Illégitime.

La situation française inquiète tous les partisans de l’ordre social existant. Pensez-vous : le président à peine réélu semble – est – un président battu. Macron I était suspendu en l’air mais « jupitérien ». Macron II est toujours suspendu en l’air, mais il passe pour neurasthénique. Le « maitre des horloges » tente de gagner du temps alors que le sol s’est déjà dérobé sous ses pieds.

Mais qu’est-ce que tout cela signifie fondamentalement ? Que la présidence Macron II, la présidence de la V° République, est illégitime. Réélu alors qu’il était minoritaire, sur un fond d’abstentions massives du prolétariat et de la jeunesse, il a subi sa première défaite politique en n’ayant qu’une « majorité relative », c’est-à-dire une minorité, à l’Assemblée nationale – sans avoir même, ce qui est remarquablement tû, de « majorité relative » en voix !

Tel est le nœud de toute la situation française : la clef de voûte de l’Etat capitaliste français est illégitime et tout le monde le sait. Par conséquent, tout le monde, parmi les chefs des « oppositions », dit le contraire – Marine Le Pen de manière obséquieuse, Jean-Luc Mélenchon avec quelques tonitruements et raclements de gorge, communient dans l’affirmation de la légitimité présidentielle, et donc du respect des institutions de la V° République. Il ne faut pas le dire. Il ne faut pas dire ce qui est.

Alors, disons-le : la question française, dans laquelle convergent les urgences, sociale, sanitaire, climatique, ukrainienne, c’est la question démocratique du régime et du président.

Tiendra-t-il ? Tous cherchent à le faire tenir, pour l’heure. Mais la manière dont une affaire de collusion avec ses amis du « monde de l’entreprise » au temps où il se propulsait en étant ministre des Finances de Hollande, affaire nullement surprenante mais en soi fort grave et sortant précisément au moment présent, l’affaire des Uber-Files, montre que ce sera difficile. Cela l’est déjà …

Une si puissante assemblée-croupion …

En aucun cas, la V° République n’est, ni ne deviendra un régime parlementaire. L’affaiblissement immédiat du président, fait sans précédent dans l’histoire de ce régime, s’exprime dans ce paradoxe qu’il a en même temps engendré : l’assemblée-croupion qu’est l’Assemblée nationale dans la constitution de 1958, est apparemment la plus puissante, la plus compliquée, et la plus indispensable, qu’elle ait connue.

Examinons donc le jeu risqué, pour tous les joueurs unis dans le respect du régime, qui s’est ouvert dans cet oxymore signe d’orages prochains : une si puissante assemblée-croupion !

Motion de censure.

Les groupes parlementaires LFI, PS, EEVL et GDR (PCF), formant la NUPES, ont donc présenté une motion de censure. Le texte de cette motion se réclame du « nécessaire respect du parlement » et de la « pratique ininterrompue depuis 30 ans » en regrettant que Mme Borne, première ministre, n’ait pas engagé la responsabilité de son gouvernement après sa déclaration de politique générale.

A son tour, celle-ci, répondant mardi 11 juillet à Mathilde Panot (LFI), a affirmé que son but était de faire vivre un vrai parlementarisme de compromis, accusant les groupes parlementaires réunis dans la NUPES de « jouer la dissolution », et présentant donc implicitement Macron comme le garant de l’existence de cette assemblée !

Notons aussi qu’elle s’est payée le luxe, sans être reprise, de prétendre que la NUPES avait été battue en voix par les partisans de Macron aux législatives, ce qui est faux, et celui de mentionner la guerre en Ukraine, sujet totalement passé sous silence par ses contradicteurs supposés.

La motion de censure, n’étant pas votée par les groupes macroniens, RN et LR, a donc comme prévu récolté les seules voix des quatre groupes formant la NUPES – plus celle de Dupont-Aignan. On passe à l’ordre-du-jour.

Mathilde Panot avait grondé : ceux (RN et LR) qui ne voteraient pas cette motion se démasqueraient comme des partisans du gouvernement. Un peu plus tard dans la même journée, le RN votait toutefois la motion de rejet préalable du projet de loi dit de « sécurité sanitaire » présentée par Raquel Garrido (LFI), rejetée de peu par 192 voix contre 174.

C’est d’ailleurs le RN qui a été en pointe pour protester et chahuter contre le refus scandaleux de réintégrer les soignants non vaccinés dont l’hôpital public et les services publics de santé ont été privés …

Strapontins.

Avant ces épisodes, ce sont les groupes macroniens qui ont arbitré, et donc décidé, de la distribution des strapontins : 6 vice-présidents dont 2 macroniens, 1 PS, 1 LFI et deux RN ; 3 questeurs dont 1 LR, et pas n’importe lequel, Ciotti, et 2 macroniens (dont M. Woerth, ci-devant affairiste LR) ; 12 secrétaires dont 8 macroniens, 1 LR, 1 LFI, 1 EELV et 1 PCF ; et bien entendu ils ont imposé l’une des leurs à la présidence de l’Assemblée.

Ils se sont attribué toutes les présidences des commissions permanentes, sauf la Commission des finances à laquelle ils ont permis l’accession d’Eric Cocquerel (LFI). La désignation de ce dernier fut saluée par certains comme une sorte de répétition de la prise du Palais d’Hiver, mais dans les minutes qui suivaient, gâchant la fête, revenaient à la surface des accusations et rumeurs internes à LFI concernant son attitude envers les femmes. Quoi qu’il en soit, rappelons que la Commission des finances n’a d’autre rôle constitutionnel que de contrôler la bonne exécution du budget du gouvernement et donc sa conformité à l’orientation politique de l’exécutif.

Ajoutons, pour compléter ce tableau, le consensus de fait existant dans la Commission de la défense nationale autour du « soutien au peuple ukrainien » (guillemets de rigueur) complété par la volonté de ne pas « humilier la Russie », c’est-à-dire Poutine, le député LFI Frédéric Mathieu ayant déjà obtenu l’assurance du ministre Lecornu de l’absence de tout réserviste français sur le territoire ukrainien.

Parlementarisation ?

Combinazione, compromis, cohabitation, collaboration, cogouvernance, co-construction … ou quelque nom qu’on y donne, sous les postures, se déploient donc et vont se déployer à tous les étages. C’est inévitable à partir du moment où aucun groupe de députés ne décide de dire ce qui est concernant l’illégitimité concrète, ici et maintenant, du président, de son gouvernement, et du régime.

S’agit-il d’une « parlementarisation » de la V° République ?

La plupart des commentateurs et politologues, que ce soit pour le dénoncer ou pour s’en féliciter, le disent. Nous avons vu que le texte de la motion de censure des groupes de la NUPES reproche au fond au gouvernement Borne de ne pas aller assez loin dans cette « parlementarisation », et que Mme Borne dans sa réponse à la motion de censure s’est au contraire présentée comme la vraie combattante de ladite « parlementarisation », qu’elle appelle la « culture du compromis ».

Informations Ouvrières, organe du POI (Parti Ouvrier Indépendant), l’affirme : en la « parlementarisant », Mélenchon-le-valeureux creuserait la tombe de la V°République.

Soyons sérieux : ce consensus est une couverture, parce que la V° République a besoin aujourd’hui, Macron a besoin, d’être ainsi couvert. Non seulement la V° République n’est pas parlementaire, mais présidentielle, c’est-à-dire monarchique, mais le « parlementarisme » bourgeois, comme son nom l’indique, consiste à « parler » (et, jeu de mots tentant, à mentir …), pendant que l’appareil d’Etat et les actionnaires des Conseils d’administrations sont à la source des vraies décisions : ceci est vrai même des – rares – régimes encore vraiment parlementaires, comme outre-Manche.

La démocratie, ce n’est pas le « parlementarisme », encore moins le parlementarisme frelaté d’une assemblée constitutionnellement croupion, dont les frasques et les fumées en définitive font le jeu de l’exécutif.

Parlementarisation … jusqu’à la dissolution … présidentielle !

Anticipant la suite de la crise du régime, J.L. Mélenchon, positionné en dehors de ce parlement, a commencé à dessiner une perspective politique apparente lors d’une conférence/meeting/happening au siège du POI : la dissolution.

Mais qui dissoudrait ? Macron ! Ce n’est donc toujours pas là la démocratie, bien au contraire !

Ceux d’en haut peinent …

Une puissante assemblée-croupion jouant à l’opposition de sa majesté d’un président aux jambes coupées : les orages prochains que portent cette configuration de la crise du régime, sont gros du rejet de la totalité de ce dispositif brinquebalant, de l’Assemblée au Président et du Président à l’Assemblée.

On voit bien que l’exécutif, depuis des mois, peine à imposer ses décisions et peine carrément à prendre des décisions. La loi « sur le pouvoir d’achat », en réalité la loi contre la hausse des salaires, n’a toujours pas vu le jour, et on est mi-juillet. La retraite à 65 ans annoncée se présente avec difficulté, c’est le moins que l’on puisse dire. Les grèves pour les salaires se multiplient encore et encore. Le début d’un mouvement allant vers la grève totale dans les aéroports de Paris, qui avance en tâtonnant pas à pas, a déjà imposé une hausse de salaires de 6,5% à partir de juillet pour la grande majorité des salariés concernés. Le gouvernement lui-même montre que des reculs sont possibles par une hausse ridicule, très inférieure à l’inflation, du point d’indice des fonctionnaires, trop de son point de vue et pas assez pour les travailleurs.

La combinaison entre la crise politique, la hausse massive du coût de la vie, et de ce que les patrons appellent « pénurie de main-d’œuvre », ne peut que susciter des luttes sociales économiques dont le contenu politique sera très vite sur le devant de la scène.

Et n’oublions pas la relaxe totale, victoire sociale, démocratique, symbolique et politique, d’Elie Domota par le Tribunal correctionnel de Pointe-à-Pitre le mardi 28 juin dernier, alors que son inculpation visait à mettre au pas le peuple guadeloupéen en prévision de la situation d’après la présidentielle !

Notre perspective.

Dans une telle situation, il serait possible de faire tomber ce pouvoir affaibli et de réaliser la démocratie. Mais ceci requiert le regroupement politique pour cela et pas pour sauver le régime en le « parlementarisant ».

Jouer le prétendu « parlementarisme ? Le jouer jusqu’à jouer la dissolution par Macron du parlement-croupion qu’Élisabeth Borne a affirmé vouloir garder, protéger et conforter ? Tout cela, c’est encore jouer la préservation du régime.

A l’encontre de tout cela, il faut jouer la démocratie. Élire une assemblée de vrais représentants de la population, qui tout de suite apportera à l’hôpital public, à l’école publique, aux salaires, les moyens nécessaires en les prenant aux capitalistes ? Chiche. Mais une telle assemblée ne sera pas une assemblée de la V° République, elle sera une assemblée constituante, et seul peut l’imposer le mouvement social, ce mouvement social qui est à l’origine de la crise politique, et qui seul pourra la dénouer dans le sens des besoins de l’immense majorité.

A l’issue de notre réunion-débat sur les problèmes de fond du monde présent, tenue le 26 juin dernier, nous avons envisagé une assemblée-débat ouverte le 3 octobre. Aplutsoc propose bien sûr de discuter de cette situation et de cette perspective.

Le 12-07-2022.