“L’ennemi principal de chaque peuple est dans son propre pays.” Quand Karl Liebknecht écrit cela en mai 1915, dans un tract, il appelle à la lutte des classes internationale. Il précise que chaque peuple a son ennemi principal dans son propre pays. Il ne dit certainement pas que l’ennemi principal n’est que dans notre propre pays, encore moins dans la seule coalition impérialiste dont celui-ci est censé faire partie.

La tradition de Liebknecht, Luxemburg et Lénine, c’est de déterminer une politique révolutionnaire au niveau international. Lénine est allé le plus loin en ce sens avec la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile. Se servir du thème de l“ennemi principal” pour ne plus partir des intérêts internationaux du prolétariat, mais des intérêts supposés d’une lutte qui aurait pour seul cadre et seul champ soit “notre propre pays” (par exemple, la France), soit la coalition l’englobant (par exemple, l’OTAN), c’est, au nom de l’internationalisme, retomber dans le chauvinisme.

“Les communistes mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de la nationalité et communs à tout le prolétariat.” (Marx, Manifeste). Dans la guerre présente, quelle est l’expression concrète de ces intérêts ? Ils se concentrent dans la défaite et la chute de Poutine.

Les ukrainiens sont entraînés bien malgré eux dans une guerre nationale de libération contre Poutine. Dans les usines et le quartier d’Obolon à Kyiv, ils se battent en ce moment même, quand ces lignes sont écrites, au cocktail Molotov contre les chars de l’impérialisme, ici l’impérialisme russe. Les manifestations se succèdent en Russie, malgré les milliers et milliers d’arrestations. Un slogan apparaît : La dénazification, c’est ici, c’est maintenant. Les syndicalistes et les partisans de l’indépendance nationale bélarusse, sous la botte, s’organisent sans nul doute clandestinement. Les ouvriers et chômeurs de la grande région gazière et pétrolière du Mengistau au Kazakhstan poursuivent grèves, piquets et occupations de places pour les salaires et contre la répression. A l’échelle mondiale, Poutine est au centre de la réaction la plus sombre, celle des commandos Wagner, de Bachar el Assad, du RN comme des Fillon, Ciotti et Zemmour en France, admiré par Orban qui vient juste de supprimer le droit de grève des enseignants en Hongrie. La chute de Poutine est l’objectif que tout internationaliste sérieux et concret doit mettre en avant pour tous. C’est un mot d’ordre internationaliste.

Chacun peut constater que ce n’est pas le mot d’ordre de l’OTAN, ni de la finance américaine et allemande qui sont pris d’une sainte hésitation devant l’exclusion de la Russie du système interbancaire Swift et qui n’envisagent aucunement d’exproprier les comptes des oligarques dans les banques suisses et les villas des mafieux sur les Rivieras d’Europe !

Le préalable internationaliste n’est pas le combat contre l’OTAN, c’est : DEHORS POUTINE. Et c’est là la solidarité avec le peuple russe. Faire de la question de l’OTAN un préalable est le contraire de l’internationalisme, c’est mettre un préalable à la lutte nationale des ukrainiens et aux slogans héroïques des manifestants russes.

Ce n’est même pas, encore moins, combattre un ennemi principal qui serait dans notre pays. Car la finance anglo-saxonne ne veut pas exproprier les oligarques russes ! Et encore moins en France. En France, l’État profond de la V° République ne respire que nostalgie néo-gaullienne et « indépendance nationale » envers l’Amérique. Les “gros” candidats aux présidentielles qui mettent en cause l’OTAN, Zemmour et Le Pen d’une part, Mélenchon d’autre part, le font au nom de l’impérialisme français et de sa force nucléaire meurtrière de dissuasion.

Bien sûr, il faut combattre l’OTAN. Mais la voie de ce combat aujourd’hui, c’est : DEHORS POUTINE. Dehors Poutine, cela veut dire une nouvelle union démocratique des nations russe, ukrainienne, bélarusse et kazakhe ; c’est la voie pour reposer la question de l’union démocratique de toutes les nations d’Europe, ce que Trotsky désignait en 1915 comme les États-Unis socialistes d’Europe. La mise en cause de l’OTAN doit dériver du mot d’ordre inconditionnel : A BAS LA GUERRE, A BAS POUTINE.

De même, si l’on refuse de s’aligner derrière « notre président » au nom de la menace des missiles russes, on ne peut le faire en clamant que l’on est pour “la paix” en général – c’est ce que disent tous les chefs d’États impérialistes, Poutine le premier – ni « contre l’OTAN » qui dans la réalité présente n’est pas la force qui bombarde l’Ukraine, et encore moins pour « la France non-alignée ». Sous la phrase faussement internationaliste, le plus pur social-chauvinisme !

L’internationalisme abstrait qui se gargarise de mots tels que « en Ukraine, ni OTAN ni Russie » n’est plus que la couverture du social-chauvinisme. Même les généralités « révolutionnaires » qui veulent bien concéder que la résistance ukrainienne mérite un soutien, tout en ajoutant qu’il faut faire bien attention à ne pas soutenir “notre” impérialisme et en proférant des alertes contre la montée « des [?] nationalismes », tombent à côté. Faut-il craindre le « nationalisme » ukrainien au moment présent ? Son combat contre Poutine est celui de tout partisan de l’émancipation et les litanies sur les « nazis ukrainiens » proviennent de 8 ans de propagande raciste et colonialiste. Être internationaliste et révolutionnaire, c’est affronter la question du pouvoir au niveau global qui passe aujourd’hui par : DEHORS POUTINE.

Quand on a perdu de vue la voie de la révolution, on s’embarque sur la voie de l’union sacrée. Union sacrée avec tel ou tel bloc impérialiste ou combat avec les peuples russe et ukrainien pour détruire la contre-révolution poutinienne en marche, tel est le vrai choix présent pour qui veut être digne de Karl Liebknecht. Le nôtre est fait.

La rédaction, le 25-02-2022.