Dimanche 23 juillet, il a fait 46° en Grèce, 48° à Alger, 49° à Kairouan, et la tendance est à la hausse. Toute l’île de Rhodes flambe. « Canicule » n’est plus le terme approprié pour désigner un tel emballement. Il ne s’agit pas d’un phénomène lié au climat méditerranéen. Dans le climat méditerranéen, la masse d’air saharien, chaud et sec, se déplace vers le Nord l’été, donc sur la mer et ses côtes, conformément à la position de l’axe terrestre (et la masse d’air atlantique, jusque-là douce et humide, se déplace vers le Sud et l’Ouest, sur la même zone, l’hiver). Ce n’est pas ce qui se passe en ce moment. En ce moment, l’anticyclone d’air hyperchaud se forme directement sur la mer, sous l’effet de la surchauffe de l’eau.

Il a un nom, donné sans doute par quelque météorologue, puisqu’il est curieusement devenu de coutume de nommer les « aléas » météorologiques, souvent de petits noms féminins : Katrina, Fiona, Virginie … Mais là, la chose a été appelée Charon. Charon est le passeur des enfers dans la mythologie grecque. Comme avec les fusées nucléaires « Pluton », on passe aux références eschatologiques. Difficile de savoir si les baptiseurs d’anticyclones ont pensé au message que porte ce nom, le « passeur des enfers », pour les réfugiés africains et syriens qui meurent par paquets de dizaines ou de centaines en Méditerranée sous l’œil protecteur des vertueux États européens …

Donc, Charon. Charon n’est pas un phénomène climatique « classique ». C’est un monstre climatique de dimension continentale, un phénomène nouveau, comme le sont les méga-feux apparus en Australie au début du siècle, etc. Un phénomène non prévu et dont l’évolution n’est prédite par aucun modèle. Juste le fait que la position de l’axe terrestre en faisant raccourcir la durée des jours – ce phénomène là n’est pas affecté par la crise géobioclimatique du dérapage de l’anthropocène en capitalocène, à ce que l’on sache ! – devrait aider à ce que ça se calme, au fil des semaines. Et l’an prochain ? Le cap sur les 50° partout ?

Charon n’est pas un monstre isolé. La courbe des températures terrestres de l’année en cours comparée à celle des 43 dernières années, ci-dessous, est éloquente : il y a dérapage. On ne parle pas ici d’une accélération sur plusieurs années ou de situations envisagées par les climatologues à l’échelle séculaire. Mais d’une accélération qui se mesure directement de jour en jour en ce moment même, le mois de juillet le plus chaud sur Terre depuis 100 000 ans, bien que ce soit l’hiver dans l’hémisphère Sud.

L’explication la plus « rassurante », puisqu’il faut rassurer, est celle d’El Nino, ce mouvement cyclique des masses d’eau et d’air dans la zone Pacifique Sud et équatoriale : El Nino induit des perturbations partout, mais c’est en gros tous les dix ans. Ou tous les sept. Ou tous les quatre, et de plus en plus fort … Mais, bon, si c’est El Nino, l’année 2024 devrait être moins chaude, nous dit-on.

Dans ce scénario, la tendance globale à la hausse demeure, mais nous aurions subi un « accident » cette année. Comme l’an dernier d’ailleurs, quand l’air anticyclonique chaud et sec déferlait par l’Atlantique sur la Bretagne et l’Angleterre (juste avant les inondations massives en Allemagne et Europe centrale) : à chaque année son « accident » ! Mais si c’est El Nino alors c’est cyclique, ça ne reviendra pas tout de suite (même si le cycle se raccourcit peut-être …).

L’autre scénario, qu’appuie entre autres observations le fait que Charon est relativement indépendant d’El Nino et s’explique avant tout par un effet de serre anthropique direct sur l’Afrique, l’Europe et la Méditerranée, hé bien l’autre scénario, c’est que l’emballement rétroactif global aura commencé lors de l’été 2023 sur l’hémisphère Nord.

En fait, il a commencé avant, mais ce serait en 2023 qu’il franchirait un seuil qualitatif, comme aurait dit Hegel. Les émissions de CO2, qui augmentent toujours, les émissions de méthane, en explosion suite à la fonte des sols gelés en permanence en Sibérie ou au Canada plus les ruminants élevés industriellement, les émissions de protoxyde d’azote, massif dans les pesticides, la baisse de l’albedo (la réverbération des étendues glacées blanches, en diminution), et les méga-feux, forment des boucles rétroactives, c’est-à-dire que les conséquences du réchauffement amorcé par le CO2 produisent le dégazage du méthane, les incendies ou la chute de l’albedo qui à leur tour accélèrent le processus, et ainsi de suite. Et la plus grande partie du monde peut rapidement devenir inhabitable à la majorité de l’humanité et des animaux.

Par « rapidement », il est possible d’entendre une affaire de quelques années. C’est possible. Ne tranchons pas entre les deux scenarii, qui d’ailleurs se recoupent car El Nino peut aider au saut qualitatif vers l’emballement. Dans l’un et l’autre cas c’est urgent. Dans l’un et l’autre cas quiconque explique qu’on atteindra peut-être encore « l’objectif » d’une hausse globale des températures limitée à 1,5°, raconte n’importe quoi.

Ici il y a lieu de parler de Poutine, ici il y a lieu de parler de Macron, ici il y a lieu de parler des incendiaires. Macron a encore « parlé » aujourd’hui. « L’ordre, l’ordre, l’ordre » et notamment l’ordre « familial », c’est-à-dire patriarcal. Et aucune condamnation des déclarations publiques des grands chefs policiers prenant la défense des assassins de la BAC de Marseille : Frédéric Veaux, Directeur Général de la Police Nationale, « un policier n’a pas à être en prison, même s’il a commis des fautes », Laurent Nunez, préfet de Paris, se déclare d’accord avec ça – une opération concertée. « Nul n’est au-dessus des lois », dit seulement Macron, mais il ne condamne pas ceux qui sont sa base et qui le tiennent. « L’ordre » est donc bien au-dessus des lois. Et cet « ordre » a été proclamé par son ministre Darmanin contre une menace montante de dimension planétaire et séculaire : l’écoterrorisme !

L’action directe écologique va en effet s’imposer. C’est le message des mouvements, en réalité encore limités et sages, contre les opérations de bétonnisation et de nappage au goudron qui se poursuivent, puisqu’il faut bien accumuler du capital fixe pour assurer l’accumulation accélérée du capital en général. Quand la question va apparaître comme celle de la survie, de l’eau, de l’existence, l’action directe va en découler. Mieux vaut l’anticiper, car si nous ne savons pas si c’est affaire de jours, de semaines, de mois ou d’années, assurément ce n’est pas affaire de décennies. On y arrive, directement. De même que les prolétaires se battent pour leur droit à la vie réduit au droit au travail et au salaire, l’humanité comme telle, composée massivement de prolétaires et de surnuméraires (pour le capital) va se battre pour vivre, que ce soit pour empêcher un « plan social », pour empêcher une nouvelle implantation de capital fixe technobétoné, que ce soit pour pouvoir passer et se rendre dans des lieux de survie en migrant, que ce soit pour repousser armées d’occupation et réaction sur toute la ligne – rappelons que les néofranquistes de Vox, en Espagne, qui viennent d’essuyer une (relative) défaite, ont au centre de leur programme la négation du caractère anthropique et capitaliste du réchauffement et la lutte contre les « écoterroristes ».

Amis lecteurs, à Aplutsoc aussi, on va essayer de se reposer un peu puisque nos congés payés existent encore et tombent maintenant. Ce billet est notre message d’espoir, c’est-à-dire du seul espoir qui vaille : le combat ! Que les militants d’Europe occidentale actualisent leur perception, cela presse. La photo ci-dessous est celle de combattants anarcho-écologistes dans l’armée ukrainienne.
S’ils ne sont pas « marxistes », on s’en fout, le marxisme vivant ne peut qu’être avec eux, qui nous indiquent le type de militantisme du siècle déjà bien commencé, qui va s’imposer que cela plaise ou non !