Le 3 août dernier, soutenant les manœuvres militaires chinoises menées autour de l’île de Taïwan au prétexte de la visite de la présidente du Congrès US, Jean-Luc Mélenchon écrivait sur son blog :

« Taïwan est un sujet tendu depuis la libération de la Chine. Mais, pour les Français depuis 1965 et le général de Gaulle, il n’y a qu’une seule Chine. Elle siège au Conseil de sécurité. Taïwan est une composante à part entière de la Chine. Le premier gouvernement alors national dictatorial de l’île, celui de Tchang Kaï-chek, prétendait d’ailleurs reprendre le contrôle de la « Chine continentale ».

Depuis, chacun s’en tient à une volonté de coexistence pacifique, en attendant mieux. Quoi ? Les Chinois régleront le problème entre eux. Il n’y a pas d’autre issue raisonnable possible.

Mais on voit bien comment les USA veulent ouvrir un nouveau front. On devine d’avance le lamento anti Chinois qui va bientôt nous être servi sans relâche par les chaînes de propagande en continu. »

Le lendemain, l’ambassade de Chine populaire en France le remerciait :

« Merci à Jean-Luc Mélenchon pour son soutien constant à la politique d’une seule Chine. » (ambassade de Chine en France, 4 août) – deux autres remerciements de l’ambassade suivront les jours suivants : l’un au PCF, le troisième au PRCF (groupuscule stalinien).

Le 11 août, Lucien Gauthier affirmait dans l’éditorial du journal Informations Ouvrières, organe du POI (Parti Ouvrier Indépendant, qui est aujourd’hui la colonne vertébrale de la France Insoumise, investi dans cette fonction par J.L. Mélenchon), après avoir expliqué que l’OTAN encercle la Russie et veut faire pareil avec la Chine (nous laissons nos lecteurs s’amuser à regarder une carte pour repérer où est réellement l’OTAN autour de ces deux États) :

« Oui, Jean-Luc Mélenchon a raison : Il n’y a qu’une seule Chine, qui doit être défendue par les travailleurs du monde entier. »

Le 18 août, Daniel Gluckstein soutenait à son tour J.L. Mélenchon, tout en soulignant une contradiction entre les interventions « insoumises » déplorant l’insuffisance des moyens militaires de l’impérialisme français, et sa position sur, ou plutôt contre, Taïwan, dans l’éditorial de la Tribune des Travailleurs, organe du POID (Parti Ouvrier Indépendant Démocratique) :

« Au même moment, Jean-Luc Mélenchon rappelait que Taïwan est partie intégrante de la Chine et que les conditions du retour à l’unité de la Chine sur tout son territoire national historique sont du seul ressort du peuple chinois. Mélenchon a raison. Mais un même parti peut-il en même temps dénoncer les préparatifs de guerre et s’y associer ? »

Commençons par dissiper une incompréhension : il n’y a nulle contradiction, chez J.L. Mélenchon, entre la défense de la « grandeur de la France » au nom du « non-alignement » de l’impérialisme français, et sa position sur « une seule Chine ». Bien au contraire. Mélenchon se réfère à De Gaulle reconnaissant la République Populaire de Chine comme étant « la Chine », en 1965 (celle-ci n’obtiendra le siège chinois de membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU qu’en 1971, à la place de Taïwan qui jusque-là était censé y représenter, depuis 1949, « la Chine », ce qu’il néglige de préciser dans son billet).

Pour De Gaulle, premier président de la V° République, comme pour Mélenchon, candidat à la formation d’un gouvernement de cohabitation avec son président actuel, le renforcement des capacités dites « de défense » de la France, à commencer par les armes nucléaires d’anéantissement de l’humanité, et les relations avec le pouvoir de Beijing, font bien partie d’une seule et même politique, une politique impérialiste, et, de leur point de vue, ils sont cohérents. La contradiction que croit dénoncer D. Gluckstein entre ces relations et ce budget militaire est donc imaginaire. C’est chez lui qu’il y a contradiction : combattre la politique impérialiste de la France implique d’en combattre toutes les dimensions, la « chinoise » comme la militaire.

Ceci précisé, quel est le rôle politique mondial de la formule « il y a une seule Chine » ?

Lorsque les puissances impérialistes victorieuses la seconde guerre mondiale s’associent pour créer l’ONU et son « Conseil de Sécurité », elles y font une place à la Chine, représentée par le parti nationaliste bourgeois Guomindang et le dictateur Jiang Jieshi (Tchang Kai Tchek dans l’ancienne translittération du temps de De Gaulle, qu’utilise encore J.L. Mélenchon).

Mais ce régime, corrompu et incapable, qui n’a pas su combattre l’invasion japonaise, s’effondre sous son propre poids, sous celui du rejet populaire et des armées du Parti Communiste Chinois qui prennent le pouvoir dans toute la Chine en 1949, sauf à Taïwan où s’installe Jiang Jieshi sous la protection de la flotte nord-américaine. Il s’y livre, le fait est peu connu, à une véritable guerre de conquête (200.000 morts !), car justement les taïwanais ne se sentent pas si chinois que cela, qu’ils soient de langue chinoise Min comme les habitants du Fujian, sur la côte en face, et comme beaucoup de chinois de la diaspora (73% de la population) ou de langue chinoise Hakka, comme les coolies et prolétaires importés au XIX° siècle par les trafiquants de main-d’œuvre (15% de la population), ou comme les « aborigènes » habitant le centre montagneux (3%), nullement apparentés aux chinois. Les « chinois proprement dit » forment la couche la plus urbaine et la plus riche du pays, renforcée par l’armada de militaires, bureaucrates et commensaux de Jiang – entre le mandarin, le Min et le Hakka, les différences sont comparables à celles du français et de l’italien, l’écriture, non phonologique, servant de moyen d’homogénéisation).

Auparavant, Taïwan a été colonisée par les Japonais, encore auparavant par l’empire chinois de la dynastie mandchoue, et avant le XVII° siècle l’île, sous le nom de Formose, était exploitée par des marchands pirates japonais, chinois, portugais et arabes.

Il n’y a donc nulle évidence à proclamer que Taïwan serait la Chine. En fait, les couches cultivées et une partie des prolétaires de langue chinoise Min ou Hakka ont aspiré à rejoindre une nation chinoise démocratique, citoyenne, et souveraine, durant les guerres de libération anti-japonaise. Mais l’oppression par le Guomindang, puis l’effet repoussoir de l’oppression de la Chine continentale par le PCC, ont fait refluer cette aspiration. La « démocratie nouvelle » de Mao n’a jamais vu le jour, puisque la démocratie a toujours été bannie. C’est la bureaucratie stalino-maoïste qui a bloqué l’achèvement de l’unification de la nation chinoise, ici comme à Hong-Kong et Macao.

En 1971, la « seule Chine » devient la RPC, reconnue comme partenaire par les puissances impérialistes du Conseil de Sécurité. Mais par la suite, les luttes populaires et démocratiques à Taïwan ont mis fin à la dictature du Guomindang. En 1992, des associations ad hoc créées par les grandes familles commerçantes échangeant de part et d’autre du détroit, sous l’égide du PCC d’un côté, du Guomindang de l’autre, ont proclamé qu’il n’y a qu’ « une seule Chine » dont font partie la RPC et Taïwan. En 2005, le chef du Guomindang Lien Chan et le chef du PCC Hu Jintao, se sont rencontrés officiellement à Nanjing pour proclamer ouvertement leur ligne commune sur « la seule Chine », la leur, dirigée aussi bien contre les ouvriers grévistes et la jeunesse de Tian An Men réprimés en RPC que contre la majorité des taïwanais.

Car à Taïwan, ce « consensus » est rejeté par une majorité de la population qui a chassé à nouveau le Guomindang par la voie des urnes : les descendants des « aborigènes » austronésiens, les couches les plus pauvres du prolétariat souvent de langue hakka, la jeunesse qui craint la dictature du PCC et ne veut pas d’un retour à celle du Guomindang, et les couches capitalistes non orientées vers les échanges avec la RPC mais plutôt vers la production mondialisée électronique et informatique, forment cette majorité socialement hétérogène.

Sans toujours se sentir « non chinoise », cette majorité ne veut pas d’ « une seule Chine » dont le seul sens aujourd’hui, si le régime de Beijing ne tombe pas, est l’annexion et à nouveau l’écrasement de toutes les libertés démocratiques – comme en 1949, comme à Hong-Kong aujourd’hui !

Donc, en ignorant la démocratie, expression de la volonté de la majorité, Jean-Luc Mélenchon, le POI et le POID, se situent en réalité non sur le plan de la défense du droit des nations à disposer d’elles-mêmes, mais sur celui du Guomindang, qui a asservi Taïwan en 1949 et est aujourd’hui dans l’île la principale force liée au PCC, puisque la même classe dominante, capitaliste et impérialiste, agit à travers eux.

Il est vrai que c’est un certain Joseph Staline qui, en 1926, applaudissait chaudement son camarade Jiang Jieshi, alors « membre honoraire du Bureau exécutif de l’Internationale communiste », le même qui allait, peu après, massacrer les communistes, les ouvriers, les jeunes, les paysans, par centaines et centaines de milliers à Canton et à Shanghai.

Malgré les critiques, Jl Mélenchon réaffirme qu’il n’existe qu’une « seule Chine » !