainienne.
L’Ukraine manque de munitions. Les aides étrangères supplémentaires ont décru des neuf dixièmes entre août et octobre 2023 (rapport de l’Institut Kiel du 7 décembre). Le Sénat américain a bloqué, mercredi 6 décembre, l’octroi de l’enveloppe annoncée par Joe Biden qui comportait 60 milliards pour l’Ukraine. Le fait que Biden ait couplé cette aide avec l’ « aide » à Israël a fourni aux Démocrates de gauche le prétexte pour voter avec les Républicains contre l’aide à l’Ukraine. Juste auparavant, Poutine a signé un décret engageant 170 000 soldats mobilisables de plus (169 392 exactement), portant les effectifs de « soldats contractuels » à plus de 620 000, et attribuait 112 milliards en équivalents-dollars à l’ « opération militaire spéciale ». Le budget russe est totalement militarisé et les dépenses sociales et scolaires sont en chute libre. L’aide à l’Ukraine représente 0,33 % du PIB nord-américain – pour l’instant.
On lit parfois que les États-Unis doivent réduire leur aide à l’Ukraine pour aider Israël. C’est une mauvaise plaisanterie : l’armée israélienne n’a absolument pas besoin de moyens létaux, logistiques et informatiques supplémentaires pour massacrer la population de Gaza, ni les colons et l’armée en Cisjordanie pour avancer dans la voie de l’« ethnical cleaning ». Les moyens dégagés par Washington vers le Proche-Orient visent à maintenir la possibilité relative d’influencer et d’encadrer Israël et, surtout, à intimider l’Iran et ses satellites (Hezbollah et Houtis).
Le choix politique d’orienter à la baisse l’aide militaire à l’Ukraine est antérieur au 7 octobre, qui lui a fourni son prétexte et en favorise l’aggravation. Ce choix est indépendant de la place des dépenses militaires dans l’économie US. L’Ukraine n’a jamais été la finalité de ces dépenses et cela se voit plus que jamais aujourd’hui.
Un peu plus de deux mois après le 7 octobre, la possibilité d’une défaite ukrainienne est revenue dans les divers commentaires. Quiconque s’imagine ou veut s’imaginer – comme Zelensky ! – que la cause ukrainienne et la cause israélienne sont liées, mérite d’être mis le nez devant le terrible spectacle combiné de la destruction systématique de Gaza, d’une part, et de la destruction systématique des infrastructures ukrainiennes qui a repris, en pire que l’hiver dernier – à ceci près que les médias occidentaux n’en parlent pratiquement plus.
L’homme à la tronçonneuse.
Au plan mondial, la victoire électorale de Javier Milei en Argentine s’ajoute comme un élément supplémentaire non négligeable de réaction sur toute la ligne. Ce sinistre clown à la tronçonneuse est parfois présenté comme un « économiste ». Hé bien, ce n’est pas faux, mais cela nous dit tout sur ce que sont en fait les « économistes », ces sorciers du fétiche capital. Milei est un disciple du libertarien Rothbart, dont on peut dire qu’il fut au pape des « néolibéraux » de Chicago, le célèbre Milton Friedman, un peu comme Daesh est à al-Qaeda : un extrême plus extrême que l’extrême. C’est Rothbart qui a théorisé le fait que les enfants étant la propriété privée mobilière des parents, il devrait y avoir un marché (boursier, of course!) des enfants.
Certes, la victoire électorale d’un tel pitre ne signifie pas que la majorité de la population adhère à ce délire, mais elle indique clairement que cette majorité désespère et ne voit aucune perspective, ni dans le retour cyclique du péronisme et de la droite corrompus, ni dans une « gauche » dans laquelle, il nous faudra y revenir, le bilan d’impasse de long terme de la demi-douzaine d’organisations se réclamant du trotskysme dans ses moutures morénistes, néo-morénistes ou non, fait partie, lui aussi, du problème, et pas de la solution.
C’est aujourd’hui même, dimanche 10 décembre, que Javier Milei entre à la Casa Rosada, le palais présidentiel de Buenos Aires. Le Figaro nous annonce, à l’instar de ce qu’il raconte chaque fois que l’extrême-droite arrive au pouvoir quelque part, que « le lion libertarien a rentré ses griffes ». Envers les banques, centrales ou non, et les oligarchies capitalistes, aucun doute à cela. Mais leur cible commune, ce sont les pauvres et les prolétaires. Dans le contexte global présent, Milei est pour ainsi dire mandaté pour permettre de leur porter en Argentine les coups que Trump aux États-Unis et Bolsonaro au Brésil ne sont pas, pour l’instant, parvenus à leur porter.
Le fait que Volodomyr Zelensky se rende à l’investiture de Javier Milei n’est pas une bonne nouvelle pour l’Ukraine. Milei se tournant ouvertement vers le roi dollar et l’oncle Sam, proclame (pour l’instant) son refus de faire adhérer l’Argentine aux BRICS et dit soutenir l’Ukraine. Mais le soutien des « anarcho-capitalistes » ne signifie rien d’autre que la vente à l’encan de l’Ukraine par la dette « publique » et les « lois du marché », qui, n’en déplaise à la rhétorique anti-oligarques, fait toujours leurs affaires, et c’est bien contre cela, en même temps que contre l’invasion russe, que se mobilise de plus en plus le peuple ukrainien. Ce soutien de la corde au pendu fera et fait le jeu de Poutine – représenté indirectement à l’investiture de Milei par son ami Orban !
La COP 28, festival impérialiste, multipolaire et pétrolifère !
Le concentré de la réaction mondiale, sous forme spectaculaire-marchande, pétrolière et immobilière, somptuaire, polluante et parasitaire, mais c’est la « COP 28 », bien entendu !
Tout a déjà été dit, car on ne peut que le dire, du caractère de sinistre farce que constitue la prise en main par les rentiers du pétrole eux-mêmes, en direct et avec l’assentiment de toutes les puissances mondiales de Washington à Moscou et Beijing en passant par Paris, de la « lutte contre le réchauffement climatique », ce sordide oxymore du capitalisme pétrolifère, extractiviste, immobilier et mafieux, c’est-à-dire la forme dominante du capital mondial.
Mais ce qu’il faut comprendre, c’est que cette forme dominante correspond à un système mondial désordonné qu’est la multipolarité impérialiste. La COP 28 arrivant quelques mois après le sommet des BRICS consacré à leur élargissement (à l’Arabie saoudite, l’Égypte, les Émirats Arabes Unis, l’Iran, l’Éthiopie, et éventuellement l’Argentine), consacre l’accord de Washington et des impérialismes européens pour reconnaître leur rôle dirigeant dans la « lutte contre le réchauffement climatique », c’est-à-dire dans la rentabilisation capitaliste de la destruction des milieux de vie et des conditions d’une existence humaine sur terre. Les voies prochaines de l’accumulation capitaliste détruisant la vie sur terre sont confiées au « Sud global », alias l’impérialisme multipolaire, et Washington est OK avec ça. Voilà donc l’apogée de la réaction sur toute la ligne, l’abomination de la désolation.
Les mêmes qui nous disent que Milei rentre ses griffes attirent bien sûr notre attention sur le fait que le Président Directeur Général des Émirats Arabes Unis, lui aussi « économiste », Sultan al-Jaber, magnat du pétrole et du gaz, a le premier annoncé que l’horizon final serait la sortie des énergies fossiles. C’est que ce monsieur pense à la gestion de son capital dans le long terme. Il compte brûler la biosphère pendant plusieurs décennies encore tout en menant sa « transition » vers d’autres sources productives de calories pour son capital, qu’il dispose des ressources « chez lui » ou non, puisqu’il dispose du capital, et il espère bien avoir les félicitations du jury es « développement durable ». Au passage, Macron lui conseille de donner toute sa place au nucléaire dans la dite « transition ».
Poutine a assisté en visio au sommet des BRICS de Johannesburg cet été. Il a été admis comme un partenaire à part entière, toujours en visio, au sommet du G20 de septembre 2023. Il s’est déplacé en personne, avec une véritable flotte aérienne, aux abords de la COP 28, en Arabie saoudite et aux Émirats, franchissant une nouvelle étape dans son « retour sur la scène internationale », juste après avoir officialisé sa candidature aux présidentielles russes de 2024. La boucle est bouclée : l’impérialisme multipolaire fonctionne, et Washington est de fait d’accord, tenant juste à rester premier violon, à défaut d’être le chef d’orchestre comme autrefois.
Deux rayons de soleil.
Dans ce triste et menaçant tableau, le rayon de soleil est constitué par la vague de grèves pour les salaires, mais dont tout le monde devrait comprendre la grande portée morale et politique, que connaissent les États-Unis, avec l’irruption dans l’AFL-CIO du « caucus » combatif autour de la tendance Unite all Workers for Democracy qui a pris la direction de l’UAW. Nous avons publié à ce sujet deux articles, l’un de la journaliste sociale indépendante Kim Kelly, avec une présentation de la rédaction, l’autre de notre ami Jacques Chastaing.
Un autre développement important en Amérique du Nord a fait irruption : à partir de la grève des enseignants, les directions syndicales au Québec, constituées en « Front commun », doivent menacer le gouvernement de la province d’une grève générale, qui a déjà gagné les secteurs de la santé et des aides sociales, contre ses plans de « flexibilité ». La question de la grève générale est donc posée aussi au niveau du Québec (à différencier du niveau canadien en raison de la question nationale québécoise, mais avec bien sûr des répercussions aussi à l’échelle fédérale).
La marée est nécessaire et elle est là, mais elle ne suffit pas.
Un lecteur et commentateur régulier de nos publications, Rehan, remarque dans un message sous l’article de J. Chastaing que celui-ci, tout en fournissant un précieux travail d’information, donne l’impression que « l’insurrection mondiale » est toujours à nos portes. Je suis d’accord avec cette critique et nous en avons déjà discuté ici même. Oui, les poussées grévistes sont très importantes et constituent la chair vivante du combat nécessaire, mais ce combat a besoin de médiations vers, disons-le, la prise du pouvoir : conscience et organisation. La matière n’existe pas sans la forme, ni l’inverse. Le mouvement des prolétaires ne peut se lire seulement comme une marée montante ou de la vapeur rentrant dans le piston. Cette dimension est nécessaire et trop couramment occultée ou censurée, mais toute seule elle reste unilatérale et n’aboutit qu’à la représentation d’une tempête permanente qui n’aboutit pas.
C’est pour cela qu’en présentant l’important article de Kim Kelly, nous avons souligné tant la portée considérable de l’existence même d’un débat sur la grève générale dans le syndicalisme étatsunien que la limite constituée par un calendrier de la nouvelle aile syndicale combative orienté vers 2028, alors que la question politique immédiate et centrale est bien celle des présidentielles de 2024 et du risque d’un épisode « Trump II ».
La question Trump, épisode II.
Les États-Unis tiennent toujours, bien entendu, une place centrale. Deux tendances importantes s’y dégagent à la base ces derniers mois. Cette vague gréviste et syndicale dont il vient d’être question, et l’indignation de larges secteurs de la jeunesse, qui avaient contribué de manière décisive à la défaite de Trump en 2020, contre Biden, désigné depuis comme « Genocide Joe », qui permet, soutient et prolonge le martyrologue de Gaza et des Palestiniens.
Mais, en l’absence de cristallisation politique à l’échelle nationale sur un axe social, et internationaliste, Biden, dans un même mouvement, met son veto au Conseil de Sécurité de l’ONU contre un cessez-le-feu à Gaza, reprend de plus en plus la politique anti-migrants de Trump, politique qui n’a jamais vraiment pris fin, et annonce que, malgré son grand âge perceptible, il est candidat pour 2024 parce que Trump l’est. Biden créé ainsi les conditions d’une victoire de Trump !
Trump s’apprête à triompher dans les primaires républicaines. Au plan judiciaire, il est mal engagé, du fait du tribunal d’Atlanta plus que des procédures fédérales. Il est en soi frappant que l’inspirateur d’une tentative ouverte de falsification des élections présidentielles et d’un coup d’État avec invasion du Congrès, imité ensuite au Brésil, et par ailleurs corrompu notoire des services russes depuis des décennies, ne soit pas plus « coincé » par les fameuses institutions de la « démocratie américaine » décidément bien grippées. Mais toute tentative d’invalidation lorsqu’il gagnera une primaire républicaine après l’autre ne pourra que produire des processus incontrôlables désormais.
Interrogé sur ses ambitions de dictature, il a déclaré qu’il lui faudrait bien exercer « la dictature » au moins dans un premier temps. La « démocratie américaine » s’avérant impuissante à conjurer la mécanique hors contrôle née de sa propre crise, ce sont bien – comme ce fut déjà le cas en 2020, mais cette fois-ci à un niveau supérieur – les forces « d’en bas » qui devront le battre. Dire que cela se pose à un niveau supérieur à celui de 2020 signifie justement que la question la plus importante est celle d’une cristallisation politique nationale représentant les vrais mouvements d’en bas.
Washington dans la multipolarité impérialiste.
La question Trump nous ramène à toute la situation mondiale et à l’appréciation du « moment de réaction sur toute la ligne » ouvert depuis les pogroms du 7 octobre. Car la ligne de Trump au plan international n’a rien de marginal par rapport aux intérêts généraux et aux choix auxquels est confronté l’impérialisme nord-américain. L’éditorial du Monde du 7 décembre avait pour titre : « Vladimir Poutine et Benyamin Netanyahou comptent sur la victoire de leur poulain : Donald Trump. » Il s’agit pour l’impérialisme US de réussir sa « transition » vers la multipolarité impérialiste en se réconciliant avec l’impérialisme russe.
Dans l’immédiat, cela veut dire sacrifier l’Ukraine, ses régions occupées, voire tout le pays. Et cela veut dire sacrifier les Palestiniens, vider Gaza et aussi la Cisjordanie, parrainer un État ethnique mafieux sous l’égide de la bande à Netanyahou. Le tout, en évitant une confrontation entre cet État et le régime iranien, simultanément armé par Moscou contre des frappes israéliennes et menacé par Washington contre ses propres excursions, et instaurant donc une soi-disant « dissuasion » nucléaire entre Israël et Iran (donc une prolifération).
A moyen terme, le nouveau rapprochement avec la Russie correspond à un « grand jeu » diplomatique, où entre aussi l’Inde, visant la Chine, et ouvrant la possibilité de la guerre inter-impérialiste Washington/Beijing. Sans le dire, ils y pensent tous, et commandent des productions d’armements en conséquence.
Toutes ces combinaisons possibles d’alliances et de parties de poker menteur entre grands chefs et services secrets sont donc porteuses de guerre. Et celui qui l’indique le mieux est encore Poutine. Juste après avoir annoncé qu’il sera réélu en 2024 (car c’est cela que veut dire sa « candidature », sans préjuger des luttes et combinaisons de sommet lui substituant par exemple Dmytri Patrushev, tout à fait indépendantes des « élections »), il a dénoncé le fait que, selon lui, les russes résidant en Lettonie seraient traités comme « des porcs » et qu’en conséquence, les Lettons doivent s’attendre à être traités de même, par la Russie. C’est une menace explicite d’invasion des pays baltes – membres de l’OTAN. Pas forcément juste pour demain matin, mais le principe en est posé …
Enjeu ukrainien, enjeu mondial pour la lutte des classes.
A ce point de notre tour d’horizon, nous pouvons donc dire précisément où se joue principalement la nature durable ou non du moment de régression et de réaction ouvert par le 7 octobre : en Ukraine.
Tout de suite, l’Ukraine n’a plus de munitions, et l’armée russe espère au moins prendre Avdiivka dans le Donbass et Kupiansk dans la région de Kharkiv, ce qui aurait une portée symbolique et politique car Kupiansk avait été l’épicentre de l’effondrement d’une armée russe fin 2022, le tout avant les pseudo-présidentielles russes des 15-17 mars 2024.
Au delà, le risque d’une percée russe combinée peut-être à une crise au sommet en Ukraine, est réel, même si la résistance populaire et la volonté de prendre les affaires communes en main s’affirment dans le peuple ukrainien.
L’enjeu global est le suivant : le principal obstacle à la réaction capitaliste pétrolifère et mafieuse depuis 2022, dans le monde, a été la résistance ukrainienne, qui a battu l’offensive initiale de Poutine en février-mars 2022, ce qui n’avait été prévu ni à Washington, ni à Paris, ni ailleurs parmi les grands de ce monde (rappelons quand même modestement que sur ce site, nous l’avions annoncé depuis un an …). La période de recul ouverte par le 7 octobre serait consolidée et scellée si et seulement si l’onde de choc de cette auto-organisation, de cette résistance démocratique et populaire, porteuse d’émancipation, était battue. C’est là, sans nul complot, l’intérêt objectif, que ses faisant fonction en aient plus ou moins conscience ou non, du capital pétrolifère, extractiviste, immobilier, militaire et mafieux, du monde entier.
L’axe nécessaire.
Voilà qui dessine ce pour quoi il faut se battre immédiatement : cessez-le feu total et immédiat à Gaza et des armes pour l’Ukraine, pour battre les Trump, les Poutine et les Milei du monde entier et pouvoir enfin s’occuper sérieusement, contre les intérêts du capital, des intérêts de notre monde terrestre vivant !
VP, le 10/12/2023.
Très bon article, à la fois synthétique et précis. Seule perplexité de ma part : « le principal obstacle à la réaction capitaliste pétrolifère et mafieuse depuis 2022, dans le monde, a été la résistance ukrainienne ». Qu’est-ce que la résistance ukrainienne a – pour le moment, j’entends – à voir avec la résistance contre les destructions effrénées du capitalocène?
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C’était peut-être un raccourci, mais il me semble – en tous cas cela l’est pour nos jeunes camarades ukrainiens du Sotsianyi Rukh en particulier – manifeste que le régime poutinien est capitaliste, pétrolifère et mafieux.
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Merci VP pour ce nouveau tour d’horizon : nous sommes chaque fois impatients de lire vos analyses car, si on ne les partage pas entièrement, elles donnent toujours à penser.
Quelques réflexions donc.
Pourquoi l’impérialisme américain n’a-t-il pas dégommé les lignes de défenses russes (par voie aérienne), ce qui aurait permis de rendre la contre-offensive victorieuse, d’infliger un camouflet à Poutine, et donc d’affaiblir par Russie interposée, la Chine (au moins symboliquement) et tout autre concurrent potentiel ? Cela reste une vraie question, car dans la perspective d’une conflictualité mondiale (plutôt que « guerre mondiale », qui me semble une expression beaucoup trop puissante), c’était l’occasion idéale de gifler Poutine, de se venger de ses ingérences multiples, de l’humilier pour rappeler qui est le seul vrai patron, tout cela en plein marasme économique chinois et au nom du droit international, pour secourir la belle et sympathique Ukraine. Il nous faut faire l’histoire de ce qui ne se passe pas.
Pistes de réponse :
– Les capitalistes ont horreur de l’incertitude, et faire reculer l’armée russe aurait pu déclencher du bazar à la tête du poids lourd énergétique mondial russe. Ils auraient donc préféré la prudence court-termiste (continuer à gagner de l’argent maintenant, ne rien déstabiliser, tant pis pour tout le reste, les ukrainiens et les dangers stratégiques à moyen-long terme).
– la peur d’un emballement : convaincus que Poutine est fou et isolé, ils n’ont pas voulu prendre le risque qu’il active des frappes nucléaires tactiques, ou qu’il déclenche une réaction en chaîne (Iran + Corée, voire Chine), car l’Occident n’est effectivement pas assez prêt pour un tel affrontement. On gagnerait évidemment, encore et toujours, mais de façon trop douloureuse pour courir un tel risque. On gagne donc du temps, ce qui permet d’exploiter l’avantage structurel : produire les armes et l’intelligence nécessaire pour assurer une victoire moins coûteuse en cas de conflit ouvert.
En face, la Russie croit gagner depuis 2 mois, mais s’appauvrit fatalement, en devenant vassale de la Chine (et un peu dépendante des achats indiens aussi). Le plan occidental serait donc encore d’attendre les contradictions internes au système russe, qui effectivement ne manqueront pas de le faire disjoncter, une fois de plus. Comme la pseudo guerre froide : c’est une lente démonstration de force, de la toute puissance UC, l’ennemi russe devenant progressivement pathétique, ce que la fin de vie de Poutine incarnera.
Néanmoins, il ne faut pas évacuer trop vite l’hypothèse d’une victoire militaire occidentale en Ukraine. Il reste tout à fait possible qu’au printemps ou cet été, après nous avoir fait tant mariner (et souffrir), l’OTAN déploie sa toute puissance spectaculaire et humilie Poutine. Ce timing aurait laissé le temps au monde de bien voir ce qu’il se passe quand les Ricains ne viennent pas nous défendre, et de laisser à Poutine la possibilité de traiter idéologiquement ce recul comme un coup de génie tactique de sa part en évitant une crise de régime déstabilisante. Cette sortie effectivement heureuse permettrait de regonfler la fierté Occidentale, bonne façon de chasser sur les affects populistes et donc de contrer Trump (et consorts européens). Gagner la guerre en Ukraine juste avant les élections serait tout de même un bel atout pour Biden, en plus d’avoir obtenu un cessez le feu au Proche Orient, pour compenser le deux poids deux mesures, et de regagner des coeurs démocrates.
Si nous défendons à la fois les Ukrainiens et les Palestiniens, Zelinsky n’a pas complètement tort de chercher à diviser les colonialismes russes et israéliens. Le Hamas a bien été reçu à Moscou, et Poutine soutient l’Iran, principal ennemi d’Israël. Si de la catastrophe en cours, les Israéliens peuvent comprendre que Poutine est leur ennemi, et la Chine aussi, ce serait au moins une forme d’acquis.
Par contre, effectivement, qu’est-ce que Zelinsky est aller fiche en Argentine, à part se faire voir et faire parler de l’Ukraine, à stabiliser des alliances financières ?!
Mileï s’inscrit dans la vague mondiale de populisme, qui monte puis redescend devant l’impossibilité du pouvoir populiste (trop contraire au capitalisme et tout simplement au réel), puis remonte (retour de Trump), en vain, mais en faisant tout de même du mal (aux femmes, aux pauvres, aux étrangers). Milei trimballe encore plus de paradoxes, vont vite s’écraser et faire jaillir son ridicule encore une fois capillaire (Johnson, Trump). Ce qu’il faut surtout comprendre, c’est que l’affect dégagiste semble passer à droite, ce qui doit inviter à la prudence quant aux variantes locales type Gilet Jaune, complexes, multiples, à ne pas idéaliser en tous cas.
L’éloignement de Mileï des Brics, pour le dollar, est peut-être positif sur le plan géopolitique, espérons que le coût ne sera pas encore dur pour les Argentins.
Sur la COP, vous activez une critique trop unilatérale minorant les contradictions de l’époque. Évidemment que c’est un sketch tragique. Mais il révèle aussi des tensions, des cris, des larmes, et c’est peut-être hélas la façon dont les humains ont besoin d’avancer, même si on semble décider encore d’avancer dans le creusement de notre tombe commune. En tous cas, le spectacle n’est pas aussi lisse que vous le donnez à penser, des contradictions le fissurent et des failles apparaissent aux grand jour dans ce genre show mondial (comme en témoigne le pataquès de ce jour et de cette nuit).
Quant au retour de Poutine, après celui d’Assad, effectivement, cela ne colle pas avec le sens que je veux trouver dans l’histoire, qui voit plutôt leur chute inévitable (comme celle de l’Iran). Les contre-courants momentanées sont parfois désespérantes. Poutine a obtenu que la prochaine COP en Azerbaïdjan, pays pétrolier, à la fois bras armé turc et allié russe, contre les Arméniens. Cette attribution est une défaite pour le monde libre.
USA :
L’avenir de la grève, générale si possible, est transnational. Les mouvements sociaux européens sortiront de la défaite (particulièrement française) lorsqu’ils auront saisi la nécessité de se coordonner : Royaume Uni, Belgique, Allemagne, Espagne, Grèce, Italie, Suède, France. Une grève européenne, même pas générale, mais synchrone, voilà où est notre puissance, celle que les syndicats conjurent. Gageons que les travailleurs d’Amérique du Nord ouvre une brèche.
La marée. Elle est bien là, nous la sentons tous. Depuis dix ans j’annonce une phase émeutière mondiale, ce qui constituera le franchissement d’un seuil historique anthropologique. Hélas, ce moment fou (multiple et contradictoire) ne suffira pas à créer un point de bascule, il révèlera au contraire (une fois de plus) l’impossibilité insurrectionnelle, et la nécessité de s’organiser pour vivre, pas juste de renverser. S’organiser passe par l’institution, à toutes les échelles, locale, nationale et internationale. Deux possibilités : à l’intérieur ou bien contre les institutions officielles existantes. Sans doute les deux, selon les tempéraments et les moments de vie.
– « La prise du pouvoir », effectivement « disons-le », ça a le mérite d’être clair. C’est un point de désaccord important (déjà discuté en commentaire de l’article) : il me semble que vous persistez dans un imaginaire léniniste (et viriliste). Comme si le pouvoir se prenait. Certains ont essayé, et même réussi, on a payé assez cher pour voir. Il est possible qu’entretenir ce fantasme dangereux de la prise du pouvoir ralentisse la conscience collective, même si plus personne n’y croit de toute façon, ce qui tend nous marginaliser dans une radicalité dépassée. Le plan qui consiste à construire un parti qui prendra le pouvoir, a toujours été vain et criminel (rapport démiurgique et meurtrier à l’histoire, de Lénine et Trotsky), surtout, il n’est plus de ce siècle, et tant mieux.
Le pouvoir s’habite, et il est possible de l’habiter autrement que de façon autoritaire ou faussement démocratique, les deux variantes actuelles. L’enjeu est plutôt d’utiliser tous les acquis démocratiques pour habiter le pouvoir : en Occident, en France, rien n’empêche les dominés de s’auto-organiser, avec ou en dehors des institutions. S’ils ne le font pas c’est pas en raison de la répression, c’est un problème de désir. L’enjeu se situe donc sur le plan des imaginaires (et la « prise de pouvoir » bau niveau élémentaire de l’éducation).
– « Genocide Joe ». Vous avez raison de souligner que c’est important. Je ne reviendrai pas sur l’emploi erroné du mot génocide. Vous oubliez hélas de mentionner la catastrophe woke qui ravage les intelligences et les campus américains, et au delà. Le rapport relâché au langage politique va avec l’explosion de l’antisémitisme et un soutien décomplexé aberrant au Hamas (à Londres aussi, voire Bruxelles). A quand des petits tatouages de deltaplanes sur les peaux douces des nouveaux ultra-radicaux bêtes ? Un antisionisme toxique s’est répandu à gauche, future jonction avec les fascismes islamiques, voire d’un confusionnisme ultérieur avec la Russie ou la Chine, dont l’Afrique serait à l’avant-garde, bientôt sévèrement douchée. En plus des ronds-points, il faudra donc être aussi très exigeant politiquement avec les universités, où l’identitarisme stérile est un autre nouveau terreau pour l’antisémitisme. Cela commence par la rigueur chez nous (ce qui n’empêche pas les désaccords fertiles).
Néanmoins, l’identification des descendants d’esclaves avec les damnés actuels de la Terre que sont les Palestiniens, est possiblement positive dans une prise de conscience collective et internationaliste. Un imaginaire politique commun se dessine, quoi que de façon brouillonne, pas assez éthique. C’est ici que nous pouvons tenter d’apporter modestement des points de repères, de la boussole pour les tempêtes actuelles. Notre responsabilité est celle de la transmission de vérités politique (plus que celle de l’organisation, irréaliste à notre échelle).
– Biden (enfin ce qu’il en reste, sous le formol). Il incarne des logiques qui le dépassent, comme souvent en Occident, et peut-être aussi ailleurs. Vous dressez une vision trop unilatérale, qui rejoint presque l’anti-américanisme campiste que vous dénoncez si bien par ailleurs. A vous lire, Biden soutient le Grand Israël. Vous effacez de la réalité le fait que Biden a annoncé que des colons israéliens seraient punis. (Macron s’est dit favorable à des sanctions de l’UE contre certaines colonies.) On ne voit pas bien ce que ça veut dire, c’est sans doute que de la comm’, mais l’humain étant fait de langage, ce n’est par rien ! Ce soir, Biden vient de gifler publiquement et médiatiquement Netanyahu, dont on peut assez bien annoncer la fin carcérale, ou du moins judiciairement douloureuse. Le discours d’une partie de la gauche qui dénonce ce qui serait un blanc seing occidental pour aux sionistes génocidaires est à côté de la plaque historique. Ce n’est pas ce qui se passe, ni ce qui se passera. Autre exemple, la CPI a annoncé qu’elle allait peut-être bientôt éventuellement commencer à faire son un peu boulot !
Ce qui se joue au Proche Orient relève de la vengeance punitive. D’ailleurs, dire qu’Israël et l’Occident, voire la Civilisation, pouvaient rester sans réponse devant le geste du Hamas n’est peut-être pas si évident. L’enjeu est de dire aux sympathisants du Hamas. « Vous voulez jouer au plus fou, aller dans la mort ? Allons-y, ce sera un carnage pour tout le monde, pour toute l’humanité, mais surtout pour vous. Et à ce jeu là, à la fin, nous les occidentaux, nous nous en sortirons, pas vous. Donc arrêtez les 7 octobre, sinon voilà le résultat. » Cela vise à neutraliser la politique du pire. Dans la communication infrapolitique, qui cible l’inconscient mondial, Gasa est une forme de nouvel Hiroshima, toutes proportions gardées. Il s’agit bien de crimes contre l’Humanité. Mais si on refuse le confort idéologique, on ne peut se limiter à dire qu’Hiroshima n’aurait jamais dû avoir lieu. Il faut au moins pouvoir discuter ce geste historique. Et pourtant, il est évident que le supplice de Gasa doit cesser le plus vite possible. L’humanité aura progressé quand la grève générale transnationale sera spontanée au moindre début de Gasa. Au lieu de manifester des soutiens au Hamas chaque samedi, si toutes les capitales du monde étaient effectivement bloquées, Netanyahu subirait une pression démultipliée. Il y a encore du chemin.
En plus de cette punition atroce (mais qui vise à stopper l’imaginaire terroriste, qui pourrait sinon sortir symboliquement grandi de l’affreux coup de comm’ du 7 octobre), la civilisation va peut-être aussi démontrer sa capacité institutionnelle d’auto-régulation, de retenue. Réprimer les ultra-sionistes est la seule condition de progrès, depuis l’intérieur d’Israel et depuis l’international (ONU, CPI…). Contrairement aux apparences, c’est peut-être aussi cela qui se joue : la fin de l’impunité israélienne, du droit israélien à refuser tout droit. La communauté internationale (et humaine) dit aux ultra-sionistes, « vous avez-vu où mènent votre racisme colonial archaïque ? Ce n’est plus émotionnellement supportable, vous foutez trop la merde, on vous enferme, ou on vous laisse vous faire dévorer par les futurs fanatiques palestiniens ». Recul des colonies, comme je l’avais indiqué dans mes premiers écrits suite au 7 octobre.
Les nouvelles de ce matin ne rentrent pas dans votre grille d’analyse car elle est trop unilatérale. Biden dénonce la droite israélienne, affirme son soutien à l’Ukraine (possiblement aérien), et la COP fait un maigre pas sur le fossile. Certes ce sont des mots, mais ils sont à prendre en compte.
La possibilité que les US sacrifient l’Ukraine entièrement, me semble à exclure. Poutine ne peut gagner, pas à ce point, ce n’est pas tenable pour l’Occident (même pour les purs capitalistes). L’argent doit être défendu, l’Amérique ne peut que rester le seul boss militaire, Poutine a été trop loin, il doit et sera puni. Autant je m’étais trompé lorsque j’avais cru Assad condamné par ses bombardements en plein ramadan, puis à l’arme chimique. Autant, avec l’Ukraine, on est passés à un autre niveau. Mater la révolte syrienne consistait bien à stopper les révoltes arabes, pour maintenir le capital, y compris symboliquement. Pour tous les dirigeants, du monde, il fallait bien que cela s’arrête, c’est idée de faire tomber le pouvoir. Les Syriens étaient un exemple idéal, pas bien nombreux, et puis ce n’était pas des blancs, on pouvait les laisser tomber (ce que l’histoire ne pardonnera jamais, crime mondial que nous ne cesserons de rappeler). Mais on ne peut laisser Kiev tomber. Là, il se joue autre chose sur le plan symbolique. L’ombre de l’ogre russe a cru qu’elle pouvait se réveiller ? L’humiliation sera encore une fois infligée. Et le peuple russe paye une fois de plus.
Par la suite, un rapprochement des USA avec Moscou (sans Poutine), pour maintenir la supériorité contre la Chine ? Je ne l’avais même pas envisagé, mais il faut reconnaître que ce ne serait pas la première fois que le fleuve historique offre des méandres surprenants. On en est encore loin. Pour l’instant, le plan est plutôt de laisser la Russie couler, et la Chine imploser sous le poids de ses contradictions, en se préparant le plus vite possible à des moments de clash symboliques spectaculaires, dont le point d’orgue sera possiblement Taïwan : ou bien les Chinois prendront la gifle qui sera enfin fatale au PCC. Ou bien ils récupèreront une île dévastée, pour couler un peu plus tard suite au blocus anti-chinois généralisé, si les chaînes d’approvisionnement le permettent.
Ceci comme transitions vers la synthèse d’un néo-capitalisme plateformisé, transnational, fusionnant les élites technologiques indiennes, chinoises, israéliennes, golfiennes, (des Russes ayant quitté la Russie), sous la houlette Californienne, qui drive un monde apple métissé, digital nomadisé, sécurito-sanitaire, et qui craint assez peu la guerre mondiale. A vrai dire, seul le réchauffement dérange un peu ce monde en devenir, mur du réel oblige, pour tout le monde.
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